Forum des pays exportateurs de gaz: la Russie veut une OPEP du gaz

En juin 2020, le vice-ministre russe de l'Énergie a déclaré que le contexte était favorable à la création d’une instance similaire à celle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), cette fois dédiée au marché du gaz. Le Forum des pays exportateurs de gaz ne peut pourtant pas être considéré dans sa forme actuelle comme le pendant de l’OPEP, trop d’obstacles s’opposant à cette concrétisation.


GazLe Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) a été créé en 2001 à Téhéran. Il comprend actuellement 11 pays membres (l’Algérie, la Bolivie, l’Égypte, la Guinée équatoriale, l’Iran, la Libye, le Nigeria, le Qatar, la Russie, Trinité-et-Tobago et le Venezuela) et 9 États observateurs (l'Angola, l'Azerbaïdjan, les Émirats arabes unis, l'Irak, le Kazakhstan, la Malaisie, la Norvège, Oman et le Pérou). Le FPEG représente environ 71 % des réserves de gaz prouvées dans le monde, 45 % de la production commercialisée, 53 % des gazoducs et 60 % des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL)(1). Il a donc un poids non négligeable.

En 2008, les ministres de l'Énergie des pays participants ont adopté la charte du Forum et signé un accord intergouvernemental visant à définir les procédures encadrant les relations avec les pays consommateurs de gaz. Cet accord prévoit l’échange d'informations concernant les prévisions du marché, la mise en œuvre des programmes d'investissement ainsi que l’application de nouvelles technologies dans l'industrie gazière (avec, notamment, l’organisation de travaux communs sur le GNL).

Quel est le fonctionnement du FPEG ?

La structure organisationnelle du FPEG a trois niveaux : le Sommet interministériel, le Conseil d’administration et le Secrétariat. Le Sommet interministériel est l’organe directeur suprême, composé de délégations représentant les pays membres. Il se réunit une fois par an et adopte des résolutions. Sa dernière réunion s’est tenue en novembre 2020. Le Conseil d'administration, lui, est composé de membres nommés par chaque pays membre du Forum. Il se réunit au moins deux fois par an, sous l’œil de son président, nommé lors du Sommet interministériel. Enfin, le Secrétariat exerce la fonction exécutive du Forum sous la direction du Conseil d’administration et conformément aux mandats du Sommet interministériel. Cet organe directeur du Forum est dirigé par un Secrétaire général élu par le Sommet interministériel pour deux ans renouvelables. Le Secrétaire général actuellement en exercice est le diplomate russe Iouri Sentiourine.

L’organisation repose sur le principe d’égalité des États membres. Ainsi, au sein du Sommet interministériel et du Conseil d’administration, chaque membre dispose d'une voix, quel que soit son niveau de production, d'exportation ou de réserves. Toutes les résolutions des sommets interministériels, autres que celles portant sur des questions de procédure, requièrent l'accord unanime de tous les membres.

La Russie et le FPEG : pour une meilleure coopération

Malgré ce principe proclamé d’égalité, il est clair que le poids de la Russie au sein du forum est conséquent puisque le pays possède les plus grandes réserves de gaz naturel au monde. La Russie reste l'un des principaux producteurs et exportateurs de gaz naturel, tout en étant un acteur-clé dans l’exportation du pétrole. Selon le Global Gas Outlook 2050, document produit par le Forum en 2019, la Russie devrait rester l’un des principaux producteurs de gaz à horizon 2050.

Début juin 2020, lors de la conférence internationale « Gestion des risques dans le secteur de l’énergie – 2020 », le vice-ministre russe de l'Énergie Anatoli Ianovski a évoqué la possibilité de créer une « OPEP du gaz », en faisant référence au rôle important que le Forum des pays exportateurs de gaz pourrait jouer. I. Sentiourine a renchéri, estimant que l'organisation soutenait des mécanismes visant à assurer la stabilité des marchés du gaz : à ce titre, elle pourrait devenir une véritable plateforme de coordination, telle l’OPEP.

Une évolution du FPEG semblerait en effet pertinente dans le contexte actuel : la pandémie de Covid-19 et ses effets sur l’activité économique, dont le transport aérien et routier, un hiver 2019-2020 relativement chaud, la constitution de stocks records de carburants au niveau européen(2)… ont fait considérablement baisser les prix des hydrocarbures lors la première vague de Covid. Ils ont même atteint des niveaux historiquement bas depuis des décennies. Ils ont certes ébauché une légère remontée durant l’été, mais la deuxième vague épidémique a provoqué une nouvelle chute.

Lors de son intervention dans le cadre de la réunion interministérielle du FPEG le 12 novembre 2020, le tout nouveau ministre russe de l’Énergie Nikolaï Choulguinov a insisté sur le développement progressif de la coopération internationale dans le secteur de l'énergie en général, et du gaz en particulier. Il s’est dit favorable à l’approfondissement de la coopération dans le cadre du Forum des pays exportateurs de gaz, y voyant même l'une des orientations prioritaires de la politique énergétique extérieure russe. Pour lui, le fait que le FPEG réunit les 20 plus grands producteurs de gaz lui assure automatiquement un rôle essentiel pour accompagner les mutations en cours du marché du gaz et pour élaborer les futurs mécanismes visant à en garantir le fonctionnement.

