Aujourd’hui encore, le système universitaire de la Fédération de Russie regorge de traces de l’URSS. Ainsi l’instauration, à l’époque soviétique, d’une séparation assez rigide entre l’enseignement supérieur et la recherche fondamentale, domaine réservé ou, tout au moins, sous le contrôle budgétaire de l’Académie des sciences, a produit une dissociation entre ces deux activités qui reste problématique. La plupart des universités soviétiques avaient créé des instituts de recherche (nautchnie issledovatelskii institut NII) en leur sein, mais ceux-ci avaient un personnel spécifique, non-enseignant, qui faisait essentiellement de la recherche appliquée. Si quelques universités prestigieuses possédaient des laboratoires de recherche de grande valeur, les chercheurs de pointe se trouvaient dans leur quasi totalité à l’Académie des sciences où ils avaient davantage de moyens et moins de contraintes. L’affectation à une université ou à un institut de l’Académie des sciences pour l’aspirantur conditionnait d’ailleurs généralement l’orientation vers une carrière d’universitaire ou de chercheur.
Or le rôle essentiel attribué à l’enseignement supérieur dans le projet de formation de l’homme soviétique entraînait un contrôle très lourd du Parti. Celui-ci détenait l’effectivité du pouvoir alors que le ministère de l’Education ou le Comité d’Etat à l’Enseignement Supérieur n’intervenaient que de façon très limitée. Cette faiblesse de la tutelle ministérielle était renforcée par l’existence de nombreux établissements d’enseignement supérieur rattachés directement à des ministères sectoriels (Agriculture, Affaires étrangères, Industrie…). Ces derniers avaient une politique assez autonome de recrutement et de formation conditionnée par la planification des activités de leur branche. Le point commun à tous les établissements d’enseignement supérieur était l’affectation obligatoire (raspredilienie) de chaque diplômé à un poste choisi par les autorités de tutelle en fonction des besoins du plan sans qu’il lui soit demandé d’émettre le moindre avis sur la question.
1992 : une autonomie considérable
Cette absence de conception globale et de tutelle unique pèseront sur l’évolution de l’enseignement supérieur après la Perestroïka. La loi sur l’Education de 1992 marquera une rupture très nette. Rédigée en termes suffisamment vagues et consensuels, elle a permis des interprétations multiples, voire contradictoires, par les différents acteurs selon les époques. Elaborée par les libéraux, elle est très influencée par le credo du début de l’ère Eltsine sur le désengagement de l’Etat. Il correspond à un impératif financier évident, mais incarne également la démocratisation du pays et son cheminement vers l’économie de marché. L’enseignement supérieur, par son rôle économique et social, était un secteur clé à réformer et si le pouvoir fédéral s’est mis volontairement en retrait dans certains domaines, il a paradoxalement renforcé sa fonction tutélaire et unificatrice.
La loi fédérale de 1992, amendée en 1996 dans un sens plus étatiste, a posé un cadre assez souple sur lequel le système éducatif russe actuel s’est construit. Elle a été précisée pour l’enseignement supérieur par la loi fédérale d’août 1996 sur «l’éducation professionnelle supérieure et post universitaire». Les principales innovations sont introduites dès 1992 et concernent l’autonomie des établissements: autonomie financière d’abord, commandée par la volonté de l’Etat de diminuer ses dépenses, pédagogique ensuite, nécessaire pour adapter les cursus aux besoins nouveaux de la société.
Trouver de nouvelles ressources
La baisse du financement public de l’enseignement supérieur est déjà une dure réalité en 1992 et l’octroi d’une certaine autonomie de gestion aux établissements est une nécessité pour que ceux-ci continuent à fonctionner. La mesure décisive est l’autorisation de créer des structures privées au sein des établissements mais également par des nouveaux venus dans le champ de l’éducation. Les établissements publics vont, dans un premier temps, se multiplier en créant des filiales ou succursales «commerciales» au sein de leurs établissements mais aussi dans d’autres villes ou d’autres régions. lLe prestige des grands établissements publics servent de label de qualité, alors que les enseignants ne sont souvent que des transfuges du secondaire local reconvertis à la va-vite. Parallèlement explose un secteur privé indépendant qui s'implantera surtout à Moscou et Saint-Pétersbourg.
