« De l’Atlantique à l’Oural »

Entretien avec le Professeur Alain Larcan, Président du Conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle.


Alain LarcanRSE: Quelles sources ont inspiré le Général de Gaulle pour la formulation de sa phrase restée célèbre, "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural"?

Alain Larcan: La Russie d'Europe, à l'Ouest de l'Oural, séparée de l'Asie par la barrière de l'Oural, est une notion qu'il faudrait retrouver dans les traités de géographie du temps du Général, c'est-à-dire de 1890 à 1910, où l'Europe a toujours été considérée comme allant jusqu'à l'Oural. Du point de vue des limites géographiques, tout ce qui se trouve à l'ouest de l'Oural appartient donc, pour le Général, à l'Europe. Cette formule restée célèbre a été employée pour la première fois le 16 mars 1950, et au total au moins quatorze fois lors de conférences de presse. Seule la première partie de l'expression a été retenue. Le Général a également parlé en avril 1954 de "l'Europe de Gibraltar à l'Oural, du Spitzberg à la Sicile". Donc, de Gibraltar à l'Oural, il passe à l'ensemble de l'Atlantique à l'Oural.

Qu'entendait le Général de Gaulle par cette phrase?

C'est une des clés de la politique européenne du Général. En novembre 1959, il parle de la Russie, "nation blanche d'Europe", qu'il faut intégrer dans l'équilibre européen, quel que soit son régime et même avec ses prolongements coloniaux. Ainsi, dans le contexte de la Guerre Froide, le Général reconnaît que les peuples satellites situés à l'Est du rideau de Fer -Pays Baltes, Pologne, Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Tchécoslovaquie…- appartiennent aussi à l'Europe, qu'un jour ou l'autre, il y aurait des rapprochements, et que le plus tôt serait le mieux. Le Général proposait donc fermement, et en martelant sa proposition, la notion d'une Europe unitaire dépassant la querelle idéologique, qui permettrait de régler la question allemande. Cela correspondait aussi à une volonté d'indépendance européenne par rapport à l'ensemble américain et à la présence américaine en Europe.

Comment l'expression a-t-elle été réinterprétée par la suite?

Des politiques internationaux et français, des journalistes et des analystes variés y ont vu un renversement des alliances, d'autres, plus nombreux, ont minimisé la portée de cette expression qui, certes frappante, était vue comme un mythe. Elle a été reprise en partie par les Soviétiques: la "maison commune" de Gorbatchev n'est pas autre chose que l'Europe de l'Atlantique à l'Oural. Et les propositions actuelles de Poutine paraissent aller dans le même sens.

Par Alexandre NACU et Elsa TULMETS
Vignette : Alain LARCAN