"Le 9 mai 1950, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, proposait, dans une déclaration devenue célèbre, de placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon et d'acier sous une haute autorité commune au sein d'une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe. Cette déclaration allait bientôt, donner naissance à la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) regroupant six pays (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays Bas), première étape de la construction européenne."
Regard sur l'Est : A-t-on quelques raisons d'être reconnaissants à Robert Schuman et à Jean Monnet, 54 ans après cette déclaration du 9 mai 1950 ?
Michel Barnier : Oui, nous avons des raisons de nous souvenir que la vision qu'ils ont eue était juste et que la promesse faite a été respectée. C'était une promesse de paix, une promesse de parole commune et de dialogue permanent entre la France et l'Allemagne. Ils parlent aussi de solidarité de fait, en rassemblant le charbon et l'acier de différents pays européens pour obtenir une masse critique suffisante et peser à l'échelle internationale.
Aujourd'hui, nous voyons bien que ce n'est pas individuellement que nous pouvons nous protéger, être entendus ou encore lutter dans les négociations commerciales, contre les bateaux poubelles de l'Atlantique, contre les risques de la mafia ou de la drogue…
Nous ne pouvons compter qu'ensemble, à l'échelle d'un marché de 450 millions de consommateurs, d'une communauté politique de 450 millions de citoyens. Et pour cela, il faut des hommes politiques, pour entraîner cet ensemble notamment dans les nouvelles dimensions à venir, culturelles, humanistes, éducatives d'une part, et la dimension politique de l'autre.
L'élargissement aura probablement des conséquences sociales importantes dans les pays adhérents, et en particulier dans les pays d'Europe centrale et orientale. En avril dernier, le prix du sucre a doublé en Pologne. Quel message peut-on donner aujourd'hui à la population centre européenne ?
Ce n'est pas facile d'entrer dans l'Union européenne. D'ailleurs, personne n'a dit que ce serait facile. Les nouveaux entrants ont dû faire de très grands efforts, notamment en reformant et en adaptant leurs économies respectives. Et ces réformes ne sont pas terminées. Il y a naturellement des à coups, comme l'augmentation du prix du sucre en Pologne. Il faut gérer ces problèmes dans la vie quotidienne. Et c'est le rôle de chaque gouvernement que de trouver les ajustements pour éviter des situations trop graves. Mon message est de dire: mettez les choses en perspective, regardez légèrement plus loin, comme l'ont fait les Espagnols, les Portugais, les Irlandais et les Grecs, qui ont rencontré les mêmes problèmes, les mêmes secousses, quand ils sont entrés dans cette Union européenne. Finalement, cette communauté a aidé ces pays à se développer et à s'équiper, à accompagner les agriculteurs dans la restructuration de leurs exploitations. C'est un progrès objectif qui a été réalisé pour tout le monde.
Je comprends ces difficultés, je fais confiance aux autorités de chaque pays pour les traiter dans l'urgence et dans l'immédiat, mais il ne faut jamais oublier la ligne d'horizon et de perspectives qui est celle de vivre dans un ensemble de 450 millions de citoyens et de consommateurs. D'avoir des opportunités d'échanges et de développement économique pour ces pays. Ils vont le constater rapidement, dans les mois qui viennent. Des solidarités très concrètes s'établiront. Près de 22 milliards d'euros vont être attribués, près de la moitié à la Pologne, pour équiper les régions, les désenclaver, faire des travaux d'environnement, des progrès techniques très concrets pour la vie quotidienne.
Mais le budget européen ne semble-t-il pas insuffisant pour réaliser ces objectifs ?
Les moyens budgétaires pour les trois années à venir sont suffisants. Ils ont été prévus pour mener à bien cette politique régionale. Vous savez, c'est beaucoup d'argent dont je parle, même si l'on souhaite qu'ici ou là, la somme soit toujours plus élevée. C'est une chose d'avoir beaucoup d'argent, c'en est une autre de le consommer, d'avoir des projets prêts. Le défi est maintenant de préparer ces projets, d'avoir des programmes dans chaque région. C'était le sujet dont je m'occupais quand j'étais commissaire européen. J'ai confiance dans la préparation de l'administration, comme les voïvodies et d'autres, pour pouvoir bénéficier de ces aides. L'argent sera là pour réaliser cette solidarité.