Etudier en Russie : petit mode d’emploi

Passés les examens de fin d'études secondaires et le traditionnel bal de fin d'année, les jeunes russes, âgés de 16 à 17 ans, se lancent dans la course aux concours d'entrée dans les universités et établissements d'enseignements supérieurs, les fameuses "VUZY".


Un “marché de l’éducation” en effervescence

Le changement de régime ne s’est pas accompagné, loin de là même, d’une désaffection pour les études. Avec le développement d’un marché du travail et l’apparition de nouveaux métiers, de très nombreux établissements privés ont ouvert et sont venus faire concurrence aux anciennes universités. Pour que les étudiants russes puissent s’y retrouver, des publications, magazines et annuaires, à l’image du très répandu “Kouda poiti outchitsa?” (Où aller étudier?) sont en vente dans tous les kiosques moscovites. Les foires de promotion des établissemens et privés russes et étrangers fleurissent également en Russie. C’est dans un environnement compliqué, où règne une concurrence souvent peu scrupuleuse de leur avenir, que les étudiants russes doivent aujourd’hui s’aventurer.

Optimisme et pragmatisme

Malgré le flou qui règne dans l’enseignement supérieur russe et le maintien de pratiques peu compatibles avec un enseignement de qualité (achat des profs, des examens...), les étudiants russes jugent que la situation s’améliore et qu’ils peuvent avoir confiance dans l’avenir. Néanmoins, ils font plus confiance à leur réseau de connaissance qu’à leur diplôme pour trouver un emploi.

Selon une étude publiée dans les Izvestia fin août 2002, alors que seuls 41% des étudiants disaient avoir confiance dans l’avenir en 1995, cinq ans plus tard, en 2000, ce sont près de 58% d’entre eux qui exprimaient leur sérénité. Si cette plus grande confiance est due aux changements du climat social et économique en Russie (l’étude a été réalisée uniquement sur Moscou), le sentiment que les cursus proposés sont plus adaptés au marché du travail entre certainement aussi en ligne de compte: seuls 29% des étudiants étaient satisfaits du contenu de leurs études en 1995, contre 44,5% en 2000.

Si faire des études supérieures demeure aux yeux des Russes une valeur importante, et même s’ils ont le sentiment que les cursus évoluent dans le bon sens, les étudiants ne pensent pas qu’un diplôme soit le meilleur gage d’une carrière professionnelle réussie. Interrogés sur les atouts de la réussite, 64,4% des étudiants citent les relations et soutiens personnels. Suivent, ensuite, l’esprit d’initiative (49,4%) et les études (seulement 34,7%).

Des étudiants et des cursus variés

“Oh la la, c’est terrible, je ne suis prise qu’en cours du soir. Pourtant, j’ai eu 13 points (nombre de points suffisants pour s’inscrire en cours du jour) mais comme il fallait choisir avant les résultats et que je ne pensais pas réussir aussi bien, j’avais choisi les cours du soir où on prend les étudiants qui ont entre 10 et 12. En cours du soir, il n’y a que 4 heures par jour et les études durent un an de plus, et puis on ne peut pas se spécialiser dès la 1ère année. C’est vraiment dommage.” C’est la rentrée à la faculté de journalisme, et par comble de malchance, Irina qui suit des cours préparatoires depuis 2 ans à la faculté, se retrouve reléguée au cours du soir car elle n’a pas su parier correctement sur ses résultats au concours d’entrée. Mais tout n’est pas perdu: “Si je n’ai que des 5 [la note maximale] aux examens de fin d’année, je pourrai rejoindre les cours du jour en 2ème année” espère-t-elle.

Dans les couloirs des universités russes, on croise ainsi plusieurs types d’étudiants: “ceux des cours du jour”, groupe le plus prestigieux; “ceux des cours du soir” qui se sont retrouvés moins bien classés au concours d’entrée; et ceux, plus rares, présents seulement aux périodes d’examens, qui suivent les cours par correspondance.

Ainsi, si les “étudiants du jour” peuvent entrer dans les musées au tarif étudiant, leurs collègues du soir ne peuvent bénéficier de ce privilège... Relégués au rang de semi-étudiants, ceux-ci ont pourtant le mérite de faire deux journées en une, boulot et études.

Nombreux sont ceux qui, après avoir suivi une première formation durant cinq ans, se lancent dans de nouvelles études, dites complémentaires. Parce que les cursus ne sont pas toujours adaptés, ou par précaution, les étudiants russes accumulent les diplômes. La quasi-absence de diplômes intermédiaires et de passerelles entre les différentes facultés enferme les étudiants dans des cursus longs et très spécialisés. En cumulant les diplômes, les étudiants essaient ainsi de se donner un profil plus complet: après des études de langue, on se lance dans de l’économie. Mais faire des études complémentaires coûte cher: selon la loi sur l’Education, l’Etat ne garantit des places gratuites que pour les formations “initiales”. Les universités sont ainsi libres d’instaurer le paiement des études complémentaires, ce qu’elles se sont empressées de faire.

