Les jeunes et l’Eglise en Lituanie

Comme la plupart des pays de l’Est, la Lituanie est confrontée depuis plus de quinze ans maintenant à une véritable révolution sociale. Au nombre de ces vastes changements, le rapport à la religion a mis en évidence nombre de difficultés. Notamment celle de la communication inter-générationnelle.


«La Lituanie a perdu l’un de ses grands amis». C’est avec ces mots que, le 2 avril 2005, le Président lituanien, Valdas Adamkus, exprimait son émotion à l’occasion de la mort de Jean Paul II et proclamait le deuil national. La commotion s’empara rapidement de cette «deuxième Pologne» de la Baltique. Mais la Lituanie qui pleurait la perte d’une des plus grandes personnalités du XXe siècle n’était déjà plus ce pays qui, quelques années auparavant, s’était battu la croix à la main contre le régime soviétique.

Quelle Lituanie ?

Parmi les principaux éléments fondateurs et fédérateurs de l’opposition lituanienne au communisme, le catholicisme a en effet accompagné le pays dans sa lutte pour l’indépendance. Son rôle a bien changé depuis. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et les débuts de la résistance armée, l’attachement à l’Eglise et à sa doctrine a contribué au maintien d’un sentiment d’appartenance commune. Les revendications en faveur de la liberté de culte ont marqué toutes les étapes de la lutte contre «l’Antéchrist» soviétique.

Il s’agissait, avant tout, d’un trait d’union avec l’histoire de l’Etat moderne lituanien né à l’issue du premier conflit mondial et assez strictement lié, par ses plus grands intellectuels, au sentiment chrétien. Puis, pendant l’occupation soviétique, le christianisme se chargea d’une valeur symbolique : il incarna une sorte d’union mystique du peuple contre l’envahisseur soviétique, rappel de la lutte des Lituaniens contre la Russie tsariste au XIXe siècle.

Mais le temps s’écoule, entraînant, avec l’évolution du contexte historique, la modification du contexte social. En effet, l’indépendance, en 1991, n’a pas seulement signifié le changement du système politique et social. En Lituanie aussi, la chute de l’URSS a rimé avec bouleversement des coutumes, des comportements sociaux et des modèles de référence, et signifié une nouvelle approche du phénomène religieux.

Déjà, durant la période gorbatchévienne, l’appel au retour à une liberté religieuse jugée fondamentale s’était fait de plus en plus pressant, accompagnant les revendications nationales. Mais, si l’abandon du «nicodémisme d’Etat», c'est-à-dire d’une fidélité souvent extérieure aux dogmes du matérialisme dialectique, a pris finalement réalité, les espoirs des évêques et de certains milieux politiques conservateurs se sont finalement avérés de simples rêves.

Le nouveau rapport avec l’Europe occidentale, le retour d’une classe intellectuelle formée et épanouie aux Etats-Unis et la conversion à l’économie de marché ont résolument placé la Lituanie sur la voie d’une transformation profonde. Le catholicisme même allait relever du domaine privé, abandonnant son précédent rôle de vecteur d’identification nationale.

A société nouvelle, besoins nouveaux

Les sondages récents portant sur l’attitude des Lituaniens à l’égard de la religion dressent un tableau assez complexe, qui fait apparaître deux tranches nettes, dont l’âge est le facteur discriminant. En général, les adultes qui ont été éduqués dans la philosophie des soviets manifestent aujourd’hui encore une rigidité marquée à l’égard des nouvelles évolutions sociales. Chez eux, l’identité religieuse est encore souvent conçue comme point d’appui pour la conservation de l’autonomie individuelle et collective. Ce que confirme d’ailleurs la refondation, souvent avec l’appui et la collaboration des institutions ecclésiastiques, de groupes d’inspiration évangélique-nationale datant d’avant guerre.

