Lorsqu’est évoqué le conflit qui oppose depuis 2014 dans le Donbass forces loyales à Kiev et factions indépendantistes, le récit des combats omet fréquemment la présence de combattants volontaires étrangers. Sans surprise, de nombreux volontaires étrangers du côté séparatiste proviennent de Russie. Mais qui connaît la présence de volontaires espagnols ou français dans le camp ukrainien ? De même, qui sait que des volontaires de nationalités française ou serbe supportent le camp séparatiste ?
Que signifie vraiment l’expression combattants « volontaires » ? Ce terme renvoie aussi bien aux combats menés par les brigades internationales lors de la guerre d’Espagne en 1936 que, plus récemment, à ceux des volontaires étrangers engagés en Syrie pour lutter contre l’organisation terroriste Daech. Volontaires, ces civils rejoignent des théâtres de combat au nom d’une idéologie ou d’un idéal.
Sans omettre qu’on trouve nombre de volontaires étrangers pro-ukrainiens, souvent proches des mouvances d’extrême-droite – tels les volontaires français engagés au sein du bataillon Azov –, la focale sera cependant placée ici sur le cas des volontaires français dans le Donbass, issus eux aussi le plus souvent de mouvements de l’extrême-droite française, qui soutiennent ou ont soutenu le camp séparatiste. Entre engagement militant et engagement au combat, la lecture de cette série de deux articles permettra de découvrir qu’un conflit aux portes de l’Europe a changé le parcours de vie de ces volontaires français.
Des caractéristiques socio-professionnelles ciblées ?
Définis comme civils, les « volontaires » peuvent être répartis en différentes catégories : on note, tout d’abord, la représentation parmi eux des métiers manuels, avec la participation aux conflits de boulangers, de bouchers et d’ouvriers. On est ensuite frappé par la présence d’étudiants de premier cycle universitaire, le plus souvent parisiens proches des milieux militants. Enfin, on remarque la participation de nombreux anciens militaires du rang de l’armée française ayant effectué un primo contrat et ayant servi en opérations extérieures ; cette dernière catégorie souligne la porosité de la frontière entre milieux civil et militaire. Dans tous les cas rencontrés parmi ses ex-soldats français, l’institution n’a pas souhaité renouveler leur contrat et a peu communiqué sur leurs états de service ou sur les sanctions disciplinaires durant leur parcours au sein de l’armée.
Outre ces caractéristiques professionnelles, les volontaires français partis combattre en Ukraine se distinguent par leur jeunesse. Il s’agit en effet d’hommes de moins de trente ans. L’absence de volontaires féminins dans les rangs des combattants ainsi que celle de cadres d’entreprise confortent la vision traditionnelle des volontaires. Un seul ancien cadre de l’armée française – un ex-officier – a pris le parti de combattre dans les rangs séparatistes(1).
Trois caractéristiques majeures ressortent de l’étude des catégories socio-professionnelles. La première est la présence de volontaires issus de l’armée française, un terreau fertile de soldats prêts à rejoindre de nouvelles zones de combats, du fait de leur connaissance du maniement des armes et des techniques exploitables en zones de guerre. La deuxième caractéristique provient du fait que les milieux professionnels rencontrés sont généralement propices à l’endoctrinement et à l’influence idéologique, métiers le plus souvent manuels, qui nécessitent peu de bagage universitaire. Enfin, dans le rang des armées et, de la même façon, au sein des milieux étudiants, le terreau extrémiste est assez bien représenté.
Des facteurs communs de mobilisation ?
La mobilisation de civils a été facilitée en tout premier lieu par la désorganisation de l’armée ukrainienne qui, en 2014, n’était pas prête pour résister à une offensive russe. Elle a donc fait appel à la mobilisation des conscrits, ainsi que des volontaires nationaux, afin de constituer des bataillons paramilitaires. Se sont joints à eux, par la suite, des volontaires internationaux. Par définition, les bataillons sécessionnistes de Lougansk et Donetsk se sont, quant à eux, créés en dehors de toute structure étatique et ont mobilisé de nombreux civils. Des deux côtés de la ligne de front, « l’amateurisme » des groupes armés supprime un sérieux obstacle à l’engagement des volontaires étrangers.
Le chercheur Emmanuel Karagiannis identifie trois facteurs de mobilisation individuelle dans cette guerre ukrainienne : les normes politico-sociales, les émotions et les idées(2). Le rôle des normes politico-sociales semble peu convenir à l’étude des cas de volontaires étrangers, dans la mesure où ces derniers ne sont le réceptacle d’aucune pression de la part de la société qui voudrait qu’ils aient un rôle à jouer dans la défense d’un territoire. De plus, on note qu’une partie infime des volontaires étrangers revendique un lien de parenté avec des populations dites slaves, ce qui écarte la possibilité d’avoir été touché directement sur le plan affectif. Le facteur déterminant est donc ici idéologique.
