Dotée de nombreuses et prestigieuses institutions culturelles, dont la plupart remontent à la période austro-hongroise, Zagreb s'est engagée, depuis l'accession à l'indépendance de la Croatie, à consolider sa place parmi les centres culturels d'Europe centrale. A cet effet, la capitale croate s'offre une petite "cure de jouvence".
A la fin du XIXe siècle, Zagreb pouvait s'enorgueillir d'être la capitale culturelle des Slaves du Sud (Croates, Serbes et Slovènes) de l'Empire austro-hongrois. Le siècle suivant est marqué par la création en 1918 du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, puis par l'avènement de la Yougoslavie communiste. La ville s'impose alors comme le centre de la vie culturelle et politique des Croates face à d'autres villes comme Split et Dubrovnik, dans un pays fortement marqué par la régionalisation. En 1991, après l'éclatement de la Yougoslavie, Zagreb doit assumer son nouveau rôle de capitale dans un pays indépendant. Ainsi, à côté des transformations économiques (rénovation du tissu industriel, ouverture de centres commerciaux), elle a entrepris, depuis 1995, date de la fin de la guerre, de renouveler son paysage culturel: nouvelle bibliothèque nationale, réaménagement et ouverture de musées et d'archives sont autant de réalisations et de projets ambitieux destinés à réaffirmer l'orientation culturelle de la ville.
La Bibliothèque nationale et universitaire
La capitale croate a subi des bombardements mineurs pendant le dernier conflit (1991-1995). Elle a pourtant été contrainte de mettre à l'abri quantité d'œuvres d'art et de livres précieux et de fermer la plupart de ses musées. De son côté, la construction d'une bibliothèque nationale et universitaire, qui avait débuté en 1988, a été considérablement ralentie. Elle ne s'est achevée qu'en 1995 et le bâtiment a été inauguré symboliquement le 30 avril, jour de la fête nationale. Le nouvel immeuble remplace l'ancienne bibliothèque bâtie dans le style Sécession (1913), sans doute l'un des plus beaux exemples de ce style en Europe centrale. L'ancienne bibliothèque abrite désormais exclusivement les Archives de Croatie; à l'intérieur, le mobilier, les fresques et les sculptures ont été réalisés par les meilleurs artistes croates du tournant du XXe siècle.
Si la bibliothèque moderne, érigée à la périphérie du centre-ville, est éloignée des grandes institutions culturelles (Théâtre national croate, Musée Mimara, Musée des arts et métiers et le Pavillon artistique, un musée d'art moderne), elle présente l'avantage d'être dans le même axe que l'Hôtel de Ville et la grande salle de concert Lisinski, qui doit son nom au compositeur de Ljubav i zloba (Amour et noirceur), le premier opéra croate. Elle s'étend maintenant sur près de 45.000 mètres carrés répartis sur dix étages, dont deux souterrains. Puisqu'il assure la double fonction de bibliothèque nationale et universitaire, le bâtiment accueille aussi bien étudiants et professeurs que le grand public. Il est devenu, en l'espace de neuf ans, un lieu incontournable de la vie universitaire de Zagreb, organisant de nombreux concerts ainsi que des expositions littéraires et historiques. Le restaurant de la bibliothèque, au dernier étage, est un lieu de rendez-vous très prisé des étudiants de l'Université de Zagreb. De la terrasse de cet établissement, les lecteurs pourront bientôt apercevoir une autre construction nouvelle, le Musée d'art contemporain, qui doit être achevée d'ici deux ans.
De nouveaux locaux pour l'art contemporain
Créé en 1954, ce musée occupe pour l'instant deux bâtiments très exigus de la Ville-Haute, si bien qu'il n'y existe pas de collection permanente. L'époque où Zagreb était l'un des centres internationaux de l'art contemporain dans les années 60 semble bien loin. Le Musée d'Art contemporain avait été l'hôte à cinq reprises des expositions du mouvement des Nouvelles Tendances, accueillant les grands artistes d'alors (Vasarely, Le Parc, ou encore Soto) ainsi que des critiques et théoriciens d'art de renom tels que Abraham Moles et Umberto Eco. Il avait même lancé une revue en ligne consacrée à l'art et intitulée Bit, l'une des toutes premières de ce type dans le monde. Dans la foulée des Nouvelles Tendances, le Musée d'art contemporain s'était efforcé de confirmer sa position parmi les grands musées d'art contemporain d'Europe, mais le manque d'espace pour conserver et exposer les quelque 10.000 œuvres de ses collections se faisait cruellement sentir.