Le financement fédéral s’est assez vite limité aux salaires du personnel et aux bourses des étudiants, des versements dérisoires et irréguliers. Les régions ou les municipalités accordaient parfois des subsides, aggravant les inégalités entre établissements et entre régions. Toutes les possibilités offertes par la loi de 1992 ont donc été explorées par les recteurs (présidents d’université) et leurs équipes pour trouver de nouvelles ressources. Elles sont variées allant du troc et du bénévolat au mécénat en passant par toutes sortes d’activités plus ou moins lucratives selon les établissements. Le patrimoine immobilier a été rentabilisé par la location de bâtiments ou de bureaux à des entreprises privées (avec parfois échange de services comme ce cabinet dentaire installé dans un institut pédagogique qui soignait à prix réduits les étudiants de l’établissement), la transformation de résidences universitaires en hôtels… Les établissements ont également utilisé le potentiel technique ou scientifique des formations qu’ils offraient en créant des sociétés de conseil, d’expertise mais également des garages, des auto-écoles…
Enfin autre ressource non négligeable, les étudiants payant leurs études sont accueillis à bras ouverts. Si dans les cursus classiques, il ne fallait pas dépasser un certain quota de places payantes, des filières nouvelles étaient créées sans limitation d’accès aux étudiants bailleurs de fonds. Une année préparatoire au concours d’entrée, payante, était créée dans la plupart des établissements. La préparation d’un deuxième diplôme était systématiquement payante. Tous ces frais d’inscription étaient fixés librement par les universités. Ils étaient souvent plus élevés dans le public, qui bénéficiait toujours d’un certain prestige, que dans le nouveau secteur privé.
Nouveaux créneaux porteurs
Pourtant c’est ce nouveau secteur privé qui a été l’un des premiers facteurs d’innovation pédagogique pour l’ensemble de l’enseignement supérieur. Il s’est orienté vers les nouveaux créneaux porteurs. Les structures lourdes des universités publiques ont eu plus de difficultés à s’adapter à cette importante demande qui apparaît notamment en droit, en économie, en langues et en sciences humaines. Par contre les nouvelles structures, très légères et souvent sans passé méthodologique, s’inspirent des expériences étrangères. Payantes, elles peuvent offrir aux enseignants, en plus d’une certaine liberté pédagogique, une rémunération décente. Elles attirent dans un premier temps d’excellents enseignants des universités traditionnelles.
Cette concurrence a joué un rôle moteur dans la rénovation du secteur public qui s’est très rapidement approprié cette nouvelle demande. Il a bénéficié pour cela d’un personnel très compétent, très solide qui a, dans sa grande majorité, fait preuve d’une réelle capacité d’adaptation en s’initiant très rapidement à de nouvelles méthodes, voire à de nouvelles disciplines, sans parler du contenu même de certaines spécialités qui a été radicalement renouvelé.
L’Europe et les Etats-Unis ont participé activement à la mise en place de nouveaux cursus par l’attribution de bourses, de subventions, de contrats de recherche, de projets de coopération, de moyens matériels et par toute une politique d’expertise et de conseil. Ils ont aussi créé des filières au sein des grands établissements pour préparer leurs diplômes nationaux sur le territoire russe favorisant un peu plus l’emprise des modèles pédagogiques étrangers sur le nouveau système éducatif en formation. L’intérêt de ces pays était parfois contradictoire: il s’agissait d’être en relation avec les meilleurs enseignants et étudiants pour les utiliser à leur profit localement ou en les faisant venir mais également de favoriser l’éclosion de structures démocratiques, susceptibles de permettre la modernisation du pays. Ceci explique l'apparition de nombreuses réactions de rejet ou de repli nationaliste, engendrées par une impression de pillage ou de soumission à un modèle étranger aux traditions locales. Outre la contestation pédagogique, se pose la question de la dépendance, par rapport aux financements étrangers, de certains secteurs de l’université russe.
