Au début des années 2000, l’arrivée à Toulouse de familles roms originaires du district de Pazardjik (Bulgarie) a eu pour corollaire le fort développement des communautés évangéliques bulgares dans la ville rose et l’arrière-pays du Nord-toulousain, jusqu’à hauteur d’un axe Valence d’Agen (à l’Ouest) – Carmaux (à l’Est).
Effective le 10 avril 2001, la libéralisation des visas entre l’Union européenne et la Bulgarie a favorisé la mobilité géographique de nombreux ressortissants bulgares en direction de l’Europe de l’Ouest afin d’y chercher un emploi. En Occitanie, cette migration économique (principalement composée d’ouvriers des secteurs agricole et du bâtiment) s’est accompagnée de l’organisation de cultes évangéliques bulgares, des pasteurs ayant rapidement suivi les premiers fidèles sur leur terre d’immigration. Désormais, près d’un millier d’évangélistes, majoritairement des Pentecôtistes (mouvement religieux privilégiant un fort engagement moral et insistant sur le rôle central de la Bible), vivent pour tout ou partie de l’année sur un territoire compris entre Toulouse (Haute-Garonne), Auvillar (Tarn-et-Garonne) et Albi (Tarn).
Développement de la présence évangélique bulgare dans le Midi toulousain à partir de 2001
En 2001, des évangélistes toulousains ont observé l’arrivée significative dans leur ville des premières populations bulgares partageant leurs croyances et confession. Il s’agissait de familles roms originaires du district de Pazardjik (Bulgarie du Sud) qui se sont installées dans des tentes en bord de Garonne, puis sur le site de l’ancien Institut du Génie chimique (ENSIACET) dit « la Bombe » pour avoir été dévasté par l’explosion de l’usine AZF le 21 septembre 2001(1). Ils y ont vécu jusqu’en 2006, année où le site a été rasé pour y édifier le nouveau Casino Barrière.
Des évangélistes locaux ont accompagné ces familles pendant plusieurs années, aussi bien dans leurs démarches spirituelles que pour leur inculquer des rudiments de langue française, leur fournir des vêtements ou de la nourriture. Après la destruction de leur site d’implantation, les familles bulgares ont dressé leurs tentes à proximité du restaurant social de l’île du Ramier. Ils en ont été rapidement évacués, du fait de la proximité du Stadium de Toulouse (TFC). Une partie d’entre eux a alors investi un hangar situé sur la route d’Espagne (incendié et évacué en décembre 2017), pendant que d’autres revenaient sur les bords de la Garonne à partir de 2011.
En 2000, un évangéliste bulgare non-rom, prénommé Lăchezar, s’était installé avec son épouse à Toulouse. Après avoir fréquenté l’église évangélique apostolique du quartier des Arènes, il est lui-même devenu pasteur et a fondé en 2006 dans la ville rose l’Église de la Bonne Nouvelle. Il a ensuite commencé à prêcher auprès de familles roms originaires du village d’Apriltsi (500 habitants, commune et district de Pazardjik) et de familles turques en provenance de la région de Veliko Tarnovo. Quelques années plus tard, des évangélistes de son église se sont installés à Moissac, où de nombreuses familles bulgares en provenance du district de Pazardjik s’étaient implantées(2). Dans le même temps, un de ses compatriotes évangélistes assumant des missions diaconales au sein de la communauté a fait appel à un autre religieux charismatique, le pasteur Assen. Avec l’arrivée de ce dernier, deux groupes se sont formés au sein de la communauté évangélique bulgare de Toulouse. En 2010, le pasteur Assen a fondé l’Association rom bulgare de Toulouse (Loi 1901) visant à structurer la communauté évangélique et à « promouvoir la culture est-européenne chrétienne ». Les fidèles qui suivaient ses prêches étaient majoritairement d’origine rom, alors que le pasteur Lăchezar conservait auprès de lui des familles turques bulgares. Les deux pasteurs ont poursuivi, chacun de leur côté, leur action d’évangélisation à Toulouse. Puis, au cours des années 2010, deux frères bulgares, tous deux pasteurs et anciens fidèles de l’Église de la Bonne Nouvelle, ont à leur tour animé un groupe de prière indépendant (une quinzaine de personnes) dans la ville rose. Peu à peu, ces églises se sont renforcées au fil des arrivées de Bulgares en provenance du district de Pazardjik (Apriltsi, Septemvri, Semtchinovo …), un flux migratoire qui n’a cessé de s’intensifier en direction du Midi toulousain.
Le maillage territorial évangélique bulgare du Midi et Nord toulousain
Désormais, une dizaine de pasteurs évangéliques bulgares œuvreraient à Toulouse et dans sa région : cette évangélisation reste plutôt discrète, car beaucoup de célébrations sont organisées dans les logements privés des fidèles. Si les pasteurs Lăchezar et Assen encadrent encore une partie importante des croyants, dans le Nord toulousain les prêches dispensées par un autre pasteur rassemblent aussi de nombreux évangéliques bulgares de la communauté lors de célébrations dominicales organisées en plein air dans la ville de Grenade (département de la Haute-Garonne)(3). L’intéressé, qui s’est établi à Saint-Jory (Haute-Garonne) pour y travailler comme saisonnier dans le secteur agricole, jouit également d’une solide réputation d’homme d’église dans le village d’Apriltsi, où il anime encore une communauté évangélique. Il rentre en effet régulièrement dans le district de Pazardjik afin de poursuivre sa mission d’évangélisation.