Le projet de construire un nouveau bâtiment devint donc une priorité. Pourtant, cette idée était née dès les années 1960. En près de 40 ans, les plans se sont succédé. Bozidar Gagro, historien de l'art et actuel ambassadeur de la Croatie en France, avait par exemple proposé d'aménager le musée dans une aile du bâtiment qu'occupe aujourd'hui le musée Mimara, en plein centre-ville. Finalement, après moult réflexions et débats, le ministre de la Culture décida, en 1998, de soumettre quatre emplacements au vote des dirigeants du musée. A l'issue d'un concours d'architecture âprement disputé, les premiers coups de pelleteuse ont enfin été donnés en novembre dernier. Le musée, qui s'étalera sur 12.000 mètres carrés, sera le plus grand du pays.
La mosquée
A quelques kilomètres de là, sur l'une des plus grandes places de Zagreb, un autre centre d'exposition, la Maison des artistes plasticiens, vient de s'offrir une cure de jouvence. Achevé en 1938 d'après les plans d'Ivan Mestrovic, en qui Auguste Rodin voyait un successeur et que la critique française de l'entre-deux-guerres considérait comme le plus grand sculpteur de l'Europe centrale, cet imposant édifice circulaire, surplombé d'une coupole, a connu un destin bien singulier. Le musée, alors propriété de l'Association des artistes plasticiens croates, a en effet été transformé en mosquée pendant la Deuxième Guerre mondiale par les Oustachis (extrémistes croates qui ont collaboré avec les Nazis), dont la politique était très favorable aux Musulmans, considérés comme des Croates. Le bâtiment a donc subi d'importantes transformations intérieures, mais l'aspect le plus visible et spectaculaire du réaménagement était la présence de deux minarets qui jaillissaient de la coupole. En 1949, les autorités communistes décidèrent d'y installer le Musée de la révolution, espacé consacré à l'histoire des Partisans de Tito. La même année, les minarets furent détruits, mais les traces de la mosquée ont subsisté à l'intérieur, notamment dans les décorations murales du sous-sol, mais aussi dans d'immenses blocs de béton armé.
Devenu Musée de la révolution des peuples de Croatie en 1962, l'ouvrage de Mestrovic est enfin redevenu propriété des artistes croates en 1993. Il n'aura servi que trois ans (1938-1941) comme musée d'art. En 1992, le président Tudjman avait souhaité le transformer en Musée des Grands Hommes croates, mais dut abandonner ce projet face à la pression du monde artistique. En représailles, la ville de Zagreb, administrée par le parti du président, avait décidé de ne plus verser un seul kuna dans l'entretien ou la rénovation de l'immeuble. Il fallut attendre le changement de pouvoir en 2000 pour que le gouvernement croate et la ville de Zagreb s'engagent énergiquement dans la réhabilitation de la mosquée, comme le surnomment affectueusement les Zagrébois, et pour que les habitants de la capitale découvrent ou redécouvrent ce monument avant-gardiste.
Depuis 2003, la lumière peut désormais pénétrer par les alvéoles de la coupole, qui avaient été obstruées pendant plus de soixante ans, et éclairer la très haute salle d'exposition du rez-de-chaussée, conçue dans les années trente pour accueillir les sculptures monumentales d'Ivan Mestrovic. Aujourd'hui, les amateurs d'art s'accordent pour dire que l'architecture de la mosquée est particulièrement bien adaptée aux formes d'expressions les plus contemporaines.
En l'espace d'une décennie, la ville de Zagreb a réussi à renouveler quelques-unes unes de ses grandes institutions culturelles. La municipalité annonce aussi la construction prochaine d'un nouvel Opéra et d'un nouveau bâtiment pour les Archives nationales. Une situation qui contraste avec d'autres régions de Croatie, directement touchées par le dernier conflit, qui pansent encore les cicatrices de la guerre. En effet, on mesure encore mal aujourd'hui l'ampleur des dégâts causés au patrimoine culturel: bibliothèques brûlées, musées saccagés, monuments publics déboulonnés, églises et cimetières profanés, tableaux volés… la liste est longue et la réhabilitation encore inachevée, comme en témoigne la ville de Vukovar, autrefois joyau de l'architecture baroque.