C'est en Terre sainte, à Jérusalem, qu'est apparu l'Ordre des Chevaliers Teutoniques au milieu du XIIème siècle, sous la forme d'un hôpital destiné à héberger et à soigner les pèlerins et les croisés allemands. En 1198, cet hôpital est transformé en ordre monastique qui porte le nom des « Frères de la Maison de l'Hôpital de Notre-Dame à Jérusalem ». Le terme « teutonique » que l'on utilise en français nous vient du latin « teutonicus », terme qui désigne les Allemands. La règle administrant ce nouvel ordre s'inspirait à la fois de celle des Templiers et de celle des Hospitaliers.
Dès le début du XIIIème siècle, cet ordre de moines chevaliers s'est très vite développé, grâce à de nombreux privilèges et donations. Mais ils ne se contentaient pas de quelques domaines épars et semblaient vouloir se constituer un territoire autonome.
Après avoir essuyé un échec en Hongrie, ils sont parvenus à réaliser leur dessein en répondant favorablement à l'appel lancé par le duc polonais Conrad de Mazovie, au cours de l'hiver 1225-1226.
Le duc polonais rencontrait alors des difficultés avec les Vieux Prussiens, des païens résidant en Prusse (au nord de l'actuelle Pologne). Bien que l'ordre cistercien y fût déjà implanté, la christianisation était loin d'être effective. Il semble même que ces tribus prussiennes effectuaient sporadiquement des raids dans la zone frontière de la Terre de Chelmno. En échange de l'aide des chevaliers teutoniques à christianiser les Vieux-Prussiens, Conrad de Mazovie leur faisait don de la Terre de Chelmno et des terres qu'ils conquerraient.
L'arrivée de l'ordre en Pologne
Les chevaliers teutoniques sont arrivés en Pologne en 1232. Ils ont commencé par s'installer sur la rive droite de la Vistule où ils ont construit un premier fortin qui a donné naissance à la ville de Torun, puis ils sont allés vers le nord où ils ont fondé les villes de Chelmno et de Kwidzyn.
Le processus était presque toujours le même: les chevaliers soumettaient le chef païen local, forçaient la population à se convertir et construisaient un château autour duquel, peu à peu, une ville prenait naissance, grâce à l'arrivée de colons allemands qui permettaient de germaniser les terres.
Les chevaliers teutoniques ont peu à peu conquis toute la Prusse et leur avancée vers l'est n'a été stoppée que par le prince de Novgorod, Alexandre Nevski, au cours de la bataille du Lac Peipous en 1242. Même si les peuples conquis ne se soumirent pas facilement à la domination teutonique -les insurrections des Vieux-Prussiens, Livoniens… furent nombreuses- la pacification de la Prusse était cependant effective à la fin du XIIIème siècle. Les chevaliers teutoniques sont alors à la tête d'un vaste territoire faisant de leur ordre un acteur puissant de l'Europe médiévale. Le château de Malbork illustre parfaitement cette puissance teutonique (voir organisation de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques p. 31).
L'ordre des chevaliers teutoniques est à l'apogée de son prestige au XIVème siècle et sa renommée est universelle. Le château est alors le théâtre de grands banquets et l'ordre reçoit de nombreux princes régnants avec faste. Ses territoires se sont encore accrus.
L'ordre s'est notamment approprié la Poméranie de Gdansk. C'est un événement important car il ne s'agissait pas d'une terre à christianiser et qu'elle était de plus revendiquée par la Pologne qui n'a pu la récupérer malgré une guerre et deux procès papaux.
Les chevaliers teutoniques ont également dû affronter un autre adversaire tout au long du XIVème siècle : les Lituaniens, qui se convertissaient régulièrement au christianisme, ôtant ainsi toute légitimité aux chevaliers de l'ordre de les attaquer. La situation s'est modifiée en 1386, lorsque le chef lituanien Jagiello s'est converti au christianisme, prenant le nom de Ladislas Jagellon et s'est marié avec Hedwige, l'héritière du trône polonais, marquant ainsi le début de l'union personnelle de la Lituanie et de la Pologne, qui n'était pas décidée à laisser l'ordre se développer à ses dépens.
Au sein même du Royaume de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques, des voix ont commencé à s'élever contre les exactions de l'ordre et se sont ainsi constituées des associations de défense contre des abus d'autorité. Les membres de ces associations prêtaient serment de défendre leurs intérêts et combattre la toute puissance des chevaliers.
