Géorgie: révolution, élection présidentielle et après ?

Entretien avec Janri Kachia, intellectuel géorgien, spécialiste de la géopolitique du Caucase.


Janri KachiaRegard sur l'Est : Régime parlementaire ou présidentiel : cette question pourrait-elle être à l'origine de dissensions au sein du trio Saakashvili-Jvania-Bourjanadze ?

L'heure n'est pas aux dissensions. Nous vivons la fin d'un système mis en place en 1917, foncièrement totalitaire, asocial et corrompu. La révolution de la rose en a signé l'arrêt drastique, permettant ainsi à la Géorgie de se diriger aujourd'hui vers un Etat de droit, vers un Etat démocratique.

Une véritable conscience sociale est née. Et le gouvernement ne peut qu'en tenir compte et la respecter. Les événements de novembre dernier ont révélé une population qui, pour la première fois, se levait pour s'affirmer.

Aujourd'hui, ce mouvement social poursuit son développement, notamment par des groupes de réflexion apparus dans tout le pays, de Tbilissi à Batoumi. Formés d'intellectuels, chercheurs, politiques ou encore d'étudiants, ils souhaitent participer activement à la construction de l'Etat.

Ce qui importe, c'est que la nouvelle génération s'affirme dans la volonté nouvelle de créer un Etat démocratique. Sous quelle forme? Que ce soit un régime présidentiel ou parlementaire, cette question pourrait être secondaire et ne pas nécessairement engendrer de dissensions. Je crois toutefois que le parlementarisme est finalement plus traditionnel en Géorgie que le régime présidentiel, puisqu'il était déjà présent dans le premier Etat démocratique géorgien de 1918 à 1921.

Mais, l'une des priorités sera avant tout de refonder la Constitution. Un changement qui pourra être effectué après les élections législatives. La Constitution actuelle ayant été rédigée par 123 signataires ayant mis bout à bout des extraits de constitutions étrangères, il faut maintenant se doter d'une Constitution homogène. La Géorgie est fin prête pour engager ce vaste chantier constitutionnel: parmi la nouvelle génération, de nombreux juristes géorgiens ont en effet étudié aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne ou encore en France.

Quant au trio Saakashvili-Jvania-Bourjanadze, il travaille en collaboration étroite à l'équilibre futur entre pouvoir présidentiel et parlementaire. Il est fort probable qu'il se base sur le modèle politique américain, avec une stricte séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs. Et peut-être, une représentativité plus élevée du président.

Pour se construire, la Géorgie doit-elle faire un procès de Chevarnadze ?

Les Géorgiens ne sont pas un peuple de vengeance. Il pourrait y avoir un procès social, c'est-à-dire, un groupe pouvant réfléchir à un procès " littéraire ", voire juridique. Ce processus pourrait être nécessaire pour l'histoire de la Géorgie, pour faire le deuil de ce système aujourd'hui révolu. Reste que par exemple, après l'effondrement de l'Union soviétique, les Géorgiens n'ont pas fait le procès ou véritablement condamné le totalitarisme en soi. Or pour être libre, il faut comprendre que certaines formes de société doivent être impérativement condamnées.

La nouvelle donne politique sera-t-elle synonyme de changements pour les régions indépendantistes d'Adjarie, Abkhazie et Ossétie du sud ?

Je pense que le problème des régions vient de l'ancien régime. Aujourd'hui, la question est de déterminer des moyens pour développer l'ensemble de la Géorgie. Nous devons penser à une fédération et à une décentralisation. Car la Géorgie est faite de diversité. Nous devons donner à chaque région la possibilité de se développer comme elle l'entend.

Nous sommes encore en période de transition, et il faut en premier lieu gérer l'ancienneté des formes qui existent. Mais, la nouvelle coalition au pouvoir est prête à aborder ensemble cette question. C'est-à-dire, à engager un processus de développement, d'interactions et d'intérêts communs.

Concernant l'Abkhazie, la forte russification fait que la Géorgie pourrait être la seule issue pour que les Abkhazes conservent leur identité et échappent ainsi à l'acculturation. La langue abkhaze, par exemple, est l'une des plus anciennes langues caucasiennes. Nous n'avons pas le droit de la perdre. Il faut réfléchir aux moyens de conserver le patrimoine linguistique et culturel du Caucase, la diversité de ses multiples régions, tout en se développant et en étant moderne.

Reste que les ambitions personnelles des dirigeants des trois régions indépendantistes géorgiennes, appuyées par les Russes, et la mainmise sur le marché noir pour le cas de l'Ossétie du sud, peuvent ralentir ce processus. La solution pourrait être alors la mise en place de zones économiques franches.

Comment voyez-vous l'avenir de la Géorgie ?

L'évolution de la société est un processus véritablement impressionnant. J'observe et j'écoute attentivement la population, notamment la nouvelle génération; et je dois dire que je suis positif. En dix ans, une génération rejetant le système totalitaire et prête à défendre sa voix, s'est formée. Il faut maintenant espérer que les politiques soient à la hauteur des attentes de la population.

 

Par Célia CHAUFFOUR

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