L’université aérospatiale de Samara ne veut pas la Lune. Juste des moyens

Fierté de la région, elle est pourtant très discrète, voire anonyme. L'université aérospatiale d'Etat de Samara (CGAY) s'éléve sur la Moskovskoe Chaussée, en retrait du centre-ville. Entre modernisme et avenir incertain.


Ses bâtiments sont grisâtres, son architecture soviétique. Rien ne semble la distinguer des autres instituts de la ville. Rien, à ceci près qu'un modèle miniaturisé de fusée Soyouz pose devant l'entrée principale de la faculté. Un rappel plus qu'opportun de la prestigieuse spécialité de l'établissement : l'aérospatial.

La renommée de l'établissement n'est plus à faire. Remise au goût du jour, à la chute de l'URSS, par une Europe reluquant sur l'exploitation du potentiel spatial russe. Comme l'Ukraine, la Russie possède une compétence enviée, du matériel robuste -bien que vieillissant- associé à des coûts de fabrication plus que raisonnables.

Logique commerciale oblige, l'Europe s'est donc tout naturellement mise sur les rangs d'une coopération avec la Russie. Dès 1997, Starsem, une société de droit français, est créée pour assurer la commercialisation et l'exploitation du lanceur Soyouz sur le marché mondial, en particulier les versions Soyouz-Fregat et Soyouz/ST. Les actionnaires de Starsem sont l'Agence aéronautique et spatiale russe (25 %), le Centre spatial de Samara (25 %), EADS (35 %) et Arianespace (15 %).

Une coopération qui permettra à l'equipe franco-russe d'exploiter le lanceur Soyouz depuis les bases russe de Plessetsk et kazakhe de Baïkonour pour les lancements commerciaux de satellites en orbites basses ou intermediaires. A un prix défiant toute concurrence.

Former les cerveaux de l'industrie locale

Abritant un vaste complexe industriel de construction d'avions ou d'engins spatiaux dont l'usine TsSKB Progress, Samara est naturellement dotée, à l'image de Toulouse, d'une université formant les cadres ingénieurs en aérospatial et aéronautique. Des cerveaux destinés à faire tourner les infrastructures de la région.

Signe du temps -et de ses compétences, Samara a accueilli en 2000 une conférence internationale sur le satellite Foton, dont l'université assure l'étude théorique. Le développement technique est réalisé par des sociétés étrangères, mais le CGAY est un partenaire intellectuel clé.

Retour à l'université justement. Nous sommes loin des standards européens ou américains. Inutile de chercher des salles de cours flambant neuves ou des hautes-technologies affichées jusque dans les couloirs, pour éblouir étudiants et éventuels visiteurs.

A l'heure des explorations robotisées sur la planète Mars, le CGAY a le charme désuet de son musée.

Dédié à l'histoire aéronautique et aérospatiale soviétique puis russe, le musée passe sur quelques mètres carrés éclairés à la lueur de néons jaunis, du mythique Iouri Gagarin à la future capsule Foton-M2, en passant par un monstre sacré, la station MIR.

Pourtant, le CGAY rivalise aujourd'hui avec les meilleurs instituts d'aérospatial et d'aéronautique européens, chinois ou américains. Un niveau reconnu sur la scène universitaire internationale depuis peu, grâce aux compétences scientifiques développées par ses chercheurs, bien sûr, mais aussi au dynamisme de son recteur, Sojfer Viktor Aleksandrovitch, et de ses cadres administratifs. Mais la réussite n'était pas joué d'avance.

De Koubishev à Samara

Créée à l'été 1942, elle doit son origine au décrêt du Comité Central aux Affaires de l'Education supérieure de l'URSS demandant l'ouverture d'un Institut d'aéronautique à Koubishev -l'actuelle ville de Samara. Institut qui deviendra dès 1992 le CGAY.

Pourquoi avoir choisi cette région de la moyenne-Volga? Sa création est intimement liée à l'évacuation à Koubishev, la même année, de deux usines d'aéronautiques jusqu'alors implantées dans diverses villes soviétiques, en pleine Seconde Guerre mondiale.

