D #51 : Edito

Les langues ont toujours représenté des enjeux sociaux et politiques majeurs dans l’est de l’Europe. Pour cause, entre autres, le grand nombre d’Etats-Nations constitués sur une base linguistique ainsi que la non coïncidence entre les frontières linguistiques et géopolitiques, dans un contexte où de nombreuses minorités linguistiques ont réussi à préserver leur identité et trouvent parfois un soutien supranational certain.


Conséquemment, les législations nationales sur les langues foisonnent et ne se ressemblent pas. Les modèles retenus varient entre le renforcement d’une unité nationale (Slovaquie), la création d’un bilinguisme paritaire (Lettonie), l’apprentissage de la langue officielle aux minorités récalcitrantes (Estonie), la création de droits collectifs étendus à certaines minorités (Roumanie)… Quelles formes le modèle théorique pluriculturel prôné par les institutions européennes peut-il trouver à l’Est et quels en sont les résultats?

Alors que le devenir de la minorité hongroise est un sujet de débat aujourd'hui en vue de l’élection présidentielle de Slovaquie et que l’Estonie s’interroge sur les moyens à mettre en œuvre pour intégrer ses russophones, il est clair que les langues sont encore aujourd’hui un champ de revendications et de débats, qui touche en particulier à la stabilité géopolitique de ces régions. Quelles opportunités les rapprochements par famille ou groupes de langues (langues finno-ougriennes, variétés du romani) peuvent trouver dans un contexte géopolitique très particulier?

La Fédération de Russie, avec sa grande diversité linguistique et la large domination de la langue russe, a réussi à former des identités régionales ou nationales bien particulières. Dans les républiques autonomes, ou bien dans des régions isolées du Grand Nord, la langue n’est parfois qu’un élément insaisissable de cette identité. Les libertés octroyées par le Centre et l’emploi réel des langues minoritaires s’inscrivent alors dans des systèmes sociaux et politiques complexes, où le développement d’une culture linguistique minoritaire profite parfois de la bienveillance de Moscou alors que des dizaines de langues sont par ailleurs en voie de disparition.

Toutefois, la pratique s’éloigne souvent du discours lorsque des Lettons acceptent bien volontiers de parler russe ou lorsque se développent des langues mixtes comme la Trasianka en Biélorussie ou bien des variétés du romani en République tchèque.
La place de la langue russe, quant à elle, et même si elle a largement cédé du terrain à l’anglais en Europe centrale et orientale (Pologne, Estonie, …), demeure une langue de travail dans plusieurs pays post-soviétiques, quelle que soit aujourd’hui leur situation géopolitique (Lettonie, Ukraine…). Plus surprenant, le russe s’exporte aussi aujourd’hui plus au sud et plus à l’ouest, où il peut devenir le ciment d’une communauté post-soviétique, comme en Israël.