L'alinéa 4 du préambule de la Constitution garantit le droit d'asile à tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat considèrent que ce droit est mis en œuvre par la loi et les conventions internationales et qu'il ne s'impose pas directement. La France a donc ratifié la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et institué l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) par la loi du 25 juillet 1952. En vertu de la convention, est réfugiée "toute personne qui, craignant d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, à l'exclusion des personnes ayant commis un crime grave de droit commun, un crime contre la paix, un crime de guerre, un crime contre l'humanité ou qui se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies". Eu égard à cette définition, seules sont protégées les personnes victimes de persécutions individuelles et politiques, les termes de la convention ne permettant pas d'octroyer la qualité de réfugié pour des raisons économiques ou humanitaires.
Jusqu'en 1989, le statut de réfugié était logiquement accordé aux dissidents du régime et aux victimes de l'idéologie du parti communiste. Si la chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc soviétique ont entraîné une forte augmentation du nombre de demandes d'asile de la part des ressortissants des pays de l'Est, le nombre de personnes admises à bénéficier du statut n'a pas augmenté proportionnellement.
1989, la fin d'un cycle migratoire
Nombreux sont ceux qui cherchent à quitter leur pays en demandant l'asile politique, mais les raisons les poussant à l'exil, rarement politiques et souvent économiques, ne remplissent pas les conditions de la convention, interprétée de manière restrictive par l'OFPRA. Les Etats en provenance desquels on constate les plus gros flux pour la période 1989-1999 sont : la Roumanie, l'ex-Yougoslavie et l'ex-URSS (Russie, Moldavie et Arménie, essentiellement). On remarque que les demandes des ressortissants biélorusses et albanais sont en augmentation constante ainsi que celles des bosniaques et des croates depuis 1993. Ces derniers mois, on a observé un fort accroissement des demandes bulgares.
A l'inverse, les demandes polonaises n'ont cessé de décroître et celles provenant de Slovénie, de République tchèque ou de Hongrie restent peu significatives.
Ces données sont intéressantes car elles reflètent la situation générale des pays de départ et mettent en évidence des flux migratoires importants. Mais elles ne correspondent pas pour autant à une augmentation des "persécutions politiques" telles qu'admises par la convention et indiquent souvent une détérioration de la situation économique et sociale. En conséquence, un grand nombre de demandes d'asile sont rejetées. L'exemple sans doute le plus significatif est celui des populations tsiganes originaires de Roumanie. Ces populations, traditionnellement nomades, ont pris depuis dix ans le chemin de l'exil, souvent vers la France. Les Tsiganes de Roumanie sont plusieurs milliers a avoir déposé des demandes d'asile, mais un nombre dérisoire s'est vu octroyer le statut de réfugié: moins de 1 %. Au-delà de leur mauvaise coopération avec les autorités de l'Etat d'accueil, l'OFPRA souligne que ces personnes fuient avant tout une situation économique déplorable dont elles sont les premières victimes et qu'elles ne rapportent pas la preuve de persécutions politiques. Le traitement des demandes des populations tsiganes laisse dubitatif car elles sont victimes de persécutions raciales dans les pays d'Europe centrale. La position de l'OFPRA aboutit à un résultat peu éloigné, sinon similaire à celui de l'Allemagne, qui pour opposer une fin de non recevoir à toute les demandes roumaines, a déclaré la Roumanie "pays sûr"[1].
Finalement, on peut conclure que la demande d'asile n'est plus aujourd'hui le principal moyen d'émigrer pour les ressortissants des pays d'Europe de l'Est. La nouvelle nature des migrations et l'importance des flux mettent en évidence une immigration essentiellement économique qui doit être traitée différemment.
Profil des cas contemporains de réfugiés
Cependant, le statut de réfugié est toujours accordé à certains ressortissants d'Europe de l'Est. Leur profil a évolué depuis la fin du régime soviétique.
La disparition du bloc communiste a entraîné des troubles politiques d'une nature nouvelle, entrant dans les critères posés par la Convention de Genève. Ainsi l'émergence de nouveaux Etats indépendants avec pour corollaire la montée des nationalismes, s'impose comme la première cause d'exil politique.