Economie et droit: un engouement continu

Les facultés de droit et d’économie restent parmi les plus prisées en Russie. Dans les meilleurs établissements proposant des cursus en économie et management, on ne compte pas moins de 7 à 10 candidats par place. En quelques années, le nombre de facultés dans ces domaines a crû considérablement et selon Vassili Kolessov, doyen de la faculté d’économie de l’Université de Moscou “les établissements supérieurs techniques, les instituts de médecine ouvrent des chaires d’économie. La profession en est dévaluée, les formations sont de mauvaises qualité”

En outre, depuis plusieurs années, le nombre de diplômés en économie est bien supérieur aux besoins du marché, selon la revue Dengui qui n’hésite pas publier fin juin la liste des 100 meilleurs diplômés en économie. Palmarès qui fait apparaître le fossé entre la réputation des établissements moscovites et les universités de province: les 100 diplômés ont été sélectionnés uniquement parmi les écoles moscovites.

Ne pas faire l’armée

“Je me prépare à entrer à l’institut de mécanique automobile de Moscou. Pour moi, le plus important en ce moment, c’est de réussir à entrer à l’institut: je ne veux pas aller à l’armée. A quoi bon perdre deux années?”. Kirill Tcheremissinov, élève en 11e à Moscou a encore ses chances. Ce n’est pas le cas de son camarade de classe Stanislav Kourakhtsiï qui confiait en juin au journal Bolchoï Gorod “ J’irai à l’institut automobile de Moscou. J’ai suivi durant deux ans les cours préparatoires mais j’ai loupé les examens de physique. Maintenant, il faut rejoindre les rangs. Je n’ai pas peur de l’armée mais ça me fait de la peine pour mes parents. Ils ont dépensé tant d’argent pour moi, et j’ai échoué.”

Echapper au service militaire est donc une motivation sérieuse d’entreprendre des études pour les jeunes Russes. A défaut de carte d’étudiant, l’appel sous les drapeaux est incontournable. L’inscription dans un établissement supérieur permet d’obtenir un report. Et les établissements privés n’hésitent pas à mettre en avant cet argument pour recruter des étudiants. Etre diplômé ne suffit pas nécessairement à échapper définitivement au service. Ceux qui ne suivent pas les cours des chaires militaires sont souvent rattrapés par l’armée après leurs cinq années d’études à peine achevées. Pour ceux qui suivent les cours de la chaire militaire, tout n’est pas gagné: certains iront servir comme officiers. Mais comme témoigne Sergueï, diplômé de la faculté de journalisme et qui a reçu une convocation à un mois de la remise des diplômes “la chaire militaire, ce n’est pas facile. Tout le monde ne peut pas suivre les cours et si tu es absent une fois, tu es viré.”

La fin des concours d’entrée?

Depuis la rentrée 2000, le ministère de l’Education a mis en place, de façon expérimentale, un diplôme de fin d’études secondaires unique, désigné sous les abrévations EGE. L’EGE devrait à terme se substituer à “l’attestat” l’actuel diplôme de fin d’études secondaires, mais surtout aux concours d’entrée dans les universités et instituts. Le nouvel examen consiste en 5 épreuves dont deux matières seulement sont imposées: le russe et les mathématiques. Les élèves peuvent ensuite choisir 3 matières selon leur profil et surtout selon les critères de sélection posés par les universités.

Ainsi l’EGE ne permettra pas de se présenter dans toutes les universités mais uniquement dans celles qui correspondent à la spécialité choisie à l’examen. Contrairement à la pratique actuelle, les élèves (263.000 en juin 2002), passent les épreuves hors de leur établissement. Quant à la correction des épreuves, elle est assurée par un jury composé d’enseignants mais aussi de parents d’élèves, de responsables des administrations locales, de représentants d’autres secteurs. Ceci afin de diminuer les possibilités de corruption. En 2000, l’EGE a été expérimenté dans 8 régions, en 2001 dans 16 régions russes. Il devrait être étendu en 2004 à toute la Russie, mais l’expérience n’a pas que des partisans et le projet pourrait ne pas aboutir.

Outre la suppression des concours d’entrée (mais pas de la sélection qui se ferait sous forme de numerus clausus à partir des notes obtenues à l’EGE), ce nouveau diplôme doit modifier le système de financement des étudiants russes. Ils se divisent aujourd’hui en deux catégories dans les université publiques: les “bioudjetnie” et les “platnie”, ceux qui font leurs études gratuitement, et les étudiants qui ayant obtenus de moins bons résultats, versent des frais de scolarité conséquents (à Moscou, ils sont de l’ordre de 3.000 dollars l’année). Ce système est complété par un système de bourses, dont le montant reste très faible.

A terme, le financement des études dépendra du résultat à l’EGE: 5 catégories ont été définies selon le nombre de points accumulés. A chaque catégorie correspondra un niveau d’aide financière accordée par l’Etat (de la gratuité pour les meilleurs au paiement plein tarif pour les moins bons).

Par Ludmila BYLODUCHNO