Vyborg : symbole finlandais ou russe ?

L'ex-deuxième ville de Finlande, Vyborg, est située depuis 1944 du côté russe de la frontière. Et alors que l’effritement des vieilles façades durant la période soviétique continue de nourrir en Finlande une certaine nostalgie romantique et architecturale, le territoire de la commune est devenu aujourd’hui un champ d'investissements économiques et énergétiques considérables de la nouvelle Russie.



Ancienne Académie des Beaux-Arts de Vyborg © Eric Le Bourhis
L’architecte Uno Ullberg (1879-1944) a introduit dans la région, avec cet édifice encore très classique (1930), le style fonctionnaliste (funkis) très cher au patrimoine architectural finlandais. Le bâtiment, situé sur un bastion des anciens remparts, domine le golfe de Vyborg. La région de Vyborg et les rives occidentales du lac Ladoga -territoires cédés à l’Union soviétique par la Finlande en septembre 1944- regorgent de chefs d’œuvre de ce style, dont l’état avancé de dégradation provoque aujourd’hui le désespoir et justifie la condescendance des professionnels finlandais de l’architecture.


Le golfe de Vyborg (vu depuis l’Académie des Beaux Arts) © Eric Le Bourhis
C’est dans le golfe de Vyborg que confluent les eaux du golfe de Finlande, du canal de Saimaa (relié au réseau fluvial de toute la région des lacs de Finlande) et de la rivière Vuoksa (qui prend sa source dans le Ladoga). L’intérêt stratégique de la ville est également dû à sa position aux limites des zones d’influence suédoise et russe, de sa fondation au Moyen Age à la création du grand Duché de Finlande en 1809. Le développement de la ville, placée sous domination suédoise (du traité de Nöteborg en 1323 à la prise de la ville par Pierre le Grand en 1710), puis russe (du traité de Nystad en 1721 à la déclaration d’indépendance de la Finlande en 1917), a été lié à cette situation exceptionnelle. Mais c’est surtout à partir de la construction du canal Saimaa, en 1856, que le commerce s’est développé autour du bois et du trafic de passagers.


Domus © Eric Le Bourhis
Vyborg se développe à partir de 1860 grâce au démantèlement progressif de ses fortifications. La ville devient alors un grand centre cosmopolite de commerce, relié par voie maritime, fluviale et ferrée à toute la région baltique. Une période d’intense activité de construction s’étend alors de 1890 à 1914. Néanmoins, les contraintes financières empêchent aujourd’hui la démolition aussi bien que la restauration de ces nombreux témoignages. Ici, le Domus, édifice art nouveau abandonné depuis les années 1980 (architecte Karl Hard af Segerstad, 1904).


Silo de Erkki Huttunen, icône du fonctionnnalisme (1932) © Eric Le Bourhis
En 1918, Otto-Iivari Meurman prend en main le développement urbain de Vyborg en réalisant et faisant appliquer le premier schéma directeur global de développement de la ville. Vyborg englobe dès lors les communes alentour; le port est largement étendu et les nouveaux entrepôts se reconnaissent à leur style moderne des années 1930; à partir de 1926, un avant-port est aménagé à Vyssotsk (Uuras), à une dizaine de kilomètres en aval du centre.
Cet essor résistera à la crise économique des années 1930 et l’activité se poursuivra intensivement jusqu’à la Guerre d’Hiver. Vyborg est alors la seconde ville de Finlande, avec plus de 80.000 habitants. Elle sera évacuée en totalité après septembre 1944, suite à la cession de l’isthme de Carélie à l’Union soviétique.


Le port de Vyborg © Eric Le Bourhis
Les premiers employeurs de Vyborg sont à l’origine d’activités développées assez tardivement au cours de la période soviétique de la ville: chantiers navals, activités portuaires, électronique.
Après la grande crise économique de la transition et la privatisation de toutes les activités portuaires en 1992 (création de deux sociétés pour le port de Vyborg et celui de Vyssotsk), Vyborg participe aujourd’hui au boom économique de l’oblast de Leningrad.
Sur son territoire, situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière finlandaise, sont réalisés des investissements de portée nationale voire continentale: le terminal pétrolier de Primorsk a été inauguré en 2001 et c’est dans la baie de Portovaïa que se fera la jonction des parties terrestre et sous-marine du gazoduc russo-européen Nord Stream. Vyborg, avec les terminaux de Vyssotsk et Primorsk, est aujourd’hui un des plus grands ports de la Baltique.


La Place Rouge de Vyborg © Eric Le Bourhis
Vyborg occupe une place particulière dans les relations russo-finlandaises. Lieu de passage obligé sur l’isthme de Carélie entre Helsinki et Saint-Pétersbourg, elle a été très affectée par les événements de 1917. La ville fera partie de la Finlande Rouge durant la guerre civile de la première moitié de l’année 1918. Lieu de refuge provisoire du Conseil des Commissaires du Peuple de Helsinki, ce sera aussi un des lieux de la répression sanglante contre les rouges finlandais et soviétiques.
Aujourd’hui, la statue de Lénine domine toujours la Place Rouge, écrin art nouveau du début du 20e siècle. La ville est entièrement russophone, et l’entrée de la Finlande dans l’espace Schengen réduit les facilités de transit de personnes, alors que les autorités locales placent de grands espoirs dans les perspectives du tourisme finlandais. Vyborg abrite deux monuments relevant du patrimoine culturel finlandais: la bibliothèque municipale d’Alvar Aalto (1935) ainsi que le domaine du baron von Nicolay, Mon Repos.

Par Eric LE BOURHIS

Sources:
HENTILÄ Seppo, JUSSILA Osmo, NEVAKIVI Jukka, Histoire politique de la Finlande XIXe-XXe siécle, Fayard, 1999.
Arkkitehti 5/2003 - Funkis-Karjala.
yle.fi, lenobl.ru, eur.sagepub.com