La Confédération transcaucasienne: Idée ancienne, nouvelles approches

Depuis un an, les médias du Sud Caucase évoquent régulièrement l’idée de la création d’une confédération réunissant la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Lancée au départ par le président géorgien Mikhaïl Saakachvili, en présence de son homologue azerbaïdjanais à Batoumi, en juillet 2010, cette proposition étonne tant par son ambition que par le silence d’Ilham Aliyev.


Mikhaïl Sakachvili et Ilham Aliyev au Sommet du Partenariat oriental, Varsovie, 30 septembre 2011L’idée de créer une Confédération sud caucasienne date du début du 20e siècle, c’est-à-dire avant la déclaration d’indépendance des trois États géorgien, arménien et azerbaïdjanais en 1918. Après l’éclatement de l’URSS en 1991, cette idée est revenue sur la table des négociations des élites de ces pays de nouveau indépendants. Et cela malgré leurs nombreux problèmes internes comme diplomatiques. Depuis 2010, le mot «Confédération» resurgit périodiquement dans les discours politiques des ministres, voire des présidents sud caucasiens. Cet article présente l’origine, les enjeux et les perspectives d’une Confédération réunissant la Géorgie et l’Azerbaïdjan, ainsi que l’impact potentiel qu’elle pourrait avoir sur toute la région.

Un vieux serpent de mer ?

Le Sud Caucase a connu sous les bolcheviques un destin commun au sein de la Fédération transcaucasienne, entité qui a éclaté dans les années trente. Les trois Républiques soviétiques ont ensuite été individuellement fédérées à l’URSS avant d’affronter une sortie d’Empire chaotique dans les années 1990.

En 2011, la situation géopolitique du Caucase du Sud est sous divers aspects bien différente de la situation régnant dix ans plus tôt. L’indépendance des trois États s'est consolidée, même si leur trajectoire et leurs liens avec la Russie sont différents, et leur construction étatique comme leur relative stabilisation économique laissent penser que ces pays peuvent désormais se lancer plus avant dans le jeu diplomatique régional longtemps délaissé. C’est alors que l’idée de Confédération revient.

De nombreuses conférences et tables rondes, réunissant des experts et des politologues, ont été organisées entre les pays du Caucase du Sud et les puissances avoisinantes (comme la Russie et la Turquie) autour de cette idée de Confédération. Mais de l’idée au projet, la route semble bien longue, tant les obstacles, les incompréhensions, les dialogues impossibles et les stratégies et enjeux de chacun s’accumulent.

Implications régionales entre désirs et réalité

Relancée en 2010 par le président géorgien M. Saakachvili, cette idée axée sur la Géorgie et l’Azerbaïdjan mérite un passage en revue des facteurs intérieurs, essentiellement économiques, et extérieurs, c’est-à-dire diplomatiques.

Force est de constater que la coopération entre l'Azerbaïdjan et la Géorgie, depuis la chute de l’URSS, est profonde et croissante. Du point de vue de la Géorgie, l’Azerbaïdjan est un deuxième partenaire économique essentiel, après la Turquie, et lance de nombreux projets d’infrastructures ou industriels d’envergure pour la région, tels les oléoducs Bakou-Tbilissi-Ceyhan, Bakou-Soupsa, Baku-Tbilissi-Erzurum, la construction du chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars, la construction d’usines de liquéfaction du gaz naturel à exporter vers l’Europe, etc. Selon Zardouchte Alizadé, la Géorgie bénéficie largement du passage de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, source de revenus importante, et reçoit gratuitement 5 % du gaz du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum. Zone de passage, la Géorgie tire des revenus des hydrocarbures issus de la Caspienne, étant ainsi reliée par un cordon à l’Azerbaïdjan et à l’Asie Centrale.

Pour l'Azerbaïdjan, la Géorgie représente un milieu attractif pour ses investissements et l’écoulement de ses richesses naturelles, et permet d’éviter le golfe persique (blocus américain), la Russie (instabilité du Nord Caucase) et l’Arménie (conflit du Haut-Karabakh). La Géorgie et l'Azerbaïdjan assurent conjointement, par leurs forces armées unies, la protection des pipelines contre les menaces extérieures et terroristes, s’entraînant périodiquement sous le contrôle des spécialistes américains. Cette coopération économique, qui inclut le projet NABUCCO et la construction de la Route de Soie (facilitation du transport de biens de la Chine vers l’Europe) se double d’une coopération politique. Les autorités azerbaïdjanaises ont soutenu à plusieurs reprises le gouvernement de M. Saakachvili, en prêtant une aide logistique à la police contre les nombreuses manifestations d’opposants géorgiens ou pour empêcher des candidats azéris de participer à la présidentielle géorgienne.

