La politique slovaque, otage de la privatisation

La situation politique actuelle en Slovaquie indique que les élections parlementaires de l'automne 1998 ne doivent pas être un changement radical et irréversible dans le développement de cet État, le plus jeune du monde. La cristallisation du paysage politique est prise dans un mouvement dramatique permanent, et il est aujourd'hui à peu près impossible de fixer le point final de ce processus. Il est possible, néanmoins, d'observer quelques tendances importantes, qui, selon toute vraisemblance, influenceront le positionnement des forces politiques dans le futur.


Le Mouvement pour une Slovaquie démocratique reste la force dominante, même si la personnalité de son leader, Vladimir Meciar, limite ses possibilités. La transformation de ce mouvement en parti politique de type populaire, n'a pas augmenté l'influence de son cercle libéral incarné par Vojtech Tkac et Olga Keltosova mais a, bien au contraire, renforcé la position de Vladimir Meciar qui est aujourd'hui le principal obstacle à une entrée du HZDS au gouvernement. Pour l'instant, l'attention se dirige plus vers l'ambitieux chef du nouveau parti politique Smer, Robert Fico, devenu depuis son départ du Parti de la gauche démocratique (SDL au gouvernement), l'homme le plus populaire de Slovaquie.

Bien que la popularité du Smer ne menace pas encore la position du HZDS, ses perspectives, à long terme, sont exceptionnelles. Fico emploie la tactique de la destruction progressive de la base électorale du HZDS, au sein de laquelle il existe un pourcentage significatif de personnes déçues par le développement actuel de la gauche du paysage politique. Les observateurs considèrent Fico comme le futur Premier ministre le plus vraisemblable.

Néanmoins, le Smer est fragilisé par une ligne politique floue: il reste le parti populiste d'un homme (il n'a aucun vice-président) derrière lequel se trouvent d'influents cercles financiers. Le SOP, fondé par le président actuel Rudolf Schuster, a été créé de la même manière. Si la tendance actuelle à la création de formations politiques sur la base de forts groupes d'intérêt se poursuit, rien de bon n'attend la politique slovaque. Ce développement est surtout la conséquence d'une privatisation opaque qui est l'alpha et l'omega des relations économiques et politiques dans la république slovaque d'aujourd'hui. Un groupe d'entrepreneurs slovaques influents (baptisé G7 dans le milieu de la presse), dont dépendent la plupart des formations parlementaires, domine et paralyse la vie politique en Slovaquie avec des méthodes rappelant la pyramide mafieuse. Le clientélisme est l'une des plus grandes menaces pesant sur la standardisation de la vie politique de ce pays.

Il est donc possible que Fico parvienne au pouvoir après les prochaines élections, mais son influence ne fait que compliquer la cristallisation de la politique slovaque. On peut même prévoir des scissions ultérieures, et ce au moment où l'existence du Smer ne peut satisfaire intégralement les besoins de ses commanditaires.

Ces tendances sont suicidaires dans l'optique d'un développement économique sain de l'État. Aujourd'hui, il semblerait donc que l'orientation de la politique étrangère resterait inchangée, même après d'éventuelles élections législatives anticipées réclamées par le HZDS auxquelles le Smer ne s'opposerait certes pas. La seule formation politique refusant l'intégration euro-atlantique de la Slovaquie est le Parti national slovaque, peu significatif et actuellement dans l'opposition. Un risque peut néanmoins naître de la manière malheureuse dont on ne montre pas à la population les problèmes qui l'attendent sur le chemin de l'UE. Tout semble en effet indiquer que les mesures les plus dures liées à l'entrée dans l'Union, devront être adoptées par le gouvernement lors de l'année électorale 2002. Dans la situation actuelle, ce dernier a deux possibilités: soit il prend au sérieux l'entrée dans l'Union européenne et agit, auquel cas la population déjà suffisamment appauvrie se détournera de lui, soit il fait de l'électoralisme et, par là même, ralentit l'ensemble du processus d'intégration.

La question de la future coalition gouvernementale n'a jamais été aussi brumeuse. Tout dépendra de la cristallisation du spectre politique. Les réflexions sur une fusion progressive du HZDS et du Mouvement démocrate-chrétien (KDH), qui fait partie de la Coalition démocratique slovaque gouvernementale (SDK), sont prématurées, les leaders des deux ensembles refusant une telle intégration. Un rapprochement du HZDS et du KDH est cependant envisageable, les deux partis étant positionnés sur une même base électorale ouvertement conservatrice, provinciale et "à coloration nationale". Le HZDS se comporte de manière peu usuelle et renoue avec la base électorale traditionnelle de type ludak (populiste).

