Les Magyars et les Saxons de Transylvanie

La Transylvanie, «Pays de l’autre côté des montagnes», comprend la dépression centrale de la Roumanie, entourée par les Carpates. C’est là que des Magyars et Saxons présents depuis plusieurs siècles ont su préserver leur identité et leur langue.


Ville de Târgu Mureş, département de Mureş, Emilia SzekelyLes premières tribus païennes hongroises venues des steppes d’Oural en 896, se sont installées dans la pleine Pannonique et ont progressivement migré vers le sud-est de la Transylvanie. Au 12e siècle, le Roi Géza II de Hongrie, fait appel aux colons sicules[1], peuple guerrier aux origines incertaines (probablement turco-mongole) pour défendre les frontières à l’est, et aux Saxons (originaires de Franconie), pour développer l’économie et assurer la défense au nord-est et au sud de Transylvanie.

Magyars et Saxons, dans la tourmente de l’histoire

En1867, la Transylvanie est incorporée à la Hongrie au sein de la Monarchie austro-hongroise; elle devient partie intégrante de la Roumanie après la dissolution de l’Empire, en 1918. Dans les premiers mois de l’unification avec la Roumanie, les autorités roumaines imaginent un partage de pouvoirs entre la majorité roumaine et les autres minorités, magyares et saxonnes.
Toutefois, ce choix est rapidement abandonné au profit d’un système centralisé, laissant ces minorités sans prérogatives spécifiques. Les Magyars de Transylvanie doivent alors s’accommoder au statut de minorité nationale et ils créent en 1921, le parti de l’Union Magyare pour défendre leur intérêts (reconnaissance de droits collectifs pour cette minorité: droit à un territoire propre et à l’autodétermination économique et spirituelle).

Après l’instauration du régime communiste, le gouvernement roumain mènera une politique ambiguë vis-à-vis de cette minorité. En 1952 sous la pression de Staline est créée la Région autonome magyare, (actuellement les départements de Harghita, de Covasna et le Nord de celui de Mureş) qui restera néanmoins sans réelle autonomie politique –comme le reste de la Roumanie- mais où le bilinguisme sera pratiqué dans l’administration publique. Avec l’adoption de le Constitution de 1965, une nouvelle organisation administrative est mise en place autour d’un découpage territorial sans critère ethnique.

Les Saxons, culturellement germanophones, sûrs de leur tradition de communauté minoritaire, reconnue par une majorité, ne sont pas perçus par le pouvoir roumain d’après 1918 comme une minorité revendicatrice d’autonomie territoriale.
Avec la montée des tensions interethniques, consécutives aux assimilations forcées, certains segments de population saxonne se sont radicalisés et adhèrent aux idéologies fascistes. Obligés de s’engager dans les Waffen-SS, peu réchappent de la guerre, et ceux qui retournent en Transylvanie sont dépossédés de leurs biens, droits civils et politiques et déportés après 1945, en URSS, avec une partie de leur famille.

Le sentiment de frustration, déjà sous-jacent au sein de la minorité saxonne, s’accentue durant la période communiste amenant nombre d’entre eux à s’interroger sur leur volonté de continuer de vivre en Transylvanie. Profitant de la loi allemande de 1953, l’exode des Saxons transylvains vers l’Allemagne fédérale ne fait que croître. Le rythme des départs entre 1953 et 1989 est approximativement de 12.000 personnes par an. Les recensements enregistrent ainsi 176.915 de Saxons en Transylvanie en 1977 mais seulement 18.310 en 2002, dont 10.972 dans les départements de Braşov et Sibiu[2].

Des identités ethno-culturelles aux parcours différents

Après 1989, les nationalités magyares et saxonnes ont entretenu des rapports spécifiques avec les „Nation mères” (l’Allemagne et la Hongrie).

Le parcours des Saxons renvoie à une identité ethnoculturelle caractérisée par une certaine mobilité. Les Saxons de Transylvanie se sont largement installés en Allemagne de manière définitive. Leurs démarches ont été facilitées par la législation allemande qui considérait les minorités germanophones de l’Europe de l’Est comme appartenant culturellement à la nation allemande avant même leur arrivée en Allemagne. Les candidats au départ devaient déclarer auprès de l’Ambassade leur appartenance à la minorité germanophone et prouver la pratique de la langue et des coutumes allemandes, critères déterminants pour l’obtention de l’ordre d’admission en Allemagne.
Le Forum Démocratique des Allemands de Roumanie, créé en 1990, instance politique siégeant à Sibiu, représentative de la minorité germanophone, s’est impliqué dans l’application de la politique d’émigration saxonne vers l’Allemagne, intervenant auprès de l’Ambassade Allemande, pour faciliter le traitement des dossiers. Les Saxons installés en Allemagne bénéficient de la double citoyenneté, ce qui grâce à un riche réseau associatif, facilite les échanges entre ceux déjà établis en Allemagne et ceux restés en Roumanie: nombreux Saxons se sont installés dans une mobilité pendulaire, revenant en Roumanie pour développer des activités économiques ou culturelles.

