Entretien avec Kevin O’Connell, directeur adjoint d’Europol : « Les nouveaux États membres vont nous permettre d’intervenir plus efficacement grâce aux connaissances et au professionnalisme de leurs polices respectives »

EUROPOL est l'Office Européen de Police. Il a pour but de faciliter l'échange de renseignements entre polices nationales en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale et de pédophilie.


Regard sur l'Est : Pensez-vous que l'Europe et les responsables politiques européens sont aujourd'hui prêts à se donner les moyens politiques mais aussi financiers de créer une police européenne supra-nationale, et d'harmoniser les législations à l'échelle européenne?

Kevin O'Connell : Les États membres ont déjà beaucoup œuvré pour harmoniser leur législation. Mais harmoniser des législations n'est pas synonyme de superposer une instance à des entités nationales. La souveraineté des pays reste aujourd'hui intacte et vous savez bien que certains Etats membres défendent cette idée plus que d'autres. Je pense qu'une police européenne ne peut se superposer dans les cinq années qui viennent aux polices nationales d'autant que la réussite d'Europol est avérée.

Pour l'heure, la mission d'Europol est de faciliter, encourager et coordonner les actions communes et en harmoniser les axes. Elle s'accompagne d'un objectif complémentaire, celui de partager des informations entre les différentes polices européennes pour lutter plus efficacement contre toutes les formes de criminalité en Europe.

Les dix nouveaux Etats membres sont-ils devenus automatiquement membres d'Europol ? Y-a t-il eu des coopérations au préalable ?

Nous avons eu en effet des conventions de coopération ces trois dernières années avec les nouveaux Etats membres. Depuis leur adhésion, le 1er mai dernier, leur statut a changé. Ils doivent logiquement rejoindre Europol et participer à nos actions communes. Néanmoins, cette étape ne peut être automatique pour des raisons de législation nationale. En effet, certains Etats doivent adapter leur législation au cadre juridique de la " Convention Europol ". Ce qui prendra sans doute quelques mois. Ainsi, le 1er septembre, sept pays ont rejoint Europol. En octobre, ce sera au tour de la Pologne. Il restera ensuite Malte et l'Estonie. En attendant, chaque Etat est représenté par un officier de liaison au siège d'Europol.

Y a-t-il des grands pôles de criminalité en Europe?

Il est effectivement possible de distinguer certaines zones propices au développement de la criminalité, comme les Balkans, qui ont un rôle de carrefour et de zone de transfert vers d'autres pays européens. Mais il faut savoir qu'identifier la criminalité est une tâche ardue. D'autant plus que la définition de la criminalité organisée n'est pas encore entièrement arrêtée et homogène. Certains Etats présentent une criminalité en col blanc* et d'autres sont sujets à une criminalité beaucoup plus orientée sur le trafic de drogues et d'êtres humains.

Parmi les nouveaux Etats membres, les petits pays nous confirment qu'ils n'ont pas de grands problèmes liés à la criminalité organisée. D'une manière générale, c'est surtout aux frontières des grands pays que les trafics sont les plus vivaces, notamment entre les pays pauvres et riches.

N'oublions pas non plus que les populations peuvent aussi contribuer au développement de la criminalité organisée, notamment pour la drogue. S'il n'y a pas de consommateurs, il n'y a pas d'implantation. Donc plus le pays est grand, plus c'est rentable.

L'élargissement à l'Est est-il un moyen de lutter plus efficacement contre l'internationalisation du crime organisé?

L'élargissement nous oblige en effet à mieux comprendre les réseaux et la manière dont ils fonctionnent. D'un autre coté, les nouveaux Etats membres vont nous permettre d'intervenir plus efficacement grâce aux connaissances et au professionnalisme de leurs polices respectives. J'ai déjà rencontré tous les responsables des polices nationales et je suis très optimiste sur les possibilités d'action et de lutte en commun.

L'élargissement de l'UE n'est-il pas un frein, de fait, dans le développement des actions pour Europol ?

Cette question n'est pas sans fondement. Mais je pense que l'on devait réaliser le plus rapidement possible l'élargissement aux anciennes démocraties populaires ainsi qu'à Chypre et Malte. Pour ensuite approfondir les choses, dans un consensus à l'échelle des 25 Etats européens.

Je peux citer pour exemple Chypre qui se situe à deux pas du Liban et de la Syrie. Nous avons beaucoup à apprendre de leurs méthodes de travail et de leur approche culturelle dans ce domaine. Il faut miser sur l'expérience et l'apport culturel de tous les pays pour nous enrichir mutuellement.

Quand on voyage dans les pays nouveaux membres, on se sent parfois beaucoup plus en sécurité. N'est-ce pas paradoxal lorsque l'on pense aux craintes sécuritaires exprimées à l'Ouest quant à l'adhésion de ces pays ?

Dans de nombreuses capitales telles que Varsovie, Riga ou Prague, et bien d'autres, on ne se sent pas menacé à chaque coin de rue. Je ne sais pas d'où provient cette anxiété. Mon rôle est également de faire tomber les préjugés. Une plus grande connaissance de ces nouveaux pays membres adoucirait ces craintes.

La lutte contre le terrorisme, qui relève en partie d'Europol, devient-elle plus facile ou plus difficile avec l'élargissement de l'UE à l'Est ?

Il faut noter un point essentiel. Le terrorisme est aussi important pour les 15 que pour les 25. Notre collaboration n'en sera que renforcée. Mais la difficulté persiste car c'est aussi un terrorisme de rue. Pour lutter contre cette forme de terrorisme, la collaboration des services de renseignement et de police doit être totale. Dans ce domaine, il y a un vrai travail à faire. Les services de renseignements sont souvent à part. Nous cherchons donc à mieux coordonner le renseignement et l'action policière. Pour réussir ce pari, il faut plus de créativité au niveau administratif.

* Il s'agit de la criminalité financière, économique et sociale.

Par François GREMY et Daniela HEIMERL