Les nouvelles négociations en cours sur le futur statut du Kosovo pourraient signer la fin de la Mission intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK). Administrant la province serbe depuis huit ans, la MINUK est aujourd’hui à bout de souffle et sous les feux de la critique. Les idéaux de droits de l’homme et de bonne gouvernance incarnés par les Nations Unies se sont effondrés au Kosovo.
A Pristina, un mur de dessins entoure les locaux de la MINUK. Des enfants rendent ici hommage à la mission et ont tracé de leurs écritures maladroites « Thank you UNMIK », « UNMIK, the future of Kosova »…. La MINUK est arrivée au Kosovo en juin 1999, suite à l’intervention militaire de l’Otan contre la République fédérale de Yougoslavie. Le Kosovo était alors déchiré par un conflit opposant un mouvement séparatiste albanais, l’Armée de libération du Kosovo (ALK, plus communément appelée UÇK), et les forces de sécurité serbes. La résolution 1244 du Conseil de Sécurité, votée le 10 juin 1999, dotait la MINUK de mandats qui dépassaient largement la mission classique de maintien de la paix: exercer les fonctions d’administration civile tout en construisant des institutions provisoires, favoriser le retour des réfugiés, reconstruire l’économie, promouvoir les droits de l’homme, renforcer l’état de droit…
Initialement mandatée pour 12 mois, la MINUK voyait son sort lié au règlement du statut du Kosovo, disputé entre les Albanais majoritaires, réclamant l’indépendance, et la Serbie, souhaitant préserver sa souveraineté sur la province. Huit ans plus tard, la MINUK est toujours là, et le bilan est sombre. De l’aveu même du Secrétaire Général adjoint de l’ONU, Ad Melkert, « A en juger par les chiffres, la situation au Kosovo est comparable à celle de certains des pays les plus pauvres d'Afrique. »[1]
Le crépuscule des idéaux de l’ONU
Le chômage ravage la région, avec un taux officiel de 42 % de la population active, de 60 % pour les femmes. Trois-quarts des chômeurs ont moins de quarante ans. Dans les rues de Pristina, les enfants vendent cigarettes et cartes téléphoniques aux membres des organisations internationales attablés dans les cafés et les restaurants. Privée de tout avenir, la jeunesse, qui représente plus de 50 % de la population, rêve de s’expatrier. Les coupures d’électricité rythment toujours le quotidien. Pendant la canicule de l’été 2007, à Pristina, l’eau courante ne coulait que 3h par jour… « La situation économique est un désastre », constate Oliver Ivanovic, député serbe au Parlement de Pristina. « Nous ne savons pas combien de milliards d’euros ont été dépensés ici. Les infrastructures de base continuent à manquer : les routes, les voies ferrées, l’eau potable... Rien n’a été fait pour favoriser des investissements étrangers. Ces résultats médiocres ne peuvent qu’alimenter les soupçons de détournement de fonds. » L’ONU et les bailleurs internationaux ont en effet investi de grands moyens pour reconstruire un Kosovo démocratique, multiethnique et viable… L’ONU révélait en 2006 qu’elle avait dépensé 2,6 milliards d’euros depuis 1999 pour la mission au Kosovo.
« Nous avons accompli des choses ici. Nous avons réussi à mettre en place des institutions, les services de police fonctionnent », tempère M., un haut fonctionnaire de la MINUK. « Mais, en ce qui concerne l’une de nos missions principales –le retour des réfugiés–, c’est un échec énorme. Et la MINUK ne veut pas l’admettre ». Pendant l’été et l’automne 1999, environ 250 000 personnes de minorités non-albanaises, majoritairement des Serbes, fuient le Kosovo, selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). Seuls 6,76 % des réfugiés et des déplacés seraient revenus s’installer dans leur lieu d’origine entre 2000 et mai 2007. Le visage d’Igballe Rogova, présidente du Réseau de Femmes du Kosovo, œuvrant entre autres pour la réconciliation entre les communautés, s’assombrit lorsqu’elle évoque la fin du conflit. « Je n’ai pas supporté de voir les barbelés s’ériger autour des enclaves serbes… Ils avaient besoin d’être protégés, mais avec les barbelés, on les mettait mentalement en prison. Plutôt que de tenter d’intégrer les Serbes qui n’avaient pas fui, la première erreur a été de les isoler. Lorsque Steiner[2] élaborait la stratégie de retour des réfugiés, il n’a pas consulté les représentants civils des deux communautés qui pouvaient travailler ensemble. Pour moi, ça n’est pas construire la paix, mais diviser ! » Cette division est aujourd’hui criante : plus rien ne lie le quotidien des Serbes et des Albanais. Les Serbes vivent dans des enclaves, avec leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs médias, sous perfusion financière de la Serbie. Partout des statues en l’honneur des combattants de l’UÇK s’érigent en symboles de la lutte d’indépendance menée pour et par les Albanais. Ces emblèmes forgent une identité du Kosovo strictement albanaise, dans laquelle les minorités ne peuvent pas se reconnaître. Le Kosovo multiethnique, si cher à la MINUK, tient du mythe. «Les Albanais ne veulent pas du retour des Serbes», constate M., « et ils agissent de façon très intelligente à travers les questions de propriété ». De nombreux Serbes se font ainsi exproprier à travers des transactions foncières illégales effectuées au Monténégro voisin, puis validées dans les tribunaux des municipalités au Kosovo.