Enfin l’arrivée d’un nouveau personnel dans le monde universitaire a enrichi celui-ci d’expériences et d’approches originales. Les ressources des instituts de recherche ont diminué vertigineusement dès le début des années 1990, ceci obligeant les scientifiques à trouver d’autres revenus. Beaucoup débutèrent une carrière d’enseignant par des demi-postes au sein des universités dans lesquelles ils avaient fait leurs études. Autre catégorie qui a participé activement aux mutations pédagogiques: les jeunes enseignants ayant reçu des bourses étrangères et ayant effectué tout ou partie de leurs études supérieures à l’étranger. Pour ceux qui revenaient et parvenaient à intégrer une université, leur volonté de changement et la nouveauté de leur démarche scientifique tout autant que pédagogique ont impulsé des innovations notables. Ces multiples innovations pédagogiques ont rendu nécessaire une intervention des autorités de tutelle afin d’homogénéiser l’offre éducative et de la rendre plus lisible.
L’Etat ne renonce pas à ses prérogatives
Après une période d’ébullition dans la première moitié des années 1990, les autorités de tutelle vont renforcer leur contrôle et prendre des initiatives en vue d’une modernisation à long terme du système éducatif russe.
Selon la Constitution (article 43 alinéa 5), il revient à la Fédération d’établir les normes de l’éducation. Dans la continuité de la pratique soviétique, ceci montre l’importance accordée à une définition standard du contenu des enseignements, valable sur l’ensemble du territoire et dans tous les types d’établissements. Les nouvelles normes adoptées en 1994 étaient dès lors nécessaires pour préserver l’unité de l’espace éducatif fédéral et mettre de l’ordre dans la multiplication de nouveaux diplômes. Ces normes comportent 80% de composantes fédérales incompressibles et 20% de composantes régionales et locales (cette possibilité est rarement mise à profit). Pour chaque discipline, la norme précise le contenu minimum et le volume horaire des cours généraux et de spécialité, la répartition des heures entre formation théorique et pratique, la durée des périodes de congé et les dates des examens. Ces normes restent orientées vers l’apprentissage d’une masse de connaissances factuelles et l’énumération du nombre d’heures de cours, sans rien dire des compétences attendues des étudiants à ce niveau. Rigides, ces normes ne sont respectées scrupuleusement que dans les petits établissements, les plus prestigieux la considérant comme un simple moyen de contrôler les filières nouvelles qui se créent un peu partout tant dans le public que dans le privé.
Parallèlement à cette standardisation, il existe une politique complexe d’homologation des formations mise en place dès la loi de 1992. Un établissement d’enseignement supérieur public ou privé en cours de création doit se faire enregistrer comme organisme à but non lucratif. Cette reguistratsia lui donne la personnalité morale, étape nécessaire pour obtenir une autorisation (litsenzia) qui définit les formations et les diplômes qu’il peut délivrer ainsi que le nombre maximal d’étudiants. Cette autorisation est accordée sur des critères matériels: le respect des normes sanitaires, de sécurité, les équipements, l’effectif et la qualification des enseignants. Cette première étape est relativement facile à franchir. En revanche, très peu d’établissements obtiennent l’attestation et encore moins voient leur diplômes accrédités. Car ces deux derniers stades conditionnent l’obtention de subventions publiques. Or, les membres des commissions de certification sont majoritairement issus ou liés au secteur public, et donc peu désireux de partager des subsides déjà bien modestes. L’attestatsia certifie la conformité du contenu et de la qualité de la formation aux normes du ministère. Elle est valable cinq ans et nécessaire pour obtenir l’habilitation de l’établissement (akkreditatsia). Cette dernière est, elle, attribuée par l’administration sur recommandation d’une commission. Elle permet la délivrance de diplôme d’Etat et l’attribution du statut d’établissement d’Etat. Permettant également l'exemption du service militaire pour une inscription en troisième cycle, elle rend ces établissements particulièrement attractifs.
Modernisation de l’éducation
Outre ce système assez technique de standardisation mis en place par les autorités de tutelle pour contrôler la croissance chaotique du secteur, une volonté de réforme d’ensemble du système d’éducatif est apparue dès la seconde moitié des années 1990. De multiples projets se sont succédé sans qu’aucun ne soit réellement mis en œuvre. Le dernier en date, présenté à la presse en février 2002, porte sur la modernisation de l’éducation russe d’ici 2010. Il illustre la détermination du gouvernement à rapprocher le système éducatif de la Fédération de celui en vigueur dans les pays occidentaux. Le texte prévoit l’allongement de la durée de la scolarité générale qui passerait à 12 ans mais pas avant 2006-2007. Il propose également une spécialisation (profil’naïa obutchenïa) à partir de la 10e classe.
