Kazan, capitale du cinéma musulman

À 800 kilomètres de Moscou (une nuit par le train «Tatarstan»), Kazan affiche depuis quelques années un nouveau dynamisme culturel à faire pâlir d’envie les autres capitales de province russes. Les têtes d’affiche qui se sont succédé au troisième Festival du film musulman (le Minbar d’Or), du 6 au 12 septembre 2007 confirment ce renouveau.


Kazan, capitale de la république du TatarstanLe 12 septembre 2007, Kazan, capitale de la république du Tatarstan, a vécu les heures les plus glamour de son histoire. Au pied de la grande pyramide de verre qui accueillait l’événement, une foule de curieux attendait le champion de football Zinédine Zidane et surtout, Catherine Deneuve, invités d’honneur de la troisième édition du Festival du film musulman. L’actrice française qui a participé au succès de Persépolis, de Marjane Satrapi, a passé 24 heures dans la capitale des Tatars avant de s’envoler pour Riga, où elle donnait une masterclass.

Le «Minbar d’Or» a été créé en 2005, à l’occasion du millième anniversaire de la ville. Année faste, 2005 a révélé la renaissance culturelle à l’œuvre dans cette république de la Fédération de Russie, peuplée à part pratiquement égale de Russes et de Tatars, majoritairement musulmans : aménagement urbains, constructions d’édifices de prestige comme la mosquée Koul Charif ou la galerie de l’Ermitage dans le kremlin, restitution de l’icône de la Vierge de Kazan, célèbre image de l’orthodoxie russe, à un monastère de la ville, etc.

Une culture musulmane « bonne et véritable »

Désormais, Kazan se rêve capitale mondiale du cinéma, dans la catégorie «musulman». Lancée par Ravil Gainutdine, directeur du Conseil des Mufti de Russie, où l’islam compte plus de 20 millions de fidèles, l’idée de ce festival encouragé par le président tatar Mintimer Chaïmiev, était à l’origine destinée à combattre les stéréotypes concernant l’islam et les musulmans dans les films. «Tous les Tchétchènes que vous voyez à la télévision sont des rebelles armés d’une Kalchnikov et d’une ceinture de munitions. Les Afghans sont de grossiers trafiquants de drogue, et les Azéri des vendeurs de fruits au marché. Ca suffit.» lâche Zaudi Mamirgov, directeur du comité d’organisation du festival. Dans la liturgie islamique, le Minbar est le nom de la chaire du haut de laquelle l’imam prêche aux croyants. Pour les organisateurs, le choix de ce nom correspond à leur volonté de rendre à Kazan son statut de centre de rayonnement d’une culture musulmane «bonne et véritable» au nord-est de l’Europe, perdu après la Révolution bolchevique.

Pour cette troisième édition, la capitale des Tatars de la Volga a accueilli 49 films en compétition et 26 hors compétition (longs et court métrages, documentaires et reportages) de 47 pays parmi lesquels la Bosnie-Herzégovine, l’Iran, l’Irak, la Tunisie, l’Egypte, l’Inde, l’Arabie Saoudite, le Koweit, d’Azerbaïdjan l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan. Les républiques du Tatarstan, du Bachkortostan et l’Ossétie du Nord représentaient la Russie. Plusieurs coproductions internationales réunissant des pays d’Europe occidentale et du monde musulman étaient en compétition officielle pour le Minbar d’Or, comme Indigènes, de Rachid Bouchareb, et Ahlam de Mohamed Al Daradji. Le jury du festival était présidé par le réalisateur, opérateur et scénariste bulgare Radoslav Spassov, le Serbe Emir Kusturica ayant décliné la proposition en raison d’un emploi du temps surchargé, lié à la sortie de son prochain film, Zavet ("Promets-moi"), le 30 Janvier 2008, en France. Durant le festival, un hommage particulier a été rendu au producteur-réalisateur syrien Moustafa Mahmoud Al Akkad décédé avec sa fille en 2005, lors d’un attentat terroriste en Jordanie. Son fils Malik Al-Akkad avait fait le déplacement afin de recevoir la distinction posthume de son père, pour sa contribution au cinéma musulman.

Mais qu’est-ce qu’un «film musulman» ? Les organisateurs en donnent une définition assez large : «Les films, qui doivent démontrer un talent artistique, doivent être fait par des musulmans ou concerner les musulmans, ou avoir été tournés dans des pays musulmans. Le principal, c’est qu’ils contiennent un message de paix, qu’ils consolident les amitiés transfrontalières et le dialogue entre les cultures», indique Svetlana Bokharaiéva, membre du comité d’organisation.«Vers la culture du dialogue, via le dialogue des cultures», telle est la devise du Minbar d’Or. «Le festival a pour objectif de procéder à un échange d’expériences entre les artistes de Russie et des pays musulmans qui popularisent dans leurs films des valeurs morales et spirituelles», ajoute la ministre de la culture de la république du Tatarstan, Zilia Valeïeva.

Réconcilier l’art, la morale et la paix

Ce critère qui exclut a priori les films violents, les attentats suicides, les kamikazes, le sang, et, bien entendu, le sexe. Tout comme le festival du film slave et orthodoxe «Preux d’Or», ne privilégie pas les thèmes religieux, mais réunit des films d’origine variée pour tenter de réconcilier l’art, la morale et la paix. La semaine du festival concentre les ingrédients sur lesquels le Tatarstan, territoire historique de la première minorité ethnique de Russie, traditionnellement musulmane, a bâti sa réputation. Au carrefour de l’Occident et de l’Orient, aux portes de l’Eurasie, le Tatarstan souhaite s’affirmer comme un exemple de dialogue interculturel et inter-religieux. Encouragé par Moscou dans cette entreprise, le Tatarstan est aujourd’hui l’un des meilleurs atouts de la Russie dans ses relations extérieures avec les pays musulmans.

Son festival du cinéma musulman ne verse pas pour autant dans l’angélisme. A côté des comédies musicales indiennes (La Corde, de Naguech Koukoudour) et des productions américaines en costume (Kingdom of Heaven, de Ridley Scott), plusieurs films se faisaient cette année l’écho de la violence qui traverse le monde musulman contemporain, de l’Asie Centrale à l’Afrique de l’Ouest. Tandis que L’Etoile du soldat, de Christophe de Ponfilly (décédé en mai 2006), brossait les portraits croisés d’un soldat soviétique et d’un moudjahidin afghan, Sons de sable, de la Belge Marion Hansel évoquait les errances de réfugiés africains chassés de leur terre par la sécheresse et la guerre. Le documentaire du Koweitien Abdullak Bouchakhri, «En perdant Ahmad», qui évoque, quant à lui, l’histoire d’un enfant de Bagdad, mutilé par une bombe américaine sur le chemin de l’école, a obtenu le prix de sa catégorie. C’est néanmoins la poésie de Bab’Aziz, Le prince qui contemplait son âme, du Tunisien Nacer Khemir (Suisse - Allemagne- Tunisie-France-Hongrie-Iran-Grande-Bretagne), qui a obtenu le prix du meilleur long métrage de fiction, tandis que Sarajevo de la réalisatrice bosniaque Yasmila Zhanic, obtenait le prix de la meilleure actrice pour le talent de Mirjana Karanovic dans le rôle d’Esma .

Site du Festival du film musulman : www.mfmk.ru/m/eng/index.php

* Fred HILGEMANN est journaliste et réalisateur de documentaires, dont L’Epreuve des urnes (2007), Fred HILGEMANN est l’auteur d’un essai, Le Tatarstan, pays des musulmans de Russie, qui paraît aux éditions Autrement le 11 octobre 2007.