Mikhail Kobakhidze, un cinéaste optimiste

Au téléphone, Mikhail Kobakhidzé, réalisateur géorgien, accepte volontiers l'interview, s'excusant même de ne pas être libre plus tôt. Quelques jours plus tard, assis à un café près du parc du Luxembourg, son ton jovial est le même: la rencontre le ravit manifestement.


Mikhail KobakhidzéMikhail Kobakhidzé est à Paris un peu par hasard. Alors qu'il fuyait les problèmes de censure avec les "responsables" soviétiques du milieu du cinéma, il s'est retrouvé en France. Ses films étaient projetés dans des festivals, où de nouveaux amis l'ont accueilli, avant qu'il ne s'installe à Paris. Kobakhidzé relate volontiers son parcours semé d'embûches . La censure l'a frappé tout au long de sa carrière. "Vous savez, dit-il, l'important en URSS était de dominer l'art, le sport et la bombe atomique. En art, le réalisme socialiste était le canon à respecter à la lettre: le cinéma devait promouvoir le héros positif soviétique. Mes films ne correspondaient pas à ces critères. Mes trois premiers courts métrages, Jeune Amour, Manège et Huit et Demi, ont été détruits par les autorités. Les deux derniers, Le Parapluie et Les Musiciens, ont été taxés de formalisme pour leur excessive liberté."

Je lui fais alors part de mon étonnement: il arrivait que des cinéastes critiquent le pouvoir à travers leurs œuvres sans rien encourir de la part des autorités. Kobakhidzé s'emporte, son ton est plus sec: "La critique du pouvoir était permise dans certaines limites, répond-il. Celui qui critiquait était alors considéré comme courageux." Kobakhidzé sous-entend que ce courage n'était que calcul politique. "Il s'agissait de paraître courageux en cette époque de compromis avec le pouvoir, pour avoir droit à un poste, à quelques responsabilités, à de meilleures conditions de vie." Un geste de la main me fait comprendre que tout cela l'excède. Ce courage faisait en quelque sorte partie d'un jeu auquel Kobakhidzé refusait de participer. Son indépendance artistique était une insulte au pouvoir, et les autorités concernées ont tout fait pour l'écraser. Seul Le Mariage, son quatrième court métrage, primé à Oberhausen et à Cannes, est devenu un succès populaire en 1965, et a été épargné.

Deux films en projet pour l'an 2000

En 1969, son dernier film, Les Musiciens, déplaît à nouveau aux autorités. Cette histoire amusante et légère de deux musiciens, bataillant comme des gamins, semble innocente à première vue. "Cette comédie fut taxée "d'abstraction et d'absence totale d'idéologie", dit-il. J'étais obligé d'arrêter de tourner; j'ai alors écrit des scenarii pour des dessins animés". Mais le désœuvrement et des problèmes familiaux poussent Kobakhidzé à quitter la Géorgie. "J'ai abandonné un pays et une ville qui me sont chers, pour ne plus revoir mes anciens collègues," dit-il d'une voix froide. Arrivé en France, il retrouve son ami Iosséliani, autre grand réalisateur géorgien.

En France depuis deux ans, Kobakhidzé n'a pas encore pris le temps d'apprendre le français. "Je n'ai jamais cessé de travailler, dit-il en souriant. Je suis en ce moment sur l'écriture de deux scenarii: un court métrage [peut-être cette histoire d'amour qui lui tient tant à cœur?] et un long métrage commandé pour l'an 2 000. Une coproduction internationale, dont le Vatican fait partie, a demandé à douze réalisateurs de différentes nationalités, dont moi, de s'inspirer de Paraboles du Christ pour une fresque cinématographique." Bien que Kobakhidzé garde secrète l'histoire de son film, cette idée l'enchante. A la question: "Avez-vous un espoir pour que vos films soient montrés en Géorgie?", il sourit: "Bien sûr, je les y apporterai moi-même. Je ferai des projections privées, pour mes amis. Cela me suffira." Une chose est sûre, il ne compte pas retourner au Kinostudio, ni revoir les professionnels du milieu, ses anciens amis en qui il ne se reconnaît plus.

"Il faut être positif en tout"

Ses cinq courts métrages ressortent parfois sur les écrans . Cette année, le ciné-club russe "L'oiseau de Feu" a invité Kobakhidzé à les présenter devant un public en majorité russe et géorgien. Espérons qu'à la sortie de ses prochains films, nous pourrons (re)voir ses œuvres. Kobakhidzé se fait toujours un plaisir de rencontrer son public pour partager son expérience et communiquer sa joie. "Je suis heureux, mais nostalgique tout de même. Tbilissi me manque. Une de mes filles y vit, je vais la voir quelquefois. Mon autre fille, Marina [Kobakhidzé], est actrice professionnelle en Allemagne." Il sort sa photo de son portefeuille. "Vous la reconnaissez peut-être: elle est l'héroïne du film Vive la mariée…et la libération du Kurdistan ."

Il repose sa limonade et regarde la pluie battre la rue. Durant toute cette conversation, j'ai eu l'impression de parler à un homme déçu, mais optimiste. "Je peux vous paraître mystique, mais il faut être positif en tout", dit-il en guise de conclusion. Du haut de ses soixante ans, Kobakhidzé a toujours les yeux pétillants du jeune homme optimiste qu'il est toujours.

Par Sophie TOURNON

Vignette : Mikhail Kobakhidzé (unifrance.org)