Moldavie: la fin d’une longue crise politique?

Le 23 mars 2012, Nicolae Timofti est devenu officiellement président de la république de Moldavie, suite à une élection qui a mis fin à un imbroglio politique et parlementaire de près de trois ans. 


Cette élection a suscité un véritable soulagement dans ce pays divisé entre Union européenne et Russie où une partie de la population revendique comme siennes la langue et la culture roumaine, quand l'autre, plus proche de la Russie, considère son identité ethnique et linguistique comme distincte.

Les origines de la crise

La crise politique traversée par cette ex-république soviétique débute en avril 2009, au lendemain d’élections législatives dont les résultats officiels marquent la victoire du parti des Communistes de la république de Moldavie (PCRM), au pouvoir depuis 2001.

Au soir du 5 avril, il lui manque toutefois un siège au Parlement pour pouvoir élire le président de la République. Un seul ralliement qui semble alors une simple formalité mais s’avèrera finalement problématique dès les jours qui suivent.

L’annonce des résultats alimente les rumeurs de fraudes et la frustration d’une partie de la jeunesse, exaspérée par un pouvoir jugé corrompu et archaïque, va bouleverser le jeu politique. Le 7 avril, des milliers de jeunes s’organisent grâce aux réseaux sociaux et descendent dans les rues de Chişinău pour demander de nouvelles élections législatives. La dite révolution «twitter» submerge la Moldavie, faisant penser aux «révolutions de couleur» ukrainienne ou géorgienne. Le pouvoir impose cependant un retour à l’ordre rapide et brutal.

Ce bref «printemps moldave» a trois conséquences importantes: il révèle l’émergence d’une société civile, il relance l’intérêt de l’Union européenne -qui semblait se défier du fantasque régime Voronine- pour ce voisin oublié et, enfin, il fédère une opposition qui y voit une chance de renverser la situation à son avantage.

L’Alliance pour l’Intégration européenne

Le 20 mai, puis le 3 juin, l’opposition unie bloque l’élection de Zinaida Greceanii, l’ancien Premier ministre de Vladimir Voronine désignée pour lui succéder. Dans l’impasse, le PCRM est contraint de convoquer des élections législatives anticipées. Il essuie un autre revers avec la défection d’un de ses membres les plus importants, Marian Lupu, qui crée le parti Démocrate de Moldavie. Ce dernier va former avec les principaux partis d’opposition une coalition gouvernementale, l’Alliance pour l’Intégration européenne (AIE), dont l’objectif est la mise en place de réformes qui permettraient à terme de rejoindre l’UE.

Ces nouvelles élections voient le recul du PCRM. L’AIE obtient la majorité au Parlement et prend le pouvoir. Elle n’obtient toutefois pas le nombre de sièges requis pour pouvoir élire le candidat qu’elle a désigné pour la fonction de président de la République, Marian Lupu. Le Parti communiste s’enferme alors dans une position de blocage systématique qui va durer près de trois ans.

Embourbement interne

Le libéral Mihai Ghimpu est élu président du Parlement et occupe par intérim la fonction de chef de l’État. Il va jouer la carte de l’anticommunisme en attaquant ses adversaires sur le terrain de l’histoire et des symboles et ne réussit qu’à diviser un peu plus le pays. Pour sortir de la crise, M.Ghimpu organise un référendum sur la Constitution afin de permettre l’élection du Président au suffrage universel direct.

Le référendum se tient en septembre 2010: malgré un résultat favorable à l’AIE, il est invalidé en raison du faible taux de participation. Une victoire pour le Parti communiste qui avait appelé au boycott. Prise à son propre piège, l’AIE convoque alors de nouvelles élections législatives mais celles-ci ne font pas évoluer le rapport de force. Marian Lupu est élu président du nouveau Parlement et occupe à son tour la fonction de chef de l’État par intérim. Il ne partage ni le nationalisme pro-roumain ni l’hostilité à la Russie de son prédécesseur et apparaît comme un homme de compromis.

Succès en trompe l’œil

Les événements d'avril 2009 ont terni l'image du pays et ont démontré que l'exaspération de la population atteignait un niveau insupportable. De réels efforts seront donc consentis pour répondre aux attentes de la société et des partenaires occidentaux. Des progrès sont réalisés en matière de libertés publiques et le Premier ministre, Vlad Filat, fait le tour des capitales européennes pour obtenir leur soutien.

Il y parvient et décroche ainsi un satisfecit de Bruxelles mais aussi de Washington par la voix du vice-président Joe Bidden en visite à Chişinău au printemps 2011.

