Les mutations du secteur de la pêche en Poméranie occidentale (Pologne) depuis les années 1990

La Poméranie occidentale est marquée sur sa frange littorale par une importante production halieutique. En vingt-cinq ans, les pêcheurs ont subi deux bouleversements socio-économiques majeurs : la décollectivisation et l'intégration communautaire.


La voïvodie de Poméranie occidentale est une région maritime à dominante rurale du nord-ouest de la Pologne, dont la capitale est Szczecin. Son littoral ainsi que la vaste lagune qui relie le fleuve Oder à la mer Baltique[1], abritent d'importantes communautés de pêcheurs, pratiquant essentiellement une pêche côtière (les trois quarts de la flotte de pêche sont aujourd'hui constitués de bateaux de moins de 12 m de long). En un quart de siècle, ces communautés ont fait face à deux changements socio-économiques majeurs. Le premier a été la libéralisation économique, engagée massivement à partir de 1990, entraînant une décollectivisation de l'activité halieutique, et le second correspond à l'adhésion à l'Union européenne en 2004, et à sa politique commune des pêches.

L'organisation du secteur à l'époque communiste

En Poméranie occidentale, les populations établies localement ont développé des techniques de pêche adaptées à la prise des espèces présentes dans cette région de la Baltique, tels le sprat, le hareng, le cabillaud, l'anguille ou encore le saumon[2]. À la fin des années 1940, le gouvernement communiste de la République populaire de Pologne instaure la collectivisation de l'économie, et notamment des activités primaires et secondaires. Dans les années 1950 sont créés des exploitations piscicoles d'État et des centres de reproduction des poissons, mais aussi et surtout des coopératives de pêcheurs, équivalents des kolkhozes de pêche soviétiques, qui fleurissent dans nombre de villages littoraux (une cinquantaine en Poméranie occidentale).

Entre 1950 et 1970, les captures polonaises passent de moins de 100 000 à 800 000 tonnes de poisson par an selon l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture[3]. Quatre grandes entreprises publiques de pêche hauturière sont créées, notamment Odra à Świnoujście, aujourd'hui en Poméranie occidentale (voir carte). Dans cette ville, la compagnie Odra fait vivre de nombreux marins, et pratique une grande pêche (avec des marées, ou sorties en mer, d'une durée supérieure à 20 jours) dans toutes les mers du globe (Baltique, Atlantique nord, mais aussi Pacifique ou Antarctique), à la recherche de cabillaud, de krill, d'églefin, etc. À l'époque communiste, la pêche est une des activités primaires structurantes de presque tous les villages de la région qui possèdent un accès à l'eau (sur le littoral ou sur la lagune de l'Oder), l'agriculture étant pratiquées de façon vivrière. Progressivement, certains paysans-pêcheurs se spécialisent dans l'une des deux activités. Mais l'organisation de l'espace, avec des parcelles en lanières au bord de l'eau sur le pourtour lagunaire et le halage des navires sur la plage en zone littorale, permet souvent de pratiquer parallèlement les deux activités, l'une déclarée en tant qu'activité professionnelle, l'autre en tant qu'activité privée.

Une première secousse socio-économique : la « décollectivisation »

Au début des années 1990, après la chute du régime communiste polonais, l'État engage des réformes visant à libéraliser l'économie, pour faire entrer le pays dans une économie de marché. Le secteur primaire est petit à petit décollectivisé, la pêche n'échappant pas à cette politique, lancée en même temps que celle sur l'agriculture. Les coopératives de pêche sont supprimées, ou deviennent des structures de droit privé. La compagnie Odra, en grande difficulté financière, et avec une flottille hauturière peu adaptée, met fin à ses activités de pêche en 1992, signant l'arrêt de mort de la grande pêche dans cette région. Les marins de cette compagnie se tournent alors vers la pêche côtière, augmentant le nombre de pratiquants dans les ports de ce territoire.

La suppression des coopératives entraîne une première déstructuration du tissu socio-économique régional, les pêcheurs devant faire face à des coûts autrefois mutualisés, mais aussi à l'augmentation de leur flottille sur un même espace marin (la zone côtière), à la diminution du marché (baisse des commandes publiques) et à une concurrence étrangère exacerbée, notamment des pays des rives septentrionales de la mer Baltique. Une grande partie de la population de pêcheurs est alors en difficulté, et n'arrive pas à moderniser ses outils de production, ni à trouver de nouveaux débouchés commerciaux à leurs entreprises unipersonnelles ou familiales, de droit privé. En parallèle, le secteur de la transformation de produits d'origine halieutique est en plein essor, bénéficiant d'apports allogènes de poissons. Les entreprises et les conserveries d'État sont alors transférées au privé et fragmentées.

Un second changement : l'intégration communautaire

En 2004, la Pologne adhère à l'Union européenne et doit mettre en place les différentes politiques communautaires, notamment en matière de pêche. La politique commune des pêches instaure les espèces d'intérêt communautaire et les totaux admissibles de capture (quantité maximale pêchable pour une espèce). Les quotas de pêche nationaux apparaissent alors pour les espèces d'intérêt communautaire que sont le hareng, le sprat, le cabillaud, la plie et le saumon. La mise en place de ces quotas est complexe, avec parfois de forts dépassements (comme en 2007 pour le cabillaud, avec 8 000 tonnes pêchées en sus par la Pologne en Baltique). Bruxelles demande également de mettre en place un plan de gestion pour l'anguille, avec l'instauration de quotas par bassin-versant[4]. Enfin, la Pologne doit diviser les effectifs de sa flottille de pêche par deux, et créer un service de surveillance des pêches: l'OIRM (Okręgowy inspektorat rybołówstwa morskiego). Insuffisamment doté en personnel et en équipements, cet organisme ne permet pas le contrôle de l'intégralité des débarques. Faute de statistiques polonaises, l'UE doit parfois procéder elle-même à l'estimation des dépassements de quotas.

