A. Baltag a obtenu un master de relations internationales à Nice et prépare actuellement un doctorat à l’Université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca (Roumanie). Il revient ici sur son expérience et sur le mouvement francophone moldave.
Vous avez participé au lancement de la Maison des Savoirs à Chisinau. Comment est né ce projet et dans quels buts ?
Alexandru Baltag : Le projet Maison des Savoirs de Chisinau est né d’une Convention tripartite signée entre la ville bénéficiaire (Chisinau), l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et l’Association internationale des maires francophones (AIMF). Ce projet fait suite à l’engagement du Secrétaire général de la Francophonie, Son Excellence Monsieur Abdou Diouf, pris lors du XIe Sommet de la Francophonie qui s’est tenu en septembre 2006, et visant à lancer trois projets pilotes, dont celui des Maisons des Savoirs. Celle de Chisinau est un projet pilote de l’OIF et de l’AIMF.
La Maison des Savoirs de Chisinau a pour objectif d’être un outil au service du plan de développement de la ville. Ce projet a pour ambition de donner à toute la population de Chisinau un accès partagé aux savoirs et, par conséquent, d’augmenter ses capacités à contribuer à la réalisation des objectifs socio-économiques et culturels de Chisinau. Placée sous la responsabilité des autorités municipales, la Maison de Savoirs est le fruit d’un partenariat entre les acteurs locaux et étrangers : OIF, AIMF et Académie des études économique de Moldavie, en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie, TV5 Monde, le ministère moldave des Affaires étrangères et de l’intégration européenne et celui de l’Education.
La Maison des Savoirs de Chisinau, inaugurée le 29 janvier 2010, offre de multiples services, tels que l’accès aux outils informatiques et aux ressources Internet, une bibliothèque et des ressources documentaires en ligne, des sources pédagogiques et audio-visuelles, etc.
Quelle place occupe l'Europe dans la programmation du projet ?
L’Europe y occupe bien évidemment une place centrale puisque Chisinau est la première et, pour le moment, l’unique ville d’Europe qui bénéficie d’un tel projet soutenu par l’OIF. De plus, la Maison des Savoirs de Chisinau a déjà lié d’étroites relations de collaboration avec les ambassades des pays européens francophones en Moldavie (France, Roumanie, Suisse, Belgique, Bulgarie), avec la Délégation Wallonie-Bruxelles de Bucarest, avec les sous-divisions de l’OIF en Europe (Centre régional francophone pour l'Europe centrale et orientale -CREFECO-, Antenne régionale pour les pays de l'Europe centrale et orientale -APECO-), mais aussi avec les autres opérateurs francophones (Alliance française de Moldavie, antenne de Chisinau de l’Agence universitaire de la Francophonie).
La représentation et la préséance des pays francophones européens dans les espaces de la Maison des Savoirs constituent un élément central du projet multiculturel qu’elle porte. Par ailleurs, les discussions informelles, les conférences ou visioconférences qui y sont organisées abordent des sujets ayant trait à l’Union européenne, aux valeurs et aux principes européens, ainsi qu’aux relations moldo-communautaires.
L’un des objectifs du projet est de répondre aux demandes de la population, notamment dans une période marquée par un processus d’européanisation et de démocratisation du pays. Dans la mesure où les gens s’intéressent de plus en plus aux sujets relatifs à l’Europe et à l’UE, cette thématique est naturellement et constamment abordée dans la programmation.
Source photographie : Alexandru Baltag
Comment la Maison des Savoirs s'intègre-t-elle parmi les autres acteurs francophones (Alliance française, Agence universitaire de la Francophonie –AUF-, actions de coopérations décentralisées, etc.) ?
La Maison des Savoirs de Chisinau est un espace ouvert mis à la disposition d’un public diversifié d’apprenants, de formateurs et de citoyens. Le but du projet étant le développement et la promotion en Moldavie de la langue française, de la culture et des valeurs francophones, c’est tout naturellement que la Maison des Savoirs entretient des relations de collaboration avec l’Alliance française de Moldavie, l’AUF et l’Association moldave des professeurs francophones. La Maison des Savoirs est complémentaire des activités des autres acteurs francophones dans le pays, cet espace de formation et d’autoformation étant ouvert à la collaboration des différents opérateurs de la Francophonie et des organismes partenaires.
