La jeunesse dorée en Russie : repères perdus, valeurs retrouvées ?

Ils ont entre 18 et 35 ans, sont nés à l’époque de l’URSS mais sont aujourd’hui résolument tournés vers l’Occident. Leur excentricité et leur goût du luxe choquent parfois, mais leur dynamisme et leur rage de réussir en étonnent aussi plus d’un. Portraits.


Moscou, version 2005: les vitrines des boutiques de luxe scintillent à perte de vue, les voitures dernier cri sillonnent les avenues centrales, à la recherche d’une place de parking devant l’un des derniers magasins d’alimentation à la mode, Hédiard ou Fauchon. Les galeries de mode ont remplacé les pharmacies et les boulangeries, les bibliothèques publiques et les centres de création pour la jeunesse, si répandus en URSS, ont cédé leur place à des boutiques de meubles de luxe ou à des restaurants chics.

Dans ce pays jadis si lointain et contradictoire, où pauvreté rimait avec générosité, désespoir mais aussi joie de vivre, aujourd’hui, une certaine tranche de population, encore relativement peu connue des sociologues mais déjà très distincte du reste de la population, a pris très vite goût au luxe… La « jeunesse dorée » est en effet désormais devenue un acteur important de la vie socioéconomique russe : cliente des salons de luxe et friande des distractions les plus sophistiquées, elle définit aujourd’hui l’une des facettes de la Russie, en nouvelle phase de construction après la Perestroïka et la chute de l’URSS.

Nés sous le régime soviétique, ces jeunes, habitant essentiellement à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, ont réussi à s’adapter avec une rapidité fascinante aux nouvelles règles du capitalisme, à l’inverse de leurs aînés.

Même s’il est prétentieux de vouloir parler de toute une génération dans un seul texte, aussi généralisant qu’il puisse être, on peut essayer de monter deux portraits, deux histoires, deux vies différentes d’une seule génération…

Inga, 21 ans, étudiante

Brushing soigné, look sophistiqué façon Vogue , french manoucure et une bague Tifanny au doigt, Inga, 21 ans, écume les boîtes de nuit branchées de Moscou. La journée, cette jeune femme est étudiante en sciences politiques dans l’un des instituts diplomatiques les plus prestigieux de la Russie. Son père est vice-président d’une société d’export spécialisée dans l’aluminium, sa mère, femme au foyer. Pour ses 20 ans, ceux-ci lui ont offert un appartement dans un immeuble stalinien classé « monument historique », situé dans un quartier prisé de Moscou. Mais pour l’instant, Inga préfère rester vivre avec ses parents « à la campagne », dans une sorte de résidence secondaire à proximité de la capitale.

La jeune fille ne cache pas qu’aller à la fac est plutôt un rituel de reconnaissance, une sorte d’initiation au monde des adultes – les études, somme toute, ne jouent qu’un rôle très formel. Certes, il faut passer les examens. Mais « pas la peine de s’inquiéter », avoue Inga : on peut toujours trouver un « arrangement convenable », pour le professeur et pour l’étudiant…

Inga évoque les dernières soldes qu’elle a faites à Milan, ou ses prochaines vacances à Courchevel, dans les Alpes françaises. « La vie est trop courte pour la vivre autrement, n’est-ce pas ? » La jeune fille sourit, fait un tour sur ses talons aiguilles et se dirige vers sa BMW sport garée devant l’entrée.

Vadim, 29 ans, patron d’une agence de communication

Né dans une ville provinciale, en Biélorussie,Vadim part très jeune pour Moscou avec un but unique en tête : entrer dans une école de management et faire un MBA en gestion. Rapidement, ce jeune loup double ses camarades moscovites et, après un stage dans un bureau de représentation d’une société européenne spécialisée dans les alcools haute gamme, y est embauché comme assistant du directeur marketing. Il devient l’un des plus jeunes salariés de l’entreprise, finit parallèlement ses études et, une fois son diplôme en poche, avec son expérience du terrain, le jeune homme décide de créer sa propre entreprise de communication spécialisée dans l’événementiel culturel, un domaine pointu et prometteur. En organisant des soirées thématiques, sur le cinéma d’auteur, l’art moderne ou le spectacle vivant, il fait mouche : ces événements attirent une vague de jeunes gens riches en quête de distractions, ainsi que des sponsors à la recherche de nouveaux clients parmi cette génération. Maintenant, Vadim compte créer un département international pour commencer à « exporter » son concept à l’étranger et se faire accepter par les professionnels européens.

A travers ces jeunes, c’est une image rajeunie et dynamique du pays qui se donne à voir. Pourtant, un bémol: et la culture dans tout cela ? Est-elle uniquement un outil au service de cette génération dorée, lui permettant tout simplement de mieux « se positionner », se distinguer du reste de la population, ou bien est-elle encore capable de faire face à cette standardisation de goûts, des aspirations, des phobies de ces jeunes gens ?

Par Daria APPOLONOVA