La Poméranie occidentale n'échappe pas à ces mesures, et la flottille de chaque port ou presque subit une perte d'effectifs supérieure à 30 % entre 1990 et 2010. Certains ports de la lagune, présentant un très faible nombre de pêcheurs, sont même supprimés. L'emploi des marins pêcheurs baisse globalement dans les mêmes proportions. L'activité de pêche côtière, qui emploie notamment le chalut de fond, critiqué pour son ratissage des fonds marins, diminue, notamment à Dziwnów, poussant les pêcheurs à se recentrer sur certains stocks ou types d'engins tout en restant près des côtes. La petite pêche (marées inférieures à 24 heures) voit aussi ses effectifs baisser, de manière très variable suivant les ports. Le plan anguille a touché de plein fouet les pêcheurs au verveux (type de filet pliant), et certains ports très spécialisés dans cette forme de pêche subissent une perte d'unités, à l'image de Trzebież ou de Stepnica, situés tous deux au bord de la lagune. Le secteur de la transformation du poisson est également touché par les conséquences de l'adhésion à l'UE avec une modernisation obligatoire des moyens de production et une amélioration de la qualité (normes plus strictes), divisant par deux le nombre d'usines, sans toutefois avoir d'impact sur l'emploi (regroupements)[5].

Aujourd'hui

S'il semble acquis qu'une pêche hauturière ne recommencera pas au départ des ports poméraniens dans les années à venir, on peut se poser la question du devenir des petits métiers dans la région. La politique de quotas instaurée par l'UE doit permettre un maintien ou une reconstitution des stocks selon les espèces, engendrant la présence permanente d'une ressource halieutique: un stock minimal devrait donc être disponible à la pêche pour chaque espèce dans les années à venir, permettant une meilleure anticipation des pêches. A l'inverse, les fermetures de quotas (plus aucun quota de pêche n'est accordé à un pays pour une espèce donnée pendant au moins un an) fragilisent certaines pêches de façon brutale, sans anticipation ni mesures de soutien efficace aux pêcheurs. Les chercheurs de l'Institut des pêches maritimes de Gdynia (et son antenne de Świnoujście) ou des universités poméraniennes aident les pêcheurs à se diriger vers des pratiques plus durables. Sont ainsi parfois remises au goût du jour des techniques traditionnelles de pêche[6] permettant de limiter les captures accessoires. Les scientifiques étudient aussi par exemple l'impact des filets dérivants sur les populations de l'avifaune de la lagune.

On assiste aussi à l'émergence de nouveaux regroupements de pêcheurs: les organisations de producteurs, permettant de défendre leurs droits et d'être visibles, commercialement parlant. Le nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP pour la période 2014-2020) comporte également des axes de développement local directement ou indirectement liés à la pêche[7], à l'environnement ou au patrimoine. Ce fonds permet aussi aux pêcheurs de monter des projets communs au travers des FLAG (fisheries local action groups), qui mettent autour de la table les acteurs du monde de la pêche d'un territoire pour discuter de leur avenir et émettre des propositions de projets[8]. Ce fonds finance également les échanges de pratiques entre les pêcheurs polonais et ceux des pays riverains de la Pologne, mais aussi la réhabilitation des espaces portuaires, qui se diversifient dans de nouvelles fonctions: le port de Karsibór (situé sur la commune de Świnoujście), qui compte encore une petite quinzaine de bateaux de pêche, a ainsi pu bénéficier de ce fonds qui a permis l'érection, sur le quai principal du village, d'une tour d'observation sur le réseau hydrographique, d'un restaurant proposant les produits de la pêche et de panneaux touristiques. Le FEAMP possède un axe dédié au développement local et à la promotion d'une pêche durable, ce qui constitue un levier financier intéressant pour les espaces dépendant plus que d'autres de la pêche, comme la Poméranie occidentale, complété par des initiatives privées ou municipales.

 

Notes :
[1] Anatole Danto, « Entre deux mondes : Le delta du Danube et la lagune de l'Oder », Regard sur l'Est, 2014, no68.
[2] François Carré, « Les pêches de la Baltique », Norois, 1975, vol. 88.
[3] Jesús Iborra Martin, « La pêche en Pologne », Note, DG PI, Parlement européen, 2011.
[4] Aurélie Duhec, Marie-Odile Delorme & Alain Hénaut, La reconstitution des stocks d'anguilles : Un problème qui dépasse une simple politique de quotas de pêche, dossier DUSPP, Université PMC, 2010.
[5] Op. cit., note 3.
[6] Bogdana Matławskiego, Karola Piaseckiego, Tradycyjne rybołówstwo łodziowe w regionie Zachodniopomorskim po 1945 roku, Université de Szczecin, 2014.
[7] Permettant par exemple une diversification économique d'un territoire périphérique maritime grâce au tourisme, cf. « Conjuguer pêche et tourisme », Farnet Magazine, 2013, no9.
[8] Emil KuzebskiLokalna Strategia Rozwoju: Obszarów Rybackich Stowarzyszenia, Lokalna Grupa Rybacka "Zalew Szczeciński", Institut des pêches maritimes, Gdynia, 2014.

Vignette : port de Międzyzdroje (Anatole Danto, 2015)

* Anatole DANTO est étudiant en master recherche géographie à l'université de Brest.

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