Le front est gourmand en avions, et les usines aéronautiques nécessitent des ingénieurs. Des chercheurs venus de Moscou, Léningrad, Kiev ou Voroneij viennent alors enseigner dans ce nouvel établissement. Contexte historique pointant du doigt la dimension militaire de Koubishev qui restera, en raison des industries militaires qu'elle abrite, une ville strictement interdite aux étrangers jusqu'au début des années 1990, à la chute de l'URSS, au moment même où elle reprendra son nom originel de Samara.

"L'histoire de notre institut est liée à celle de nos cosmonautes. Ce n'est un secret pour personne que Gagarin s'est entrainé à Samara. Juste après son atterissage, il a été conduit non pas à Moscou, mais en premier lieu à Samara pour une enquête médicale. Après, et seulement après, il a été emmené a Moscou pour recevoir la gloire des mains de Kroutchev", rappelle fièrement Alexandre Danilin, directeur des relations internationales à l'université aérospatiale de Samara depuis 1994.

Coopération internationale

Aujourd'hui, le CGAY accueille 10.500 étudiants, répartis selon 27 spécialités et encadrés par près de 700 enseignants. Au terme des quatre ans de formation, les étudiants ressortent ingénieurs en construction d'avions et d'hélicoptères, en conception de moteurs, en radio-ingénierie, en mathématiques appliquées et études du comportement des métaux. Prêts à investir les industries locales. Rarement internationales.

Car ici comme ailleurs, la qualité de la formation, déjà mise en concurrence par les prestigieux instituts aéronautiques moscovite, de Kazan ou d'Yfa, n'est pas synomyme d'embauche.

Les étudiants russes attendront patiemment à Samara ou Moscou, pour intégrer un marché civile ou militaire. Quant à la dizaine d'étudiants internationaux, venus pour partie d'Afrique, du Kenya au Cameroun, ils ne se font pas d'illusion : trouver un emploi en territoire russe relève de l'utopie.

"Concernant la coopération internationale pour la recherche, nous entretenons des relations étroites avec des universités américaines, allemandes et chinoises ", poursuit Alexandre Danilin. " Mais la Russie subit encore les méfaits d'une réputation de pays à risque et aux salaires peu attrayants ".

La coopération internationale est pourtant vitale. L'Europe vit déjà sans frontières. Pour ne pas creuser son retard, la Russie doit rapidement s'intégrer dans l'espace mondial technologique, en matière d'enseignement et de recherche. " C'est une des priorités de l'université. Nous travaillons à égaliser, et mettre à niveau notre éducation. En matière d'interactivité, nous mettons à disposition virtuelle notre wind tunnel : via Internet, des chercheurs chinois peuvent par exemple réaliser des expériences de comportement des fluides ", continue Alexandre Danilin.

Politique budgétaire

L'université étant fédérale, son budget repose essentiellement sur un financement moscovite. Pourtant concernant le domaine de la recherche, le financement fédéral à hauteur de 10% s'efface derrière un financement régional de 22%.

Le financement local assuré par le gouverment de Samara est focalisé sur la recherche et le futur parc scientifique de Samara prévu pour 2007. Les financements étrangers ? Pour ne parler que du projet de parc scientifique à énergie éolienne, l'université a bien essayé de frapper aux portes de fondations ou organisations américaines, anglaises, portugaises ou chinoises. Mais comment répondre aux demandes de garantie sur le capital risque ?

L'université a dû assurer son financement par des contrats directs des industries locales. "Nous travaillons pour des centrales électriques, des industries de moteur d'avions, de construction de fusées TsSKB Progress ou encore des industries automobiles, notamment Avtovaz pour le design ", note Alexandre Danilin. " Mais, le plus grand problème reste que notre université dépend très étroitement de la santé de l'industrie russe".

Sceptique, notre interlocuteur est surtout lucide sur la réalité aérospatiale russe. Dénuée de lignes directrices.

La Russie et Alexandre Danilin attendent toujours le développement d'un nouveau vaisseau spatial. Car tout s'imbrique : "un nouvel engin spatial implique un nouveau moteur, un nouveau design, une remise en question et une nouvelle philosophie industrielle".

Par Célia CHAUFFOUR

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