Il ne s’agit pas d’une mise en concurrence et la programmation de la Maison vise à enrichir et développer la francophonie en Moldavie, à assurer l’appropriation de la culture numérique par plusieurs missions éducatives, sociales et culturelles parmi les jeunes, professeurs, enseignants, chercheurs et formateurs.
Plus globalement, comment expliquer l'importance du mouvement francophone en Moldavie ?
Je dirais que le mouvement francophone en Moldavie inclut deux dimensions, l’une culturelle et éducationnelle -la plus forte d’ailleurs- et l’autre politique.
Du point de vue culturel et éducationnel, il faut mentionner que la francophonie a joué un rôle important dans le processus de renforcement des institutions moldaves dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’alphabétisation. On peut souligner le fait qu’en 2009, selon les statistiques officielles moldaves, 50% des élèves, lycéens et étudiants moldaves parlaient ou étudiaient le français. De plus en plus de jeunes souhaitent faire leurs études dans un pays francophone, notamment en France, Belgique et Suisse, ce qui montre bien que le mouvement francophone conserve une certaine influence dans la mobilité des jeunes moldaves, à la fois parce qu’il suscite un intérêt en soi mais aussi du fait de l’offre de bourses et du prix des formations.
Par ailleurs, le mouvement francophone, qui inclut toutes les organisations de la Francophonie, garde comme but la promotion des valeurs démocratiques, de la paix, des droits de l’homme et de l’égalité sociale. Pour nous, les Moldaves, la francophonie représente un pas vers l’intégration européenne. Grâce à l’OIF, dont la République de Moldavie est membre depuis 1996, grâce à l’AIMF (dont la municipalité de Chisinau est membre depuis 1996 également), nous avons la possibilité de consolider et d’enrichir nos relations diplomatiques et politiques bi- et multilatérales.
En outre, l’échange culturel et éducationnel entre la Moldavie et les autres pays francophones constitue un atout non négligeable pour la diplomatie moldave, particulièrement dans le cadre du processus de globalisation. Il ne faut pas oublier que les langues française et roumaine (langue officielle de la Moldavie) partagent une origine latine commune, ce qui facilite le rapprochement des pays et des populations de ces pays. La latinité constitue l’élément clé qui définit notre appartenance à la culture et aux valeurs européennes.
La Moldavie s'était portée candidate pour l'organisation d'un sommet de la Francophonie. Qu'en est-il aujourd'hui ?
L’organisation d’un sommet de la Francophonie en Moldavie représente un objectif essentiel pour la diplomatie du pays et du point de vue de son prestige international. Je suis convaincu que cet objectif reste à l’ordre du jour pour le gouvernement, alors que la Moldavie est l’un des principaux bénéficiaires européens des fonds francophones. Un exemple l’attestant est la présence de trois institutions francophones: l’Alliance française, l’Agence universitaire de la Francophonie et la Maison des Savoirs. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le rôle de la diaspora moldave dans les pays francophones, surtout en France et au Québec.
La Moldavie est aujourd’hui confrontée à un problème de visibilité dans l’arène internationale et la diplomatie moldave travaille actuellement à la promotion de l’image du pays. L’organisation d’événements internationaux dans la capitale moldave constitue donc une tâche essentielle pour nous.
La nomination d'un nouvel Ambassadeur en France, Oleg Serebrian, connu pour son engagement francophone, vous rend-elle plus optimiste quant à la visibilité de la Moldavie en France ?
Je connais O.Serebrian depuis 7 ans, ayant eu la chance de travailler avec lui et de l’avoir comme professeur à l’Institut européen des hautes études internationales de Nice. Je crois qu’il n’y avait pas de meilleure candidature que la sienne à ce poste. O. Serebrian entretient de bonnes relations avec les milieux académique et politique français; il est très apprécié en France.
Entretenir de bonnes relations de coopération avec la France, pays moteur de l’Union européenne, est essentiel pour la population moldave et pour notre gouvernement. O. Serebrian, je n’en doute pas, œuvrera au rapprochement de nos deux pays.
* Florent Parmentier est l’auteur de Moldavie. Les atouts de la francophonie, Non Lieu, Paris, 2010.
Photographie: Alexandru Baltag.