L'indépendance nouvelle des pays du bloc soviétique, la volonté de créer des Etats nations et les revendications territoriales ont entraîné un regain de nationalisme et l'exacerbation des tensions entre les différentes populations d'un même Etat. Dans ce contexte, les minorités nationales sont souvent sujettes à des discriminations flagrantes et volontaires qui justifient l'octroi individuel du statut de réfugié. L'OFPRA a par exemple accueilli favorablement les demandes de ressortissants géorgiens et arméniens victimes du conflit en Abkhazie, ou celles de Russes habitant les pays d'Asie centrale au jour de leur accession à l'indépendance.
Il faut souligner que ces minorités, le plus souvent ethniques, sont parfois aussi religieuses et qu'aux persécutions d'ordre purement politique s'ajoutent des restrictions et des blâmes de toute nature.
Au-delà du cas des minorités, on constate que le statut est octroyé à des personnes qui se trouvent dans une situation juridique ambiguë après la naissance des nouveaux Etats indépendants. L'homosexualité ainsi que le mariage mixte sont des causes fréquentes d'exil. Lors des guerres de Yougoslavie, l'OFPRA a reçu plusieurs demandes de couples serbo-croates ou bosniaques-serbes.
Le statut du réfugié en France
La personne à qui le statut de réfugié politique a été octroyé reçoit une carte de séjour temporaire et renouvelable, valable 10 ans, qui lui permet de travailler sur le territoire français. En principe, il n'est pas interdit au réfugié de retourner dans son pays d'origine, mais cette démarche est contradictoire avec sa situation. Il peut se voir retirer son statut en cas d'abus ou s'il n'apporte pas la preuve que les craintes qu'il avait lors de son arrivée en France sont toujours fondées. Une partie des réfugiés politiques demande la nationalité française, surtout parmi les ressortissants d'Europe de l'Est dont l'intégration à la société française semble assez facile.
Aujourd'hui, alors que la situation politique dans de nombreux Etats d'Europe centrale et orientale tend à s'apaiser, l'OFPRA met en œuvre une "clause de cessation" prévue par la Convention de Genève. Cette clause, qui prend en compte les changements intervenus dans un Etat d'où provient une communauté de réfugiés, permet de retirer le statut aux personnes qui en bénéficient. Elle a été appliquée il y a dix ans aux Polonais, aux Tchèques et aux Hongrois. Plus récemment, elle l'a été aux Roumains et aux Bulgares. Après retrait de leur statut, les réfugiés conservent un droit de séjour et une autorisation provisoire de travail sur le territoire français. Toutefois, le statut leur est laissé s'il conditionne l'octroi de certains avantages sociaux. Cette clause, contrairement à la clause allemande, ne prive pas d'autres ressortissants de ces Etats de la possibilité de déposer une demande d'asile auprès de l'OFPRA s'ils apportent la preuve de persécutions. Leur cas est alors étudié selon une procédure accélérée spécifique et il est permis de penser que les autorités françaises sont en cette circonstance exigeantes, voire draconiennes.
Le processus d'adhésion de certains Etats d'Europe centrale à l'Union européenne et les réformes qui leur sont imposées visent à garantir les droits des minorités sur leur territoire et à renforcer les fondements démocratiques de ces sociétés. En conséquence, les demandes en provenance de ces Etats sont en constante diminution. Désormais, il est urgent d'adopter une interprétation uniforme de la Convention de Genève, que les nouveaux adhérents, eux-mêmes terre d'asile, ont dû ratifier pour que le droit d'asile soit appliqué de façon cohérente au sein de l'Union européenne.
[1] Notion juridique allemande qui permet de refuser l'étude même des dossiers des demandeurs d'asile. En France on ne peut opposer de fin de non recevoir de la sorte. Le demandeur peut toujours, quel que soit sa nationalité, déposer une demande, à charge pour lui de démontrer la véracité des faits allégués. Le rapport d'activité de l'OFPRA pour 1998 vient d'être rendu public. Le nombre des premières demandes d'asile est en légère augmentation pour la deuxième année consécutive, passant de 21 416 à 22 375. Le nombre de réfugiés reconnus a été de 4 342. 19,38% des demandes ont été satisfaites. L'année 1997 avait vu gonfler le nombre de demandeurs roumains (5 140) ; ils forment encore le plus fort contingent (3 027), devant les Chinois. En 1998, c'est le nombre de demandeurs d'asile yougoslaves (Serbie et Monténégro) qui a le plus augmenté.
Par Aurore CHAIGNEAU
Vignette : dans les locaux de l'OFPRA à Fontenay-sous-Bois (© Fabien Leboucq)