Des études sociologiques ont d'ailleurs déjà montré que le HZDS réussit dans les mêmes régions et auprès des mêmes catégories de population que celles qui soutenaient le Parti populaire de Hlinka (HSLS) de l'entre-deux-guerres, formation controversée qui collabora avec le régime pendant la guerre. On ne cache pas, à un très haut niveau du KDH, que l'on aimerait mordre sur les anciennes régions du HSLS. La nouvelle Union démocratique et chrétienne slovaque (SDKU), conservatrice-libérale, qui a en partie remplacé l'impotente SDK, se cherche également une place au soleil à droite du paysage politique. Il est vrai que le parti est, depuis sa création, la cible des attaques des médias en raison des circonstances peu orthodoxes de sa création. L'électeur slovaque ne s'intéresse pas, en règle générale, aux catégorisations traditionnelles et donne surtout l'avantage au changement, même si celui-ci est parfois difficilement identifiable.

On peut donc s'attendre à ce que les évolutions les plus intéressantes viennent de la gauche du paysage politique. La crise que vivent actuellement les socialistes réunis au sein du SDL a atteint de telles proportions (une baisse de 75 % dans les sondages), qu'en pratique seules deux issues sont possibles: un changement complet de la direction du parti ou son éclatement. Vu l'usure des laviciari (nom donné aux membres du SDL [ndt]), la deuxième possibilité paraît la plus réaliste. On pourrait ainsi assister au départ du cercle libéral du SDL (incarné par le président de la commission des Affaires étrangères du Parlement, Peter Weiss, par la ministre des Finances, Brigita Schmögnerova, et le ministre de l'Éducation, Milan Ftacnik) et à sa fusion avec les restes du SOP, du parti social-démocrate slovaque (SDSS) et peut-être du Parti des Verts de Slovaquie (SZS). Le reste du SDL se diluerait alors dans le Smer de Fico qui a atteint une position clairement dominante à gauche de l'échiquier politique slovaque.

Trois blocs de force équivalente pourraient ainsi se former, à l'avenir, en Slovaquie: un bloc conservateur (dont le noyau serait constitué par le HZDS), un bloc libéral (surtout représenté par la SDKU) et un bloc social-démocrate (le Smer de Fico). Il s'agit néanmoins d'une représentation simpliste parce que la bataille d'idée sur l'image de la politique slovaque ne s'est pas encore entièrement produite et que l'électeur slovaque ne ressent pas, pour le moment, le besoin de partis traditionnels forts. La véritable cristallisation du paysage politique slovaque se produira vraisemblablement après les futures élections législatives; aujourd'hui, toutes les possibilités sont encore plus ou moins ouvertes.

La nouvelle illusion actuelle est l'idéologie des "nouveaux visages en politique". Jamais, dans l'histoire de la Slovaquie, les attentes à l'égard des jeunes politiciens n'ont été aussi fortes. Paradoxalement, jamais la jeune génération n'a été aussi passive, conventionnelle et intellectuellement stérile. Les "nouveaux visages" ne parviendront pas à résoudre la situation actuelle de blocage de la politique slovaque parce que la nouvelle génération politique, en dépit de toutes les prédictions ou des vœux plus ou moins pieux, n'est pas encore apparue.

La situation politique actuelle en Slovaquie est le résultat du naufrage de la réforme économique en Europe de l'Est, de l'échec de la mise en œuvre irréfléchie du modèle néolibéral dans les premières années suivant la chute du communisme et des résidus hérités de la division controversée de la Tchéco-Slovaquie. C'est la lutte d'une génération marquée par la chute du communisme et l'existence d'une fédération impotente. La Slovaquie traverse aujourd'hui une période clé, très mouvementée, au cours de laquelle de nouvelles traditions apparaissent au sein de la culture politique. Le comportement socio-économique de la population y prend ses racines. L'orientation du pays, à long terme, a déjà certainement fait l'objet d'une décision ferme. L'appartenance de la Slovaquie à la civilisation occidentale constitue l'unique garantie stable et indiscutable du développement de ce pays dans les années à venir. Tout le reste est surtout fonction de la phase de privatisation en cours, phase déterminante pour la Slovaquie.

Par Eduard CHMELAR
Vignette : Robert Fico (source : SITA)