Une innovation est particulièrement contestée, celle de l’instauration d’un examen national qui serait à la fois de fin d’études secondaires et d’entrée dans l’enseignement supérieur. Ainsi la toute puissante Association des Présidents d’universirtés s’y oppose car elle y voit une restriction de la marge d’initiative des établissements pour recruter leurs étudiants. Elle est en revanche favorable à l’intégration verticale proposée par la réforme et qui ne fait qu’entériner des pratiques déjà existantes de coopération très étroite entre des établissements du secondaire et du supérieur. De nombreux accords ont été signés liant deux établissements et permettant à ces universités d’entretenir un vivier. L’autre forme d’intégration, horizontale celle-là, entre les instituts de recherche et les universités constitue depuis longtemps (programme proposé dès 1996) une priorité pour le gouvernement. Les activités de recherche sont aujourd’hui une condition d’attribution du statut d’établissement d’enseignement supérieur. Une autre intégration horizontale a toujours suscité de fortes oppositions locales, notamment celle de petits établissements menacés d'annexion. Elle imposait la fusion des établissements publics d’une même ville afin de réaliser des économies d’échelle.
Le vaste chantier de l’enseignement supérieur est loin d’être terminé. Les impératifs économiques limitent les possibilités de modernisation rapide et uniforme. De plus il est difficile de dégager une direction claire tant les conflits d’intérêts sont importants. La volonté ministérielle d’obtenir un consensus entraîne la production de textes très généraux ayant peu d’effets concrets. Pourtant le poids des autorités de tutelle sur ce secteur est bien réel et va sans doute continuer d’augmenter sous l’impulsion du pouvoir actuel. Le ministère semble partagé entre une tentation interventionniste, l’éducation étant un secteur clé dans la reconstruction du pays, et un certain immobilisme sous la pression de responsables d’établissement ayant pris goût à leur autonomie.
Universités, académies et instituts
Les termes génériques d'université, d'universitaire sont est employés comme équivalent de la dénomination Vyschieie utchebnoie zaviedieniïe (Vouz) qui comprend l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur. Les Vouz regroupent essentiellement trois types d'établissements: les universités, les académies et les instituts. Les différences sont assez formelles entre ces trois dénominations même si "université" est l'appellation la plus prestigieuse. De ce fait, la plupart des instituts soviétiques sont devenus des universités russes.
Une énumération des spécificités de chacun des trois types d'établissements a été faite dans un décret gouvernemental du 5 avril 2001 (n° 264 article 12), "Statuts des établissements d'enseignement professionnel supérieur (Vouz) de la Fédération de Russie"[Tipoviïe polojeniïe ob obrazovatel'nom utchriejdienii vyschiego professional'nogo obrazovaniïa (vyschiem utchebnom zaviedienii)Rossiïskoï Federatsii]. Les universités seraient les établissements d'excellence, offrant le plus grand nombre de cursus et le plus haut niveau de formation scientifique, les instituts offriraient, quant à eux, des spécialisations plus étroites alors que les académies occuperaient une position intermédiaire.
Dernière précision sémantique, l'appellation enseignement professionnel en Russie regroupe l'enseignement technique.ainsi que l'ensemble de l'enseignement supérieur
Cours du soir ou par correspondance
En 1994, l’Etat a édicté de nouvelles normes, concernant les programmes et les volumes horaires des différentes disciplines: 54 heures hebdomadaires maximum pour les études à plein temps, au minimum 10 heures pour les études à temps partiel et 160 heures annuelles sur site pour les études par correspondance. Legs de l’époque soviétique, un grand nombre d’étudiants choisissent les cours du soir et l’enseignement par correspondance.
Cette spécificité s’explique par la volonté soviétique de favoriser les travailleurs se lançant dans des études et de développer les régions même les plus reculées. Sur 3.046.500 étudiants dans les établissements publics d’enseignement supérieur en 1997-1998, près d’un million faisaient leurs études par correspondance (964.400) et près de deux cent mille étaient inscrits aux cours du soir (178.000).
Pour les établissements privés, sur 201.800 inscrits, la moitié (99.900) suivaient leur scolarité par correspondance et 18 600 en cours du soir (ces chiffres sont issus du recueil annuel de statistiques du Goskomstat, édité à Moscou en 1998).