COP21 : la Russie, moteur ou frein de la lutte contre le réchauffement climatique?

Lors de la COP21, qui s’est tenue à Paris à la fin de 2015, le Président russe a délivré un discours plein d’assurance et d’optimisme quant à la posture de son pays face au réchauffement climatique. Les représentants d’associations qui luttent pour l’environnement en Russie sont plus que dubitatifs.


Réunis à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) dans le cadre d’une table-ronde organisée conjointement par l’association Russie-Libertés, Regard sur l’Est et le Centre de recherches Europes-Eurasie (CREE) de l’Inalco, les représentants de quatre associations russes de lutte pour la préservation de l’environnement ainsi qu’une chercheuse française spécialiste des questions environnementales dans l’espace post-soviétique ont bien montré que la poudre jetée aux yeux de la COP21 par Vladimir Poutine ne suffirait pas à les aveugler. Leurs interventions ont même été sans appel: il n’y a pas de politique climatique en Russie aujourd’hui. Compte-rendu de la table-ronde du 9 décembre 2015.

Le chef de l’État russe avait pourtant fait des efforts: celui qui, il y a quelques années encore, ironisait sur le changement climatique en déclarant que cette évolution permettrait aux Russes d’économiser sur les manteaux de fourrure, a délivré un discours plus construit lors de l’inauguration de la conférence de Paris sur le climat qui s’est tenue du 30 novembre au 12 décembre 2015[1]. Il s’est employé, en effet, à mettre en avant les succès engrangés par la Russie dans sa lutte contre le réchauffement. Il a notamment rappelé que la Russie avait ratifié le Protocole de Kyoto en 2004 et avait fait plus que s’y conformer depuis, puisqu’elle a significativement réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 1991 et 2012 et s’engage, à horizon 2030, à les réduire de 70% par rapport à leur niveau de 1990. Il a également affirmé que son pays occupe l’une des premières places dans le monde en termes de réduction de son intensité énergétique (rapport entre consommation énergétique et PIB), avec une réduction de 33,4% entre 2000 et 2012 et prévoit une baisse supplémentaire de 13,5% d’ici 2020. Il a en outre insisté sur le rôle des forêts, dont la Russie est abondamment pourvue, comme «absorbeurs» de GES. Selon V.Poutine, la Russie fait beaucoup pour préserver ces «poumons de la planète».

Quels moyens pour lutter contre le changement climatique ?

L’écologiste russe (lauréate du Prix Goldman pour l’environnement) Evguenia Tchirikova, bien connue pour son combat contre la destruction de la forêt de Khimki, à proximité de Moscou[2], a ouvert les débats: selon elle, le changement climatique observable en Russie va deux fois plus vite que dans le reste du monde, propos confirmés fin décembre par le ministre russe de l’Environnement[3]. Elle en veut pour preuve la hausse régulière des températures, la multiplication des épisodes climatiques violents (notamment les inondations ou les sécheresses). En 2015, la Russie a d’ailleurs payé un lourd tribut, avec des feux de forêts dramatiques en Khakassie et en Russie européenne, des épisodes de smog persistant observables à Moscou du fait des feux de tourbières ou des inondations impressionnantes dans l’Altaï.


Evguenia Tchirikova

Or, face à ces catastrophes, l’État russe se révèle lent à réagir, faute de moyens. «La Russie a de l’argent pour intervenir en Ukraine ou en Syrie mais pas pour éteindre les feux», a regretté E.Tchirikova. Elle a en outre noté que, lorsque le Président russe affirme que les émissions de GES ont été fortement réduites, il ne dit rien de l’exploitation massive d’hydrocarbures sur le sol russe, hydrocarbures qui sont brûlés hors des frontières du pays. Et de conclure «C’est aux clients de cesser d’acheter le pétrole et le gaz russes!

Quand la volonté manque

Historienne de l’environnement en URSS et en Russie (CERCEC, CNRS/EHESS), Marie-Hélène Mandrillon a rappelé le rôle historique de la Russie dans la politique climatique, notamment celui qu’elle aurait pu jouer avec la rupture annoncée en 2009, à l’occasion de la COP15, lorsqu’a été énoncée la doctrine climatique Medvedev. Ce qui n’a pas empêché ensuite les occasions manquées (dès 2010, avec la canicule et les incendies). Pour la chercheuse, ces dernières années s’inscrivent en réalité dans une continuité: la Russie mène une politique climatique en trompe l’œil, ne rien faire lui étant pour le moment suffisant à assurer une baisse significative de ses émissions de GES. Le pays a donc rempli ses objectifs, mais n’a manifesté aucune volonté d’aller plus loin, de profiter –notamment économiquement– de son engagement dans le Protocole de Kyoto et de devenir un acteur sérieux sur la scène climatique. Politiquement, le bilan n’est pas plus encourageant, l’establishment russe restant, selon M.H.Mandrillon, très largement climato-sceptique.


