D #54 : Edito

Le Grand Nord russe, espace mythique autant qu’évocateur, est aujourd’hui encore entouré de bien des mystères. Tenter de l’appréhender passe sans doute avant tout par un essai de définition. Ne serait-ce que de son territoire, d’autant plus difficile à circonscrire que la région est celle, précisément, des grands espaces, peu enclins à se laisser borner. 


La rédaction de Regard sur l’Est a souhaité se pencher tout particulièrement sur le Nord de la Russie européenne, à savoir les oblasts d’Arkhangelsk (dont le district autonome des Nenets, la Nouvelle Zemble et la Terre François-Joseph), de Mourmansk et de Vologda, ainsi que les républiques de Carélie et des Komis. L’immensité est au rendez-vous mais aussi la variété, interdisant toute approche univoque d’une région particulièrement complexe, qui fascine et attire depuis des siècles, quitte à en découdre avec un climat pour le moins hostile.

C’est que le Grand nord européen de la Russie possède aussi des atouts: des ressources naturelles variées et abondantes (bois, charbon, cuivre, titane, or, pierres précieuses, hydrocarbures…), dont l’exploitation a suscité et va continuer de susciter la convoitise. De grands espaces qui ont favorisé, on le sait, l’implantation de divers camps de relégation. Mais aussi des hommes, dont l’identité, fragilisée pour certains, réaffirmée pour d’autres, a pu constituer un défi à la Russie à travers les siècles. La maîtrise de la langue, le maintien de certaines traditions et des modes de vie ancestraux n’ont pas toujours été du goût de Moscou qui, en imposant sédentarisation et collectivisation, a calqué un modèle ô combien peu adapté à ces «petits peuples» du Nord.

Aujourd’hui, deux facteurs essentiels excitent l’intérêt de la Fédération, voire d’autres Etats: d’une part, la découverte de champs d’hydrocarbures, certes difficilement accessibles mais potentiellement très rentables à l’heure de l’épuisement prévu des ressources. Cet eldorado gazier et pétrolier est évidemment tributaire de l’évacuation des hydrocarbures vers les marchés clients et, donc, du désenclavement de la région. D’autre part, la perspective du réchauffement climatique s’accompagne de son lot de conséquences, négatives (fragilisation des infrastructures notamment) mais aussi positives (ouverture de la route maritime du Nord en particulier). C’est donc de nouveau toute la relation au Centre fédéral qui est aujourd’hui l’objet d’un réexamen.

Mais les relations du Nord européen de la Russie avec les Etats voisins –Finlande et Norvège- ne sont pas en reste. La fin de la guerre froide a bien évidemment favorisé la mise en place de coopérations plus intenses dans la région. Mais les enjeux son tels que des rapports de force s’expriment très clairement, notamment avec la Norvège.

De fait, alors qu’elle va immanquablement connaître de grands changements socio-économiques et environnementaux et qu’elle éveille déjà l’intérêt du Centre moscovite, des Etats limitrophes mais aussi des instances euro-atlantiques, cette région semble peu à peu devenir moins marginale sur la carte russe. Déjà, elle n’est plus tout à fait une périphérie.

En posant un Regard sur une région qui, située aux portes de l’Europe, prend de plus en plus sens, la rédaction souhaite apporter sa modeste -mais enthousiaste- contribution à l’Année de la Russie actuellement célébrée en France.

Photo : © Eric Le Bourhis