Européisation à vitesse slovaque

En juin 1995, le Premier ministre slovaque de l’époque, Vladimir Meciar, dépose à Cannes la demande d'adhésion de son pays à l'Union européenne. En avril 2003, le Traité d'adhésion est signé à Athènes.


Un mois plus tard a lieu le référendum sur l'entrée du pays dans l’UE: il s'agit du premier référendum organisé en Slovaquie. Le taux de participation y est supérieur à 50% et le vote se révèle favorable à l’adhésion à 92%. Le 1er mai 2004, la Slovaquie rejoint l’UE avec neuf autres autres pays. Cinq ans plus tard, peut-on parler d´une Slovaquie "européisée"?

L'européisation désigne la transformation des sociétés européennes dans différents domaines. Elle concerne l’évolution de la perception géographique de l’Europe, conséquence de l’adhésion de nouveaux pays, l'acceptation d'une politique et d´un système nouveaux et l'influence des institutions européennes sur la vie politique et économique du pays en question.

Alors que le phénomène d'"euroscepticisme", si fréquemment évoqué dans la plupart des pays concernés, est pratiquement absent de Slovaquie, comment expliquer que ce pays se soit distingué par des taux d'absention records, tant lors des élections européennes de 2004 (17%) que de celles de 2009 (20%)?

Un vice-Président optimiste face à une population peu engagée

Pourtant, depuis 2003, on peut observer chez les Slovaques un sentiment pro-européen très fort. Selon Dusan Caplovic, vice-Président du gouvernement et ministre slovaque des Affaires européennes, l’adhésion à l’Union européenne était pour Bratislava "le seul chemin possible". Cet enthousiasme ne concernait pas seulement quelques élites acquises à la cause et ouvertement pro-européennes. Paradoxalement, même le Parti communiste était favorable à l’adhésion, tout comme la majeure partie de la population.

En 2007, Dusan Caplovic a déclaré que "la Slovaquie marche désormais à la vitesse européenne" et que, malgré la très faible participation aux élections européennes, "elle fait partie des leaders européens dans certaines affaires courantes".

La gestion controversée des subventions européennes

A la différence d’autres pays qui affichent ouvertement leur "euroréalisme", comme la République tchèque de Vaclav Klaus ou bien la Pologne de Lev Kaczyński, il n´y a pas beaucoup de désaccords concernant les affaires européennes sur la scène politique slovaque. La "fierté de faire partie de l’Europe" est un élément récurrent de la plupart des discours politiques. Le seul point faible que l’on puisse mettre au passif des hommes politiques concerne le manque de transparence en matière de gestion des subventions européennes.

Depuis quelques années, Bratislava essaie de désigner l'organisme qui doit assumer la responsabilité de la gestion des subventions européennes. Deux formations politiques différentes, le Parti national slovaque (SNS) et Direction (Smer), rivalisent pour le contrôle de ces financements. De plus, les partis politiques slovaques débattent sur les changements du Cadre de référence stratégique national, qui détermine la façon dont doivent être gérées ces subventions. Même si, officiellement, c’est le ministère de l'Equipement qui est chargé de cette tâche, les partis politiques n’ont de cesse de remettre en question ses compétences, s’appuyant dans leur critique sur quelques problèmes de transferts d’argent qui ont bien évidemment été largement médiatisés...

Selon la Commission européenne, la Slovaquie aurait transgressé le Traité de Rome de 1957 en choisissant, pour la gestion des fonds européens un consortium d’entreprises lié au Parti national slovaque, sans prendre la peine d'organiser un véritable appel d’offre public. La manière dont sont choisies les autorités qui ont compétence pour la réalisation des projets européens est dont mise en question. Ce qui ne va pas sans provoquer l'inquiétude, tant au sein de la population slovaque qu’auprès des autorités européennes.

De ce fait, les subventions européennes constituent sans doute l’un des thèmes les plus porteurs de la vie politique en Slovaquie depuis quelques années. Mais cette focalisation, liée aux scandales et désaccords, ne traduit-elle pas en outre un manque d'intérêt pour les autres sujets d'actualité?

Un Premier ministre qui n'aime pas les sommets européens

En décembre 2006, le Premier ministre slovaque Robert Fico a participé au sommet de l'Union européenne à Bruxelles. "Je ne comprends pas pourquoi les Premiers ministres doivent discuter de choses qui peuvent être résolues par les ministres", s’est-il étonné à cette occasion. Selon lui, les véritables leadersdevraient s'occuper des problèmes de la vie quotidienne des "gens normaux". Et d‘insister sur le fait que les Slovaques sont bien plus intéressés par ces problèmes quotidiens que par les réformes européennes. Son attitude rejoint celles des dirigeants d‘autres pays: l´Union européenne serait un moyen de défendre ses intérêts nationaux, ce qui ressort en particulier lors des élections européennes. On insiste sur une "identité slovaque", qui serait stable et évidente pour chaque citoyen; l'idée européenne passe, semble-t-il, au second plan.

Le "retour en Europe" de la Slovaquie

"Le retour en Europe de l´Europe centrale", qui s´est déroulé de façon très rapide, s’est accompagné de nombreux phénomènes spécifique aux pays de la région et que l´on ne peut pas observer en Europe occidentale. Parmi eux, ressort notamment le cliché du pays ex-communiste dont les vieilles générations manqueraient d´engagement politique.

Comparée à la mondialisation, l'européisation est à l´origine d'une situation nouvelle et beaucoup plus dynamique: l'attractivité d'un nouveau territoire européen est certes très positive mais crée de nouvelles tendances, auxquelles la population doit s'adapter sans délai. La répercussion de ce phénomène se ressent dans tous les domaines: on parle souvent de la nouvelle génération, qui aura fait ses études dans un contexte politique différent de celui qui prévalait jusque là et, pour une bonne part, dans d‘autres pays européens; c’est grâce à cette nouvelle jeunesse que la société sera, d’ici quelques années, encore plus "européisée".

Les Slovaques auront peut-être besoin d'un peu plus de temps pour apprendre à connaître les institutions et les politiques européennes. La culture politique et l'approche des partis, notamment, ne sont pas comparables à ce qu’on trouve dans d'autres Etats européens, révélant une mentalité différente; preuve en est, par exemple, qu'en Slovaquie, il n'y a pas de parti politique véritablement eurosceptique.

* Sara CINCUROVA est étudiante en LLCE (Langues, littérature et civilisation étrangères) russe, à Paris IV Sorbonne.