Des ligues régionales de football?

Le démantèlement des régimes communistes et le dépeçage de certains pays (URSS, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) ont conduit logiquement à la création de nouvelles ligues nationales de football. Toutefois, celles-ci sont le plus souvent moins viables financièrement et surtout de niveau plus faible que les anciennes ligues. C'est pourquoi de nombreux dirigeants de clubs souhaitent aujourd'hui la mise sur pied de ligues régionales de football.


Si les difficultés financières frappent l'ensemble des équipes centre et est-européennes depuis une dizaine d'années, elles touchent plus particulièrement les anciennes républiques de l'Union soviétique, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie. Dans ces pays, en effet, la taille du marché du football (nombre de clubs, circulation de capitaux) s'est considérablement réduite. Le nombre de spectateurs a, quant à lui, baissé en conséquence, ce qui a entraîné la perte de sponsors. Si l'on ajoute la "fuite" des meilleurs joueurs (et donc à une perte de compétitivité dans les coupes de l'UEFA) vers les équipes d'Europe occidentale, on comprend que certains dirigeants veuillent que leurs équipes jouent dans des ligues régionales. A l'heure actuelle, trois grands projets circulent plus ou moins secrètement, sans qu'il soit possible d'identifier avec certitude leurs auteurs. Il ne fait nul doute que ces projets bénéficient du soutien de plusieurs clubs, notamment des plus grandes équipes des championnats nationaux, souvent "trop" fortes face à un nombre d'adversaires réduit tant quantitativement que qualitativement. Mais il faut aussi comprendre que, pour des raisons politiques, tout soutien officiel et ouvert à ce type de structure est un exercice périlleux. Qui souhaiterait, en effet, être accusé de "nostalgique" de l'ancien pays ? Mais quelles formes prendraient donc ces ligues régionales ? En quoi seraient-elles réalisables ?

La ligue Alpes-Danube-Adriatique

Ce projet reprend une dénomination très utilisée en Slovénie. La ligue comprendrait des clubs de quatre pays de cet espace géographique, dont le Dinamo Zagreb, l'Olimpija Ljubljana, Sturm Graz et MTK Budapest. Pendant sa première année d'existence, la ligue serait composée des trois meilleures équipes de chaque pays, sélectionnées au vu de leurs résultats pendant les dix dernières saisons. A l'issue de chaque année, les deux dernières équipes seraient reléguées. Le nombre de clubs (trois) pour chaque pays resterait inchangé afin de préserver le caractère international du championnat.

En raison de la proximité des villes, cette ligue présenterait l'avantage de réduire les frais de déplacement des équipes et d'inciter les supporters à voyager. En revanche, une telle compétition marginaliserait les championnats nationaux et les moyens financiers plus importants dont disposent les équipes autrichiennes pourraient entraîner un certain déséquilibre. Mais ce projet recevrait sans doute l'aval de l'UEFA, à condition bien sûr que les participants continuent de jouer dans leurs ligues respectives et dans les coupes de l'UEFA. Plus à l'Est, un projet plus ambitieux est proposé.

La ligue balkanique

Ce championnat serait plus important encore puisqu'il comprendrait 18 équipes issues de six pays différents (Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Macédoine, Roumanie et Yougoslavie). La fin de chaque saison verrait l'élimination des quatre équipes les plus faibles, quelle que soit leur appartenance nationale. Cela voudrait dire qu'un pays pourrait ne plus avoir aucun représentant. Cependant, le règlement prévoirait que, la saison suivante, le pays en question serait assuré d'avoir au moins une équipe, quoiqu'il advienne. Enfin, chaque pays ne pourrait pas fournir plus d'un tiers des équipes (c'est-à-dire 6 sur 18) et le nombre maximum de représentants d'un pays donné changerait tous les quatre ans, en fonction du classement des équipes nationales établi par l'UEFA.

Quels sont les avantages de cette ligue ? Tout d'abord, le championnat permettrait de renouer les anciennes rivalités entre équipes serbes et croates, ce qui attirerait sans doute un plus grand nombre de spectateurs. Mais, en même temps, cela pourrait poser des problèmes de sécurité, ce qui nécessiterait de nouveaux investissements. Il est fort à parier que ce genre de championnat recevrait malgré tout le feu vert de l'UEFA, poussée par la volonté manifeste des autorités ouest-européennes de consolider économiquement et politiquement l'espace balkanique. Pour les raisons inverses, le projet serait susceptible de se heurter à de fortes oppositions à l'intérieur même des pays participants, en particulier en Croatie, pays profondément ancré, il est vrai, en Europe centrale. Enfin, il existe un troisième projet de création de ligue, qui serait de taille équivalente au championnat balkanique.