Les jeunes de moins de 30 ans, c’est-à-dire ceux qui ont vécu leur adolescence dans la Lituanie indépendante, semblent en revanche appréhender la religion de manière assez semblable à celle des autres jeunes Européens. Selon les résultats d’une enquête sur la jeunesse lituanienne (14-29 ans) menée en 2004, la religion ne laisse derrière elle que «le pouvoir» et «la prise de risque» comme valeurs jugées importantes pour la «réalisation personnelle». De même, en ce qui concerne la confiance accordée aux institutions, la religion se situe à l’avant-dernière place, juste avant la politique !

La désaffection des jeunes à l’égard de la religion se reflète d’une façon moins homogène, mais très significative, dans les comportements sociaux. Dans l’enquête précédemment citée, la grande majorité des personnes interrogées affirment reconnaître la valeur du mariage, éventuellement après une période plus ou moins longue de concubinage. En revanche, on constate qu’un nombre croissant de jeunes filles voient dans l’avortement une méthode contraceptive comme une autre. Entre 1990 et 2000, le nombre d’avortements aurait été divisé par cinq, mais 52% des femmes qui optent pour l’interruption volontaire de grossesse ont moins de 29 ans.

La doctrine officielle de Rome supporte également assez mal la confrontation à la réalité des comportements sexuels des jeunes couples. Comme ailleurs, les relations sexuelles avant le mariage sont devenues depuis longtemps une pratique commune largement acceptée.

Au-delà de la tradition

Comme dans le reste de l’Europe, le New Age et les religions orientales ou alternatives ont acquis un rôle de plus en plus fort dans la société lituanienne. Une fois encore, ce sont les jeunes générations qui sont les plus attirées par ces nouvelles vagues religieuses dans lesquelles elles veulent reconnaître une réponse originale -et potentiellement syncrétique- aux questions que pose le contexte «occidentalisé» qui est celui de la Lituanie d’aujourd’hui.

D’après une enquête récente sur les valeurs en Europe (1999), 75% de ceux qui se déclarent intéressés par les diverses formes que peuvent revêtir l’occultisme et le New Age sont des chrétiens romains, dont la plupart ont moins de 30 ans. On peut y voir le énième symptôme de l’insuffisance des réponses de l’Eglise officielle face à la transformation de cette société post-communiste.

Après la chute du communisme, la hiérarchie catholique a repris sa place au sein des instances du pouvoir, place qui lui avait été volée après la Seconde Guerre mondiale. Les structures classiques de la doctrine ont été intégrées par certaines organisations politiques enclines à utiliser l’enseignement de l’Eglise comme source d’inspiration. Il semble qu’une part assez modeste et plutôt âgée de la population se satisfasse d’une telle forme de christianisme politique «à la XXe siècle». A savoir des Lituaniens qui se déclarent particulièrement liés à l’habitus catholique traditionnel.

Si l’écart entre les générations répond à une nouvelle structuration des besoins sociaux, les seules déclinaisons de la religion traditionnelle qui semblent pouvoir former un trait d’union inter-générationnel sont venues de l’Ouest au début des années 1990 : Opus Dei, Comunione e Liberazione, Focolarini, trois associations qui se proposent comme de véritables lieux sociaux et religieux catholiques avec une hiérarchie très stricte et discriminatoire à l’égard de l’extérieur, connaissent un gros succès en Lituanie. Le prestige et le succès de ces formes d’associationnisme catholique dans la société semblent confirmer leur apport de plus en plus fondamental à la vie et à la transformation de l’Eglise lituanienne.

Le fait que se conjuguent une telle forme de socialisation et un sectarisme religieux capable d’assurer la sécurité et de préserver l’«identité » des communautés révèle une tendance ancienne au sein de certains groupes ecclésiastiques et qui trouve dans le magistère de Benoît XVI un terrain propice à sa prolifération. Pour un pays, comme la Lituanie, mixte sur le plan ethnique, ce conservatisme peut être perçu comme déstabilisant et périlleux pour l’intégration européenne.

 

 

* Andrea GRIFFANTE est membre de l’A.I.S.S.E.C.O. (Association italienne pour les études historiques sur l’Europe centrale et orientale)