La chute de l'ordre
Les adversaires de l'intérieur et de l'extérieur n'ont pas tardé à se rejoindre. L'affrontement entre les troupes polono-lituaniennes et teutoniques a eu lieu en 1410 à Grunwald et s'est soldé par une écrasante défaite pour l'ordre teutonique: il y eut plus de deux cents chevaliers tués dont le Grand Maître lui-même, et deux tiers de l'effectif total. Le commandeur de Schweig est cependant parvenu à organiser la défense des forteresses et à se réfugier dans le château de Malbork que Jagellon a assiégé deux mois durant, en vain.
Une paix a été signée à Torun en 1411, mais les affrontements ont continué, épisodiquement. L'Ordre Teutonique a perdu sa réputation d'invulnérabilité. La chute de l'ordre est cependant venue de son sein même.
Les villes teutoniques, exaspérées par les exactions des chevaliers, se sont regroupées en 1440 dans une Ligue des Etats Prussiens, reconnue par l'empereur Frédéric III. En 1454, sur l'initiative de la ligue, cinquante-six villes prussiennes se sont insurgées, tandis qu'une délégation s'est rendue à Cracovie offrir au roi de Pologne la suzeraineté sur la Prusse. C'était le début de la Guerre de Treize Ans dont la Pologne est sortie à nouveau victorieuse. Le second Traité de Torun du 19 octobre 1466 a attribué toutes les possessions de Prusse occidentale à la Pologne. Le territoire teutonique se limitant alors à la Prusse orientale, avec pour nouvelle capitale Königsberg (aujourd'hui Kaliningrad).
La fin de l'aventure teutonique en Prusse date du siècle suivant, en 1523, lorsque le Grand Maître d'alors a choisi de séculariser la Prusse qui est de fait devenu un Etat laïc. Si l'ordre a perdu toute influence à la fin du XVème siècle, les conséquences de la création de son Etat en Prusse sont visibles jusqu'à notre siècle. L'Etat prussien auquel l'ordre a indirectement donné naissance n'a disparu qu'en 1919, après avoir joué un grand rôle dans l'histoire de l'Europe, et la Seconde Guerre Mondiale a éclaté lorsque Hitler a envahi le couloir de Dantzig (Gdansk) pour rejoindre les territoires allemands de Prusse orientale.
L'Ordre Teutonique existe encore aujourd'hui, avec une règle modifiée afin d'en faire un ordre purement monastique, retrouvant ainsi sa vocation d'origine. Son siège se trouve à Vienne.
Cependant, les chevaliers teutoniques, comme le château de Malbork, ont connu une nouvelle gloire au XIXème et XXème siècle et constituent un exemple éloquent de l'utilisation de l'histoire à des fins patriotiques, ce qui fera l'objet d'un prochain article.
L'organisation de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques
Le succès de l'ordre a reposé sur son organisation rigoureuse que régissait un grand nombre de règles, de coutumes et de lois, souvent modifiées et complétées.
L'instance suprême était le Grand Maître qui était nommé et déposé par le chapitre. En outre, le chapitre surveillait la gestion, contrôlait les administrations, aliénait les biens et modifiait la règle. Le Grand Maître n'avait pas le pouvoir absolu. Il était assisté par le grand commandeur, sorte de vice Grand Maître et le Maréchal, chef des armées, qui devait cependant obéissance au Grand Maître. Un Drapier s'occupait de l'équipement. Les aumônes et le bon fonctionnement des hôpitaux étaient assurés par l'Hospitalier, tandis que la gestion de tous les revenus de l'ordre était attribuée au Trésorier. Tous les membres de l'ordre n'avaient pas le même statut. Le manteau blanc signé de la croix noire n'était porté que par les chevaliers et les prêtres.
Les frères chevaliers devaient être de naissance noble. Une cérémonie d'adoubement les faisait chevaliers à partir de quatorze ans.
Les frères prêtres n'étaient pas forcément nobles mais ne devaient pas non plus être serfs. Leur fonction était religieuse et administrative.
Le troisième groupe était constitué par les frères servants, qui formaient une cavalerie légère d'appoint.
A ces trois groupes s'ajoutaient les Familiers, qui s'étaient joints à l'ordre par soucis pieux, et les serviteurs d'origines diverses qui devaient observer une stricte obéissance à la fois chrétienne.