La plupart des volontaires français engagés du côté séparatiste appartiennent en effet au groupe Unité continentale, qui définit son idéologie par le continentalisme. Concept flou, qui se fonde sur une rhétorique anti-Union européenne, anti-OTAN et anti-américaine, assénée par le Kremlin. Les tenants de cette philosophie mettent aussi en avant un destin chrétien du continent eurasiatique, qui lierait les peuples français et slaves.
Cette rhétorique, qui en appelle aux émotions des concernés, est également très répandue parmi les groupuscules français d’extrême-droite et l’on peut établir un lien direct entre Unité continentale et les groupes Jeunesses nationalistes révolutionnaires ou Génération identitaire(3). La plupart des volontaires français partis en Ukraine ont été ou sont militants dans ces groupes de jeunes nationalistes, ce qui explique leur moyenne d’âge assez basse.
De la réalité de l’engagement : parcours et premières désillusions
Recrutés par Unité continentale(4), les volontaires ont vu leur parcours débuter à Paris, pour rejoindre Rostov-sur-le-Don, en Russie. À partir de là, ils ont franchi illégalement la frontière avec l’Ukraine et la zone de guerre, le Donbass. Les volontaires, qui ont autofinancé leur périple, ont souvent été surpris par l’accueil mitigé des autorités russes et des séparatistes. Rêvant d’être fêtés comme des sauveurs, ils ont tout d’abord été triés en fonction de leurs compétences liées au combat, puis envoyés au front dans des zones d’importance relative. Du fait de leurs compétences techniques, les ex-militaires ont été utilisés à bon escient par les forces séparatistes, aussi bien pour l'entraînement des recrues locales que dans la gestion de groupes étrangers(5). Les autres volontaires ont servi le plus souvent dans des unités de soutien, notamment dans des groupes médicaux à l’arrière du front. Les forces séparatistes ont sciemment limité le rôle des volontaires soit du fait de leur manque d’instruction au combat, soit par méfiance, de peur d’être infiltrés par des services étrangers.
Après l’engouement du recrutement et du départ, les volontaires ont traversé différentes phases allant des blessures physiques à la désillusion, voire à l’oubli de la cause qu’ils étaient venus défendre. Ils ont généralement été vite déçus de leur participation au conflit : leur rôle a été trop modeste et leur volontariat assimilé fréquemment à du bénévolat, car ils n’ont pas touché d’argent pour leurs actions. Ils ont été le plus souvent nourris, mais obligés de payer leur déplacement, leur paquetage et leur armement. Passés le cap de la déception, les problèmes sont survenus : les tracas financiers ont amené un certain nombre d’entre eux, pour survivre sur place, à médiatiser leur combat, notamment à des fins de récolte de fonds. Mais les problèmes ont aussi été d’ordre linguistique ou culturel. En effet, peu de ces volontaires maîtrisaient la langue russe, ce qui a entravé toute communication aussi bien entre combattants qu’avec la population locale qui n’a pas saisi les raisons de la présence de ces combattants aux côtés des séparatistes.
L’expérience combattante vécue par ces volontaires français semble donc globalement quelque peu décevante pour des raisons matérielles et linguistiques qui sont assez simples à expliquer. Cependant, leur mise à l’écart par les troupes séparatistes ukrainiennes peut également s’expliquer par la nature idéologique de leur mobilisation. En effet, alors que Moscou présente ad nauseam les troupes pro-ukrainiennes comme néo-nazies, par opposition les troupes pro-russes sont désignées comme « antifascistes ». Or, il est assez acrobatique pour les politiciens et les médias séparatistes et russes d’assumer la présence de ces volontaires étrangers aux tendances fascisantes.
Vignette : La guerre dans le Donbass (source Wikimedia Commons / VO Svoboda).
Notes :
(1) Erwan Castel, « Soutien à la rébellion du Donbass : qui suis-je ? »
(2) Emmanuel Karagiannis, « Ukrainian volunteer fighters in the eastern front: ideas, political-social norms and emotions as mobilization mechanisms », Southeast European and Black Sea Studies n° 16, Routledge, 2016.
(3) Les Jeunesses nationalistes révolutionnaires sont affiliées au groupe Troisième voie de Serge Ayoub, tous deux dissous en 2013 par décret du Conseil des Ministres. Le Groupe Génération identitaire (anciennement nommé Jeunesses identitaires) est quant à lui affilié au groupe Bloc identitaire.
(4) Page Facebook et compte Twitter d’Unité Continentale.
(5) Pierre Sautreuil, « Des paras français dans le Donbass », Le Monde, 26 août 2014.
* Ilinka Léger et Sébastien Marzin sont diplômés de l’INALCO en russe et relations internationales.