Le territoire qui apparaît le mieux encadré par les ministres du culte bulgares est le Tarn-et-Garonne. Si, dorénavant, le pasteur Assen officie également à Montauban où le nombre de familles bulgares continue progressivement de s’accroître, la communauté évangélique moissagaise et de l’arrière-pays auvillarais suit les prêches du pasteur Bogdan qui, comme la majorité des fidèles, est ouvrier agricole. Il faut ajouter que la plupart des fidèles se regroupent aussi ponctuellement dans des domiciles privés pour des célébrations et lectures religieuses communes.
Seules deux autres communautés évangéliques bulgares structurées ont été observées en France : il s’agit de celle de Sainte-Colombe-sur-Gand (42) et de l’église Source de vie du pasteur Pashko à Bordeaux. Cette dernière rassemblerait près de deux cents fidèles, principalement des familles roms originaire de Pechtera (commune du district de Pazardjik).
Moissac, un bastion évangélique bulgare
Depuis 2010, une communauté évangélique bulgare s’est constituée à Moissac sous l’influence des pasteurs toulousains puis, par la suite, de leur confrère Bogdan, les « anciens » (fidèles exerçant des fonctions similaires au diaconat) assurant toujours la continuité de l’évangélisation.
Au départ, le culte a été organisé dans la rue, près du Tarn, le dimanche. Puis, la communauté a fait la connaissance des pasteurs moissagais Sylvain (jusqu’à son départ en 2014) et Mickaël, qui l’ont autorisée à se réunir dans les locaux de l’église évangélique de Moissac. Avec pédagogie, le pasteur Mickaël a incité les évangélistes bulgares à constituer une association (type Loi 1905), afin de souscrire une assurance pour leurs rassemblements au sein de l’église et, ainsi, de se mettre en accord avec la règlementation française. En mars 2018, ils ont donc fondé l’Église évangélique bulgare de Moissac, dont le siège est fixé dans la commune d’Auvillar (Tarn-et-Garonne) où résident plusieurs dizaines de ressortissants bulgares.
En période estivale, les célébrations dominicales du culte rassemblent parfois plus de deux cents personnes, alors qu’en hiver la fréquentation de l’église évangélique dépasse rarement une cinquantaine de fidèles, reflet des migrations saisonnières des fidèles. Quelques « anciens » dispensent aux enfants des cours de religion le dimanche matin. Ces Pazardjiquois ont ainsi développé une vie sociale communautaire structurée autour du culte évangélique. Quelques familles turques évangéliques originaires du district de Plovdiv (Bulgarie du Sud) s’y associent.
Cependant, le milieu évangéliste bulgare s’est récemment replié sur lui-même, développant une certaine méfiance à l’égard des Moissagais. Cette évolution serait notamment liée aux tentatives d’approche opérées par des Témoins de Jéhovah bulgares (quelques dizaines de familles à Moissac) et surtout non-bulgares, un comportement qui a été perçu comme indélicat par les évangélistes bulgares(4). Beaucoup d’entre eux ont dès lors développé une forme de paranoïa à l’égard de la population autochtone, les personnes les approchant étant systématiquement soupçonnées d’être membres du mouvement pré-millénariste.
À côté des Pentecôtistes, on note également à Moissac la présence minoritaire de familles adventistes appartenant à l’Église du 7ème jour (près de 50 personnes), plus proche des Témoins de Jéhovah. Ceci s’explique par l’origine de ce dernier mouvement, qui est le fruit d’un schisme avec l’Église adventiste américaine. Professionnellement, les adventistes bulgares ont plus de difficultés que leurs compatriotes pentecôtistes à s’insérer dans le monde du travail agricole moissagais, car la plupart d’entre eux refusent de travailler le samedi : il s’agit pour eux du 7e jour de la semaine, celui du repos dominical imposé par Dieu et qu’ils se doivent de respecter(5). En revanche, être employé sur les domaines agricoles le dimanche ne leur pose aucune difficulté : difficile toutefois pour eux de trouver un employeur qui les laisse se reposer chaque samedi et les rappelle en cas de besoin pour travailler le dimanche.
Notes :
(1) Échanges (8 avril et 27 mai 2019) et entretien (22 avril 2019) avec l’un des évangélistes toulousains ayant accompagné les familles roms bulgares évangéliques de Pazardjik, avant de devenir membre du bureau de l’Association rom bulgare de Toulouse à partir de 2010. Stéphan Altasserre, « Poursuite de l’observation de la migration bulgare en pays moissagais », Automne 2018/automne 2019, Rapport d’observations, CIReB, octobre 2019, 25 p.
(2) Présence de l’intéressé à Moissac révélée par des observateurs locaux lors d’une première enquête de terrain réalisée à Moissac en 2018, puis confirmée par des membres de la communauté bulgare de Toulouse. Entretien avec l’épouse d’un des pasteurs bulgares de Toulouse les 20 janvier, 4 et 8 février 2020 et avec un évangéliste toulousain, le 28 janvier 2020.
(3) Entretien avec le pasteur bulgare de la communauté évangélique de Grenade, le 8 juin 2019.
(4) Entretiens avec le pasteur de l’église évangélique de Moissac (5 mars 2019), avec le pasteur de l’église évangélique bulgare de Moissac et participation de l’auteur à la célébration de Pâques (21 avril 2019).
(5) Visite d’une des plus anciennes familles bulgares de confession adventiste (Église du 7ème jour) en compagnie du médiateur de rue de l’association Escale Confluences à Moissac le 13 mai 2019. Entretien avec un adventiste de Moissac, le 28 juin 2020.
Photos : Stéphan Altasserre.
* Stéphan ALTASSERRE est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.