Marie-Hélène Mandrillon

Co-responsable de l’ONG Eco-défense (Ekozachtchita), Vladimir Slivyakestime quant à lui que la préoccupation climatique de la Russie, brièvement apparue lors du discours de V.Poutine à la COP21, a déjà fait long feu. Le tableau peint par le Président russe s’apparente à une sorte de réalité parallèle destinée à son auditoire d’un moment. Parce que la Russie a actuellement besoin de soutiens occidentaux, elle serait prête à signer tous les accords internationaux qu’on lui présenterait mais, tant que V.Poutine sera au pouvoir, rien ne se passera. Certes, le chiffre avancé de réduction de 30% des émissions de GES par rapport à 1990 est impressionnant mais, pour le militant-chercheur, il faudrait ajouter que cette chute s’est faite dans un contexte de désindustrialisation et que les forêts n’y sont pas pour rien. Autant dire qu’aucune politique n’y est attachée, en termes d’investissements réalisés comme d’efforts en matière d’efficacité énergétique et de développement d’énergies alternatives, notamment renouvelables.


Vladimir Slivyak

Les ONG dans le collimateur

Sofia Roussova, membre du comité de l’ONG Veille écologique pour le Caucase du Nord (Ekovakhta), dénonce l’hypocrisie du discours présidentiel: son observation de la situation dans la région lui permet de pointer le décalage entre engagements du pouvoir et réalité de terrain, ainsi que l’impossibilité d’engager un dialogue avec les autorités. Les JO de Sotchi ont bien montré que, zone protégée (en l’occurrence reconnue par l’Unesco pour sa faune et sa flore uniques) ou pas, un espace pouvait être déclaré constructible pour y installer une station de ski si tel est le vœu du chef de l’État. Dans le mouvement de mise au pas des ONG lancé par le pouvoir, la plupart des ONG de défense de l’environnement ont été déclarées «agents de l’étranger» et placées sous surveillance. C’est le cas de l’ONG de S.Roussova, dont est membre aussi Evgueni Vitichko, auteur d’un rapport sur l’impact environnemental des JO de Sotchi et emprisonné en février 2014 pour 3 ans (il a été libéré fin décembre 2015, après une grève de la faim).


Sofia Roussova

E.Vitichko n’a pas été le seul à subir les foudres des autorités russes. D’E.Tchirikova –qui a choisi l’Estonie– à la fondatrice de l’ONG Planète de l’espoir Nadejda Koutepova –qui a opté pour la France–, certains militants écologistes ont dû se résoudre à quitter la Russie. N.Koutepova a fondé son ONG il y a 15 ans pour attirer l’attention sur la situation autour de l’usine de Maïak, dans l’Oural[4]: objet d’une catastrophe qui, en 1957, a vu l’explosion d’un conteneur de déchets radioactifs, la zone reste un espace de contaminations en cours. Victime de tracasseries administratives mais aussi d’attaques visant sa personne et sa famille, la fondatrice de l’association n’a pas eu d’autre issue, à l’été 2015, que de dissoudre cette dernière et de demander le statut de réfugiée à la France. Il est clair que la mise sur la place publique de l’état d’irradiation de cette région de l'Oural située au sud d’Ekaterinbourg ne plaît pas aux instances russes qui défendent la politique nucléaire du pays, dans ses frontières et à l’extérieur. Selon la militante, le lobby nucléaire russe n’hésite pas, d’ailleurs, à employer l’argument du changement climatique pour profiter des subsides de l’État. D’autant, a-t-elle rappelé, que le président de Rosatom est un proche de V.Poutine.


Nadejda Koutepova

L’expérience de N.Koutepova confirme bien la règle qui a semblé se dégager lors de cette table-ronde: qu’il s’agisse de politique climatique, d’émissions de GES, de destruction de l’environnement ou de prise en compte des dégâts humains comme environnementaux de la politique industrielle, la devise du pouvoir semble bien être la dissimulation et l’intimidation. Museler les militants paraît préférable à l’instauration d’une discussion pour avancer main dans la main vers un but commun. De l’avis de tous les participants, dans ce domaine comme dans d’autres, éviter tout débat public est l’approche court-termiste d’autorités qui s’imaginent en position de force. D’après V.Slivyak, seule la pression internationale pourra faire émerger en Russie une «économie verte» (activités liées aux énergies renouvelables, constructions écologiques, moyens de transport, à la gestion des déchets, etc.) «Il y a suffisamment de ressources pour cela dans le pays, c’est la volonté politique qui manque!»

Notes :
[1] «Konferentsia stran – outchastnits Ramotchnoï konventsii OON po voprosam izmeneniâ klimata», site de la Présidence russe, 30 novembre 2015.
[2] Voir notamment Myriam Désert, «Comment les ‘nouveaux citoyens’ russes ont inventé leur printemps», P@ges Europe, 5 mars 2012.
[3] Les Échos, 25 décembre 2015.
[4] Amélie Poinssot & Michel de Pracontal, «Une militante russe antinucléaire demande l’asile à la France», Médiapart, 2 octobre 2015.

Photos : E. Le Bourhis