Toutefois, ces projets existants et ces soutiens effectifs ne peuvent cacher les nombreux points de divergence entre ces deux voisins. La Géorgie a choisi de s’engager à l’Ouest, elle est membre de l’OMC, parie sur son intégration dans l’espace européen et compte devenir membre de l’OTAN. Sous la présidence de M. Saakachvili, la Géorgie a défini l’orientation de sa politique étrangère, diminué largement le niveau de la corruption, renforcé la base de ses institutions démocratiques. En contraste, l'Azerbaïdjan se noie dans une marée de corruption depuis une dizaine d’années, viole fréquemment les droits de ces citoyens, et manœuvre entre les puissances régionales et mondiales sans définir de politique étrangère claire.

Par ailleurs, les deux pays n’ont toujours pas défini leur ligne de démarcation : le statut d’une bande frontalière de 45 km de long n’est toujours pas clarifié. La Géorgie compte en outre dans une région frontalière de l’Azerbaïdjan une forte minorité azérie, qui se plaint de la nomination de gouverneurs d’origine géorgienne, en sus de problèmes de représentation au niveau national et d'intégration dans la société géorgienne.

Une telle union implique aussi une sorte d’ingérence, ou au moins un intéressement des deux États dans le règlement des conflits gelés situés sur leur territoire. Alors que la Géorgie mène une politique neutre avec l'Arménie, l’Azerbaïdjan est en situation de conflit gelé avec cette dernière. En outre, la question des minorités nationales présentes en Géorgie serait mise sous le feu des projecteurs dans le cas d’une alliance entre Tbilissi et Bakou : il est fort probable que l’Arménie, qui soutient depuis plusieurs années la stabilité de la région géorgienne de Samtskhe-Javakheti, où vit de manière compacte une forte minorité arménienne, verra d’un autre œil cette zone pacifiée en cas de rapprochement avec l’Azerbaïdjan. De son côté, l'Azerbaïdjan ne peut se permettre d’entrer en conflit avec la Russie (à l’instar de la Géorgie), car cette dernière est largement impliquée dans le règlement du conflit du Haut-Karabakh. Une telle confédération remettrait en question bien des relations diplomatiques.

Implications internationales : L’impossible casse-tête

La création d’une telle confédération aurait diverses implications pour les autres acteurs de la région: la Russie, l’Arménie, l’Iran et la Turquie.

La Russie suit non seulement les événements dans la région, mais réagit aussi assez vivement à ce qui touche à ses intérêts vitaux dans sa sphère d’influence, « l'étranger proche ». Elle est ainsi économiquement et diplomatiquement très impliquée en Arménie, pays enclavé qu’elle soutient logistiquement dans le conflit du Haut-Karabakh. Selon l’Accord signé entre ces deux États, les bases militaires russes se trouvant sur le sol arménien assurent la protection de ses frontières en cas d'intervention militaire d’États tiers. Ce positionnement expliquerait que le président géorgien n’évoque pas l’Arménie dans sa proposition: en termes géopolitiques, cette dernière fait partie de la verticale Russie-Arménie, formellement « opposée » à l’horizontale Géorgie-Azerbaïdjan. De surcroît, on peut y voir une tentative de s’allier l’Azerbaïdjan contre la Russie, afin de s’assurer un allié de poids dans la région.

Du point de vue de l'Iran, le renforcement économique de l'Azerbaïdjan, allié stratégique de la Turquie et partenaire économique et militaire d’Israël, menace sa sécurité nationale, étant donné qu'au nord de l'Iran, à la frontière de l'Azerbaïdjan, vit une minorité azérie trois fois plus nombreuse que la population azerbaïdjanaise. Cette région est réputée instable et se révolte sporadiquement contre le régime iranien. Les Azéris iraniens appellent périodiquement à rejoindre l’Azerbaïdjan. De ce fait, l'Iran cherche à faire pression sur l'Azerbaïdjan en usant de mesures préventives (voire des forces armées) afin de la dissuader d’accueillir un jour sur son sol des bases militaires américaines.