La ligue centre-européenne

De composition semblable à la ligue Alpes-Danube-Adriatique, elle incorporait en plus des équipes slovaques et tchèques, mais son fonctionnement serait identique à celui de la ligue balkanique. Elle regrouperait ainsi des équipes de six pays: Autriche, Croatie, Hongrie, République tchèque, Slovaquie et Slovénie. Il s'agit peut-être du championnat le plus relevé et donc susceptible d'attirer le plus de sponsors. Mais il court par là même le risque de marginaliser les championnats nationaux et donc d'attiser le mécontentement des équipes non-participantes.

L'exemple du basket-ball

Si ces projets sont encore à l'état embryonnaire et ont assez peu de chance d'être réalisés, ils peuvent néanmoins s'appuyer sur l'exemple d'autres sports, tels que le basket-ball. La première ligue régionale date de 1999-2000, avec le lancement de la Ligue de Basket-ball nord-européenne (NEBL), un championnat regroupant seize équipes de douze pays d'Europe occidentale, centrale et orientale: Pologne, République tchèque, Ukraine, Russie, Angleterre, Pays-Bas Estonie, Finlande, Suède, Estonie, Lettonie, Lituanie et Danemark. L'équipe danoise Magic Great Daners a même réussi à attirer dans ses rangs le joueur américain Earvin Magic Johnson, qui, en plus de ses obligations outre-atlantique, effectue le déplacement en Europe à chaque match des Daners en NEBL. Enfin, il faut mentionner le lancement cette année de l'Euroligue, qui menace déjà la traditionnelle Suproligue, organisée par la Fédération internationale de basket-ball (FIBA).

Mais bien au-delà de ces trois projets, les enjeux sont aujourd'hui plus cruciaux encore pour le football. L'UEFA, en manque de finances, avait proposé il y a quelques années la mise sur pied d'une ligue regroupant les 30 meilleures équipes d'Europe. Cela avait bien sûr entraîné une vive réaction de celles qui y étaient exclues. Aujourd'hui, ce sont les clubs eux-mêmes qui souhaitent former leur propre ligue, indépendante de l'UEFA. Parmi eux, citons Feyenoord, Ajax, Rosenborg ou encore Glasgow Rangers. Du coup, petits et moyens clubs ainsi que la plupart des fédérations nationales se rangent du côté de l'UEFA pour faire valoir leurs droits et clamer leur opposition à un tel projet. Mais à l'instar du basket-ball, le ballon rond en Europe semble s'orienter vers une "américanisation".

En effet, aux Etats-Unis, les fédérations sportives ne s'occupent que de la représentation. Les compétitions, elles, sont organisées par les équipes elles-mêmes. On pourrait donc assister au développement de petites ligues à travers tout le continent et pas uniquement en Europe centrale et orientale. Après tout, les autorités de football de la région ont déjà fait la preuve de leur coopération à plusieurs reprises de par le passé. En 1999, les ligues nationales autrichienne, hongroise et croate avaient prévu de proposer une candidature commune pour le Championnat d'Europe des nations 2004 avant de se rabattre sur un dossier austro-hongrois. Mais en dépit du soutien très marqué du chancelier Klima et du Premier ministre hongrois Viktor Orban, la compétition avait été accordée au Portugal. Souvenons-nous également de la Coupe centre-européenne, qui, pendant 65 ans (1927-1992), a rassemblé aussi des équipes italiennes, et dont le dernier vainqueur -ironie du sort, a été une équipe bosniaque (Borac Banja Luka).

Enfin, il y eut aussi la Coupe balkanique (1960-1994), compétition inspirée de l'ancienne Coupe des nations balkaniques (1929-1980). Reste à savoir maintenant lesquels des clubs ou des fédérations seront les premiers à exposer au grand jour un projet de ligue régionale et quelle sera la réaction de l'UEFA.

Par David BEAUSOLEIL
Vignette : Ligue balkanique de football