« Nous avons acheté la paix et fermé les yeux sur les violations de droits de l’homme », dénonce avec amertume R., travaillant actuellement pour l’OSCE. « Nombreux sont les internationaux qui se sont ‘albanisés’. Ils pensent avant tout à préserver leur poste et leur grand salaire, et à ne pas froisser les politiques locaux. Et ils passent leur temps à critiquer les minorités, sans montrer du doigt les vrais problèmes. »
Le règne de l’impunité
Amnesty International publiait en novembre 2006 un rapport choc intitulé L’ONU au Kosovo : un héritage d’impunité. Ce rapport faisait le point entre autres sur les enquêtes judiciaires concernant les crimes de guerre, les crimes de nature ethnique, et sur les réseaux de prostitution. L’organisation relevait également l’impunité dont bénéficient les membres des organisations internationales, rarement poursuivis au Kosovo. Une affaire récente en est tristement exemplaire. Le 10 février 2007, deux manifestants étaient tués à Pristina, par des balles de caoutchoucs, périmées, tirées à même la tête. Une enquête interne au sein de la police internationale a établi que les tirs meurtriers provenaient d’une brigade d’officiers de police roumains. Impossible en revanche d’identifier les responsables. Les officiers roumains ont pu quitter le Kosovo sans être inquiétés. La seule enquête judiciaire concerne aujourd’hui l’organisateur de la manifestation, Albin Kurti, chef du mouvement ‘autodétermination‘ (Vetëvendosje) qui, après plusieurs mois passé en prison, est actuellement en résidence surveillée… Peu d’enquêtes concernant les crimes de guerre ou les crimes de nature ethnique ont abouti. Si les familles recouvrent parfois les corps de disparus pendant la guerre, justice n’est pas rendue. Par ailleurs, les émeutes anti-serbes de mars 2004 ont donné lieu à peu de condamnations.
Selon une source de l’OSCE, un des principaux problèmes au Kosovo concernant les enquêtes ‘sensibles’ provient d’un système défaillant de protection des témoins : « La relocalisation des témoins au sein du Kosovo ne peut pas être une solution. Le Département de Justice de la MINUK a le plus grand mal à faire héberger des témoins par des pays tiers. Il y a très certainement un manque de volonté politique de la part de certains pays européens, et il n’y a pas non plus de grande volonté à enquêter sur les crimes de guerre ». La création de la MINUK est pourtant intervenue au moment d’un changement radical d’approche concernant les missions de maintien de la paix de l’ONU : celles-ci ne doivent plus être gérées de façon purement sécuritaire, mais sont dorénavant appelées à s’attacher aux droits de l’homme ainsi qu’à la justice. Or, de l’aveu d’un haut fonctionnaire au sein de la MINUK, K., « les droits de l’homme n’ont définitivement pas été une priorité de la MINUK. En matière de justice, quel exemple avons-nous donné de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire ? Dans certains dossiers sensibles, nous avons régulièrement vu l’intervention de l’adjoint du Représentant spécial du Secrétaire Général, qui est toujours un Américain. Et on l’a toujours vu en train de protéger des criminels notoires ». Plusieurs sources concordantes ont cité l’exemple de Sami Lustaku, un ancien commandant de l’UÇK, plusieurs fois arrêté, plusieurs fois relâché après intervention du n°2 de la MINUK. « Il y a eu une mainmise des Américains sur la justice. Ce sont toujours des Américains qui ont été à la tête du Département de la Justice (DoJ) et qui l’ont contrôlé. Et le DoJ est le premier responsable des défaillances de l’état de droit au Kosovo », dénonce R.
Le compte à rebours
A l’automne 2005, alors que s’ouvraient les négociations sur le futur statut du Kosovo, la MINUK a annoncé officiellement qu’elle préparait son retrait. Mais elle peut quitter le Kosovo uniquement sur décision du Conseil de Sécurité, au sein duquel les Russes ont bloqué jusqu’à présent toute nouvelle résolution. Face à ce casse-tête et à l’épuisement de la mission, des juristes sont actuellement en train de travailler à New York sur un transfert des compétences de la résolution 1244 de l’ONU à l’Union européenne. Sans devoir passer par un vote au sein du Conseil de Sécurité. Tous les regards sont aujourd’hui tournés vers Bruxelles. « Une mission de l’Union européenne ne peut de toute façon pas être pire que la MINUK », considère Oliver Ivanovic. « La MINUK s’est effondrée en 2004 et, depuis, ce sont les Américains et certains pays européens qui ont repris la main[3]. Depuis 2004, tout est prêt pour une mission de l’Union européenne. Mais la MINUK a continué à exister –à survivre- tant bien que mal ».
* Lucile MARBEAU est journaliste free-lance
Vignette : © Hadrien Daudet
[1] « Peut-on encore sauver le Kosovo ? », Le Figaro, 11 août 2007.
[2] Michael Steiner, Représentant spécial du Secrétaire Général au Kosovo, de février 2002 à juillet 2003.
[3] Oliver Ivanovic fait ici référence aux pays européens les plus influents au sein du « Groupe de Contact » chargé de suivre le dossier du Kosovo depuis 1998. Le Groupe de Contact est composé des ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de la Russie, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Irlande du Nord et de représentants de l’Union européenne. Les pays européens les plus influents y sont l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.