En dépit de ses succès réels, l'AIE se heurte à de graves difficultés. Le blocage de la situation politique lasse la population et inquiète les partenaires extérieurs du pays. Vlad Filat dit craindre le «syndrome ukrainien» qui a vu l'anéantissement des espoirs suscités par la révolution orange, l'explosion de la coalition pro-occidentale et le retour d'un pouvoir pro-russe.

La collaboration entre Marian Lupu et son Premier ministre est également difficile, tant il est évident que les deux hommes nourrissent des ambitions présidentielles.

En juillet 2011, V.Filat exprime ses craintes en s'adressant à ses concitoyens: pour l'ensemble des réformes, il dit rencontrer plus d'opposition de la part de ses partenaires de coalition que du Parti communiste. Lors de la rentrée parlementaire, l’AIE semble au bord de l’explosion. Inamovible premier parti du pays, le PCRM, malgré ses propres dissensions internes, attend son heure.

Pressions extérieures

Les jeux politiciens et les intérêts personnels semblent alors en passe de bloquer complétement le pays. De nouvelles élections législatives sont envisagées, tandis que la possibilité d’un éclatement de l’Alliance et d’un retour des communistes au pouvoir apparaît comme plausible. L’Union européenne, qui a beaucoup investi en Moldavie, montre des signes d’inquiétude, relayés par son représentant à Chişinău, Dirk Schuebel.

En novembre 2011, un évènement politique brouille encore un peu plus les cartes. Le député Igor Dodon, ancien ministre de Voronine, quitte le Parti communiste avec deux autres parlementaires, dont Zinaida Greceanii. Le «groupe Dodon» forme le Parti socialiste de Moldavie et tente de se poser en arbitre pour «éviter au pays des élections anticipées».

Le jeu de l’élection du Président est relancé en novembre: les candidatures de Marian Lupu et de Zinaida Greceanii sont évoquées mais, le jour du scrutin, personne ne se présente. Schuebel déclare qu’il «serait une honte pour la Moldavie que des élections anticipées viennent interrompre le processus d’intégration». L’Union européenne craint la surenchère populiste qui pourrait accompagner une nouvelle campagne électorale.

Une ultime tentative d’élection a lieu le 16 décembre: Marian Lupu est le seul candidat, c’est un nouvel échec.

Le début de l’année 2012 accentue le sentiment d’urgence, alors que la perte de confiance de l’UE devient difficile à cacher. Or, le gouvernement de l'AIE ne résiste que grâce à ce soutien. La disparition de l'image de transition réussie risque d'aggraver le statut périphérique de la Moldavie, éloignant ainsi toute perspective de progrès rapides.

Par ailleurs, les évolutions politiques à l’Est inquiètent: le mois de janvier est marqué par un regain de tensions à la frontière de la Transnistrie, où un jeune homme est abattu par un garde-frontière. En Russie, la réélection de Vladimir Poutine, qui semble peu disposé au compromis, rappelle également à la classe politique moldave le risque que pourrait constituer le désintérêt de l’UE.

La voie étroite de Nicolae Timofti

Pour perdurer, l’Alliance doit trouver un candidat consensuel. Elle décide de présenter au Parlement la candidature du président du conseil supérieur de la Magistrature, un ancien juge n’ayant jamais fait de politique, Nicolae Timofti. Le 16 mars 2012, il est élu président de la République de Moldavie avec 62 voix - celles des députés de l’AIE auxquels se sont joints ceux du groupe Dodon.

Pour obtenir ce soutien, N.Timofti s’est engagé à respecter un certain nombre de conditions chères à l’ancien communiste, comme le maintien de la neutralité du pays, l’équilibre des relations entre UE et CEI, la confirmation de la spécificité de la culture et de la langue moldave par rapport à la Roumanie et sa non-appartenance personnelle à un parti politique. Des engagements qui poseront vite question, à un moment où les partisans de l’union avec la Roumanie font leur réapparition sur la scène politique avec une récente et très démonstrative «marche de l’Union» en mémoire de l’annexion du territoire de l’actuelle république de Moldavie par la Russie, en 1812.

Quelques jours après son élection, Nicolae Timofti réaffirme sa volonté de poursuivre tous les engagements pris envers l’Union européenne. Son premier défi sera de faire accepter le vote d’une loi contre les discriminations à l’encontre des minorités religieuses et sexuelles, imposée par Bruxelles. Un projet qui donne lieu depuis quelques mois à des débats houleux au sein d’une société encore très traditionnelle.

La Moldavie a accueilli avec soulagement l’arrivée au pouvoir de cet homme policé de 63 ans. Néanmoins, dépendant d’une majorité fragile, pris entre une UE de plus en plus dirigiste et une Russie de moins en moins encline au compromis sur la question de la Transnistrie, le pays sait que la période d’état de grâce du nouveau Président risque d’être de courte durée.

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* Vincent HENRY est diplômé de l'IRIS et traducteur.