Les 978.656 Magyars vivant en Transylvanie [2] font de cette minorité la plus nombreuse de la région. Sa concentration dans les départements de Covasna et de Harghita, où vivent 440.196 Magyars (Sicules), reste déterminante pour son influence politique et son activisme. Leur présence en majorité sur ce territoire a permis la formation d’une identité régionale particulière pour cette population, donnant lieu à des revendications portant sur les droits collectifs et l’autonomie territoriale régionale. Ce désir a caractérisé le discours politique des élites magyares de l’Union Démocratique des Magyars en Roumanie (UDMR) dès sa création en décembre 1989.

Sans conteste, la préservation de l’identité représente un élément essentiel pour la minorité magyare de Transylvanie. Elle va de pair avec la politique de la Hongrie, Nation mère construite durant la période post-communiste sur des principes de maintien des Magyars en Transylvanie pour perpétuer leur identité ethnolinguistique et culturelle. Le sentiment de responsabilité envers les Magyars vivant à l’extérieur de ses frontières, se retrouve dans l’art 6 de la Constitution hongroise, révisé en 1989.

C’est dans ce contexte que fut adoptée en 2001 par le Parlement de Budapest « la loi du Statut » prévoyant des mesures économiques, sociales et culturelles pour les minorités hongroises à condition de bénéficier d’un certificat d’identité hongrois délivré par les Consulats hongrois en Roumanie sur des critères de connaissance de langue et de pratique des coutumes magyares. Limitant le groupe de bénéficiaires aux seuls Magyars citoyens et résidents des pays voisins (Croatie, Serbie, Monténégro, Roumanie, Slovénie, Slovaquie et Ukraine), se trouvant dans cette situation par les traités de paix conclus à la fin des deux guerre mondiales, cette loi empruntait à la notion de «nation hongroise», des fondements ethno-territoriaux. Le Gouvernement roumain à qualifié cette loi de «substitut pour une seconde nationalité»; son adoption en Hongrie, a donné lieu à un différend entre la Roumanie et la Hongrie qui s’est apaisé par un amendement en 2003.

Langues minoritaires versus langue officielle

Avec l’instauration de l’Empire austro-hongrois en 1867, la langue hongroise était devenue obligatoire en Transylvanie. Pendant cette période les autorités hongroises ont mené un politique de magyarisation forcée, le contrôle d’Etat était introduit dans les écoles confessionnelles et ce en dépit d’une majorité de locuteurs non magyars [3].A la fin de l’année 1918, lors de l’unification avec la Roumanie, la Transylvanie était fortement magyarisée en termes politiques, administratifs et culturels. Ce qui détermina le gouvernement roumain à mener une politique inverse de «roumanisation». L’administration locale a été progressivement investie par des fonctionnaires venus de Bucarest, la langue roumaine étant la seule déclarée légale dans la vie publique et l’administration; de plus une loi en 1924 obligeait les enseignants à passer un examen de langue roumaine, ce qui a réduit considérablement le nombre des personnes qualifiées pour soutenir l’éducation dans les nombreuses écoles en langues minoritaires, magyares ou allemandes.

Pour rétablir les droits aux minorités nationales profondément affectées par les régimes dictatoriaux qui se sont succédé entre les deux guerres, fut adoptée en Roumanie, un acte normatif de grande importance en termes de reconnaissance des droits linguistiques aux minorités (la loi n°86/1945) Cette loi permettait l’utilisation des langues minoritaires dans les rapports avec l’Etat pour les locuteurs autres que de langue roumaine, déclarée comme officielle.