Une OPEP du gaz difficile à mettre en œuvre

Or, actuellement le FPEG ne dispose pas de mécanismes d’entente ou de coopération assez poussés pour se voir doter d’un rôle similaire à celui de l’OPEP. S’il est en mesure de fournir une expertise dans le domaine du gaz à ses participants, le FPEG ne permet en revanche pas à ses membres de s’entendre sur les prix.

En 2009, une première tentative de transformation du Forum des pays exportateurs de gaz avait été lancée, mais sans aboutir. Les raisons de cet échec sont multiples. Tout d’abord, il est très difficile de créer un cartel du gaz comme pour celui du pétrole. Un tel accord entre producteurs vise à réglementer la vente d’un bien en vue de stabiliser, voire d’accroître, les profits. Au sein de l’OPEP, des quotas sont mis en place trois fois par an et des ajustements sont faits par les pays disposant de plus de ressources. Pour Dominique Finon, chercheur sur la régulation des industries du gaz(3), tant que la Russie contrôle le marché européen et que le Qatar est le premier producteur de GNL, le modèle de l’OPEP ne peut pas être appliqué pour le FPEG car le marché du gaz est très différent de celui du pétrole. En 2009, lorsque s’était posée la question, l’Algérie et le Qatar – qui ont un poids considérable sur le marché du gaz et sont membres du FPEG – s’étaient d’ailleurs prononcés contre une OPEP du gaz.

En effet, contrairement à celui du pétrole, le marché du gaz est très hétérogène, ce qui rend difficile la possibilité de conclure des accords, les intérêts des exportateurs divergeant largement. Le marché du gaz est divisé en marchés régionaux : on distingue l’Europe – qui est surtout alimentée par des gazoducs –, l’Asie – qui préfère le GNL transporté par bateau – et le marché américain – caractérisé par des contrats de court terme et des infrastructures gazières de proximité. Dans le cas du GNL, il y a fort à parier que le Qatar et les autres fournisseurs importants de GNL n’accepteraient pas de réduire l’approvisionnement du marché si ce sacrifice visait à augmenter le prix du carburant fourni via des gazoducs. En outre, le secteur du gaz est moins rentable que celui du pétrole au regard des capitaux investis ; dès lors, la limitation de la capacité de production reste improbable, les acteurs du secteur cherchant à maximiser leurs profits pour récupérer les investissements réalisés.

Par ailleurs, à la différence du pétrole, le gaz est directement confronté à la concurrence d’autres types d’énergie. Il peut autant se substituer que se voir substituer au charbon ou aux énergies renouvelables. Son prix n’en est que plus volatil, ce qui est en soi un obstacle à l’obtention d’accords de long terme entre exportateurs.

Le GNL au secours du FPEG ?

L’accroissement de la part du gaz naturel liquéfié dans le commerce international pourrait toutefois rebattre les cartes en faveur d’une coopération accrue entre exportateurs sur le marché gazier. La transportabilité du gaz sous forme liquide favorise en effet la flexibilité en permettant de s’affranchir d’infrastructures coûteuses et pérennes. Aujourd’hui, la part du GNL dans le commerce international du gaz approche la barre des 50 %(4), contribuant à la globalisation du marché du gaz et incitant au développement des ventes sur les marchés spot et au comptant, au détriment des contrats de long terme pourtant si prisés, traditionnellement, par la Russie. On constate ainsi une stabilisation des prix par région alors que, il y a seulement cinq ans, le marché européen différait largement du marché de la région Asie-Pacifique favorisant déjà le GNL.

C’est l’un des arguments de la Russie, qui a pourtant elle-même tardé à se lancer sur ce marché du gaz naturel liquéfié : avec la mutation en cours du marché gazier, liée notamment à la montée en puissance du GNL, le Forum des pays exportateurs de gaz s’est peu à peu transformé en organe consultatif et analytique. Nécessitant de gros investissements, le développement de projets GNL bénéficierait d’une démarche similaire à celle qui, il y a soixante ans, a permis aux pays producteurs de pétrole de favoriser leurs investissements par le biais d’une coopération approfondie.

Notes :

(1) Site officiel du Forum des pays exportateurs de gaz.

(2) Ekaterina Chohina, « Rossiâ pytaetsia initsiirovat ‘gazovouiou OPEK’ » (La Russie tente le lancement d’une ‘OPEP du gaz’), Vedomosti, 6 juillet 2020.

(3) Dominique Finon, « Russia and the ‘Gas-OPEC’: Real or Perceived Threat?», Russie. Nei. Visions, n° 24, IFRI, novembre 2007.

(4) Ekaterina Vadimova, « Gazovyï rynok v poiskakh regouliatora » (Le marché du gaz à la recherche d’un régulateur), Neft Kapital, 25 juin 2020.

 

Vignette : Copyright Pixabay.

 

* Delphine ERHART est étudiante en Master 2 Relations internationales et langue russe à l’INALCO.

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