Si la Turquie est favorable au développement et à l'approfondissement des relations politico-économiques avec l'Azerbaïdjan et la Géorgie, elle ne le souhaite pas dans le cadre étriqué et réducteur d’une union ou d’une confédération. Ankara tend à privilégier une diplomatie plus ambitieuse, développant ses relations avec la Russie, attirant l'Arménie à ses côtés, plaçant les protocoles de Zurich sur l'ouverture des frontières entre la Turquie et l'Arménie à l’ordre du jour du Parlement. Cette diplomatie d’ouverture rencontre toutefois l’opposition de l'Azerbaïdjan qui la rejette à cause du problème du Haut-Karabakh.

Étant donné ses relations avec la Russie et le conflit avec l’Azerbaïdjan, l’Arménie considère sa participation à la confédération comme étant peu probable. Notons toutefois le point de vue exprimé en 2009 par le directeur du Forum des unions arméniennes de l’Europe qui prend en compte non seulement l'adhésion des trois Républiques, mais aussi celle des « États fantômes » non reconnus par la communauté internationale: l'Abkhazie, l’Ossétie du Sud et le Haut-Karabakh. Suivant cette démarche, la Confédération devrait devenir un jour membre de l'Union Européenne, au début en qualité de « membre associatif », puis que membre à part entière.

À ce jour, il est peu probable que l'idée d’une Confédération se réalise, au vu des différences politiques structurelles de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan, des nombreux problèmes internes et internationaux auxquels ces États font face, et des réformes à engager dans une situation régionale complexe et peu pacifiée (allègement du régime de visa, réduction des taxes douanières, libre circulation des biens et des personnes, etc.). La plupart des spécialistes et des politologues azerbaïdjanais penchent plutôt pour une Confédération avec la Turquie, avec qui l'Azerbaïdjan a signé un accord de coopération militaire et stratégique.

La position fragile de l’Azerbaïdjan explique que son gouvernement n’ait pas répondu à l’invitation du président géorgien. Mais le silence de Bakou peut être interprété comme de la prudence ou une forme d’attentisme, voire comme un consentement tacite : les bonnes relations actuelles des deux voisins font qu’ils constituent déjà une sorte de tandem résistant aux pressions environnementales et construisant une potentielle voie commune politique, économique et militaire pour devenir un nouveau centre géopolitique dans la région.

Sources :
- “Confederation in South Caucasus unreal yet - Ali Hasanov”, news.az, 5 septembre 2011.
- Georgij Molodin & Ivan Fomin, “Sur la politique de Géorgie concernant le Caucase du Nord et du Sud”, (en russe), georgiamonitor.org, 18 octobre 2010.
- Gulbaam Rtskiladze, « D’où vient l’initiative concernant la confédération entre la Géorgie, l’Azerbaïdjan et la Turquie », (en russe), geurasia.org, 15 septembre 2010.
- G.Nodia, “What Does 'Confederation' Mean In The South Caucasus?”, rferl.org, 17 Septembre 2010.
- A. Pogosian, “La Géorgie a déclaré de sa réunification avec l’Azerbaïdjan”, (en russe), inomnenie.ru, 28 août 2010.
- Elkhan Shahinoglu, « Deux candidats pour la Confédération avec l’Azerbaïdjan », (en azéri), azadliq.org, 3 septembre 2011. - Faik Medjid, « Les experts prennent mal l’idée de créer la Confédération avec la Géorgie », (en azéri), kavkaz-uzel.ru, 28 juillet 2010.
- Vagif Mamedzadé, « Confédération entre l’Azerbaïdjan et la Géorgie: pour et contre », (en russe), newcaucasus.com, 26 novembre 2010.
- Christine Kharoumyan, « Confédération Azerbaïdjan-Géorgie : réalité ou l’amorce informatique ? », (en russe), inosmi.ru, 6 septembre 2010.
- « Est-il possible de créer la Confédération Transcaucasienne ? », (en russe), life.dubna,ru, 28 septembre 2009. - « La Confédération du Caucase du Sud; est-ce que cherche l’Azerbaïdjan ? », (en russe), peacekeeper.ru, 7 septembre 2010.
- « L’Azerbaïdjan et la Géorgie arriveront-ils de construire une Confédération ? », (en russe), mediafax.ru, 19 octobre 2010.

Photographie : Mikhaïl Sakachvili et Ilham Aliyev au Sommet du Partenariat oriental, Varsovie, 30 septembre 2011 (Source: Le Conseil de l'Union européenne)

* Doctorant à la Faculté des Sciences Politique à l’Université de Québec à Montréal (Canada).
** Doctorant à la faculté de l’Histoire contemporaine et des Relations internationales à l’Université de Strasbourg (France)