Après l’instauration du régime communiste sur les fondements de la Constituions de 1952, fut créée la Région Autonome Magyare, où étaient instituées l’utilisation de la langue magyare dans l’administration et la nomination de fonctionnaires appartenant à la minorité magyare ou prouvant leur connaissance la langue magyare. Les années 1970 sont marquées par l’initialisation d’une politique d’assimilation et d’homogénéisation culturelle accompagnée par l’institutionnalisation des villes fermées, ce qui barrait l’accès à la culture et l’enseignement en langues maternelle, pour la population empêchée à s’installer dans des grandes villes comme Cluj, Târgu Mureş, Braşov ou Sibiu, à forte concentration magyare ou saxonne.

Droit et pratiques linguistiques pour les Magyars et Saxons 

Dès son entrée dans l’Union Européenne, la Roumanie a ratifié la Charte Européenne des langues minoritaires et régionales. La loi de ratification n°282/2007, reconnaît les langues allemande et magyare comme langues minoritaires, conformément aux dispositions de la Charte. Cette démarche s’inscrit dans la réaffirmation des droits linguistiques, que la Roumanie entendait garantir aux minorités nationales.
La Constitution adoptée en 1991 garantissait des droits linguistiques aux minorités nationales. Sur cette base ont été adoptées la loi n°215/2004 concernant l’administration locale et la décision gouvernementale n°1206/2001 réglementant l’utilisation de la langue maternelle pour les minorités nationales. Ainsi, dans les circonscriptions administratives où la population minoritaire dépasse 20%, les populations magyare ou saxonne peuvent utiliser leur langue dans la communication orale ou écrite avec l’administrations locale, lors des cérémonies officielles ou bénéficier d’une signalétique bilingue. Les droits linguistiques ont été étendus à l’administration déconcentrée par la Constitution adoptée en 2003.

L’impact de ces dispositions législatives sur les minorités magyare et saxonne en Transylvanie, est très inégalement reparti en raison de la différence significative de leur densité. Même dans les départements de Braşov ou Sibiu qui concentre 59,92% de la population saxonne de Transylvanie, les lois n’affectent que 1,55%, respectivement 0,75% d’entre de la population. Pour les locuteurs de langue magyare, ces dispositions ont un impact significatif; dans les départements de Harghita, de Covasna et de Mureş, qui concentrent 68,3% des Magyars de Transylvanie, les lois affectent entre 39,30% et 84,62% de la population [2]. Par manque de moyens, certaines administrations trouvent difficilement du personnel qualifié ou des traducteurs connaissant la terminologie de leur spécialité (juridique et administrative) en langues minoritaires, ce qui limite encore l’impact de la loi.


Université Babeş-Bolyai de Cluj, (Photo : Timea Turdean).

Dans le domaine de l’enseignement, la législation visant les minorités, concerne principalement la loi de l’enseignement n°84/1995 et l’ordonnance sur les programmes scolaires n°1529/2007. Les lois prévoient pour les écoles primaires des manuels de langue et littérature roumaines spécifiques pour les élèves de langue maternelle autre que le roumain. Il existe en Transylvanie des écoles, collèges, lycées (profil général, de spécialité et professionnel) repartis dans toutes les départements, qui offrent aux minorités l’instruction en langues maternelles magyare ou allemande.
Ainsi, dans le département de Harghita où 84,61% de la population est magyare, il y a 23 lycées où l’enseignement est dispensé uniquement en langue magyare et 6 autres avec des sections adaptées. Dans le département de Sibiu qui concentre 35,79% des Saxons de Transylvanie, il y a un lycée d’enseignement en langue allemande et 5 autres avec des sections adaptées [4]. Les jeunes Magyars et Saxons peuvent poursuivre leurs études supérieures dans les centres universitaires de Târgu Mureş, Sibiu ou Cluj. L'Université Babeş-Bolyai et la seule qui organise l’enseignement dans les deux langues minoritaires.

[1] Les Sicules sont aujourd’hui assimilés aux locuteurs de langue magyare.
[2] Données analysées à partir du recensement de la population de 2002
http://recensamant.referinte.transindex.ro/
[3] le recensement du 1910, consignait en Transylvanie, 54% locuteurs de langue roumaine, 14% de langue magyare (Sicules) et 14% de langue allemande (Saxons).
[4]Ministère de l’Education, de la Recherche et l’Innovation.
http://www.edu.ro/index.php/articles/c113/

Photo : Ville de Târgu Mureş, département de Mureş, Emilia Szekely.

* Emilia Iftime est diplômée de l'Académie d'études économiques (ASE) de Bucarest, prépare actuellement un Certificat de spécialisation sur l’Union européenne au CNAM (Paris).