Lors de son dernier voyage en Pologne en août 2002, le pape Jean Paul II a pris nettement position en faveur de l'adhésion de la Pologne à l'UE. Cette déclaration attendue dans les milieux pro-européens ne signifie pas pour autant que tous les catholiques polonais s'exprimeront d'une seule voix lors du referendum sur l'adhésion prévu pour 2003. Le courant fondamentaliste fermement opposé à l'UE incarné par Radio Maryja reste en effet très puissant.
Depuis douze ans, l’Eglise catholique cherche à redéfinir sa place au sein du nouveau système démocratique polonais. Tout au long de l’histoire, l’Eglise a joué un rôle politique primordial en Pologne. Prenant le relais d’un Etat central fréquemment mis à bas par les partages territoriaux entre grandes puissances voisines, le clergé catholique n’a cessé d’oeuvrer à la préservation de l’identité nationale. Dans un passé plus proche, il s’est érigé comme l’un des principaux remparts face à l’arbitraire communiste.
Aujourd’hui encore, l’influence de l’Eglise demeure non-négligeable dans un pays où 95 % des citoyens se déclarent catholique. L’Eglise est très présente dans les débats de société. Plus surprenant, depuis 1997, année marquée par un voyage à Bruxelles des évêques polonais, elle milite également en faveur de l’intégration européenne. Des actions de sensibilisation sur la construction européenne sont ainsi organisées dans les paroisses en destination des prêtres et des fidèles, avec le soutien du Comité d’Intégration Européenne et du programme Phare[2].
Ces positions europhilies doivent beaucoup aux opinions pro-européennes de Jean-Paul II. En 1999, le pape déclara ainsi au Parlement que la Pologne avait «le droit de participer au processus de développement du monde et de l’Europe en particulier», le Saint-Père rappelant par ailleurs que « l’intégration de la Pologne à l’UE a été soutenue depuis toujours par le Vatican, les expériences acquises par la nation polonaise, sa richesse spirituelle et culturelle pouvant efficacement contribuer à toute la famille européenne, en renforçant notamment la paix et la sécurité en Europe»[3]. Dans son message délivré à Cracovie en août 2002, Jean Paul II a repris ces thèmes, répétant que la Pologne ne devait pas craindre d’adhérer à l’UE, et qu’elle devait devenir au contraire un modèle pour l’Europe en construction.
Ces positionnements s’accompagnent de réflexions plus profondes sur la vocation chrétienne de l’entité européenne fréquemment reprises par les prêtres polonais. Selon Jean-Paul II, la communauté culturelle du continent repose en effet sur «deux poumons», c’est-à-dire deux sous-cultures d’évangélisation, constituant les deux grandes traditions de l’Ouest et de l’Est.
Le soutien du pape et de la hiérarchie catholique au processus d’intégration de la Pologne à l’UE est pris manifestement très au sérieux par les responsables politiques polonais, ce notamment dans la perspective du referendum d’adhésion prévu pour 2003. En contrepartie de ce soutien, le gouvernement Miller s’est ainsi engagé officieusement à ne pas modifier la loi sur l’IVG. Certains observateurs dénoncent toutefois la surestimation de l’influence politique de l’Eglise auprès des électeurs. Selon un sondage réalisé par CBOS, 57% des Polonais considèrent en effet que l’Eglise est trop présente dans la vie politique. Selon une autre étude réalisée en juin 2002, 43% des Polonais estiment qu’il est important de connaître l’avis de l’Eglise sur l’intégration. Reste qu’une proportion à peu près égale de sondés (42 %) se désintéresse, sur cette question, de l’opinion de l’Eglise[4]
L’influence réelle de la hiérarchie catholique est d’autant plus discutable que le courant fondamentaliste fermement opposé à l’UE reste très actif au sein de l’Eglise, par le biais notamment de la station Radio Maryja (3 à 4 millions d’auditeurs) et du quotidien Nasz Dziennik (Notre Journal). Créée par le père Tadeusz Rydzyk en 1991, Radio Maryja fédère autour d’elle un véritable réseau de presse et d’édition ainsi qu’un mouvement associatif très actif. Lors des législatives en 2001, Radio Maryja a piloté la campagne de la Ligue des Familles Polonaises, le parti recueillant finalement 7,87 % des voix.
Pour les milieux fondamentalistes, le processus d’intégration européenne doit être stoppé à tout prix. Les forces étrangères risquent de mettre à mal l’identité nationale polonaise. L’UE est présentée comme une forteresse de l’athéisme, de la pornographie, de l’immoralité... et de la vache folle. Le discours extrémiste du père Rydzyk a été critiqué à plusieurs reprises par les intellectuels catholiques et les évêques modernistes. Compte tenu du succès recueilli par Radio Maryja, les responsables de l’Eglise polonaise se trouvent toutefois dans une situation délicate. Après 1989, alors que les rares médias catholiques disparaissaient faute de financements, le père Rydzyk et ses soutien nombreux dans la congrégation rédemptoriste, sont parvenus en effet à conserver une forte popularité auprès de la population.
L’impunité de Radio Maryja connaît toutefois des limites. Déjà, en décembre 1997, le primat Jozef Glemp a adressé une lettre au supérieur des Rédemptoristes en Pologne en lui demandant «de s’occuper de la composition du personnel dirigeant de Radio Maryja afin d’éviter toute erreur»[5].
Le décret de l’Episcopat d’août 2002, visant à préciser les modalités de fonctionnement des bureaux de Radio Maryja dans les paroisses semble confirmer ce durcissement de la hiérarchie catholique. Le débat sur l’intégration européenne - crucial pour la société polonaise - est ainsi devenu un enjeu au sein même de l’Eglise.
Par Katarzyna CZERNICKA
1 Une version antérieure de ce texte est disponible sur le site www.cceae.umontreal.ca/pdf/czernicka.pdf
2 Deux brochures gratuites - «L’Eglise, la Pologne, l’Union européenne» et «La campagne polonaise face à l’intégration européenne» - ont été envoyées à toutes les paroisses polonaises.
3 CZAJA (J.), «Stolica Apostolska wobec procesow integracyjnych w Europie», in. Studia Europejskie, n°1, 2001, p. 96.
4 Gazeta Wyborcza, 29 août 2002.
5 MINK (G.), «La Pologne en 1997, Les héritiers de «Solidarnosc» de retour aux affaires», in. Europe centrale, orientale et balte, éd. 1998, p. 117.