Nouvelle loi sur l’Éducation nationale en Roumanie

Une réforme du système éducatif roumain a débuté avec l’adoption définitive, début 2011, d’une nouvelle loi sur l’Éducation nationale. Forte de 365 articles, cette loi ambitionne de transformer en profondeur et d’européaniser l’enseignement en Roumanie.


Académie Roumaine à Iaşi, Philippe Som (août 2010)

Initiée en 2010 par l’actuel ministre de l’Enseignement, de la Recherche, de la Jeunesse et du Sport, Daniel Funeriu, la nouvelle loi sur l’Éducation nationale (n°1/2011) a suscité de très vifs débats, émanant principalement des syndicats de l’enseignement et de l’opposition politique, notamment du Parti Social Démocrate (PSD) et du Parti National Libéral (PNL).

Les vicissitudes de l’adoption de la nouvelle loi

Pour réussir à faire adopter cette loi, le gouvernement roumain, dominé par le Parti Démocrate-Libéral (PD-L), a dû engager sa responsabilité devant le Parlement le 28 octobre 2010[1]. Mais la Cour constitutionnelle a aussitôt été saisie par le président du Sénat, Mircea Geonă (PSD), ainsi que par 108 députés de l’opposition. En septembre 2009, un premier projet de loi de réforme du système éducatif, soutenu par une coalition PD-L, PSD et PC (Parti Conservateur), avait été momentanément adopté, avant d’être rejeté par la Cour constitutionnelle, alors saisie par le PNL. Cette fois-ci, en revanche, la Cour constitutionnelle a déclaré, en janvier 2011, que la nouvelle loi sur l’Éducation nationale était constitutionnelle. Après cette décision, le texte a été promulgué par le Président roumain, Traian Băsescu[1].

Face aux inquiétudes suscitées par la réforme de l’enseignement, D. Funeriu a cherché à rassurer le monde éducatif en précisant que la mise en œuvre des articles de la loi, officiellement entrée en vigueur en février 2011, se fera graduellement. Si certains sont favorables à la loi, telle l’association de scientifiques roumains Ad-Astra, beaucoup y demeurent hostiles et pointent du doigt ses effets ou ses incohérences : syndicats d’enseignants, recteurs des universités, etc. Ainsi, les recteurs ont fait part de leur défiance à l’égard de la nouvelle loi sur l’Éducation nationale lors de la tenue, le 28 janvier 2011 à Iaşi, du Conseil national des Recteurs. Quelques semaines auparavant, Andrei Marga, recteur de l’université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, avait quant à lui déclaré : « Cette loi de l’éducation devra être remplacée immédiatement après qu’une autre majorité parlementaire et un nouveau gouvernement entrent en fonction. La dignité sociale et salariale de l’enseignant doit être rétablie de toute urgence, l’autonomie universitaire doit être reconnue,[...] la jeunesse doit être encouragée à ne pas quitter le pays, la politisation doit être éliminée. Une réforme réfléchie de l’éducation est indispensable, mais la présente loi ne peut pas le faire et ce n’est pas une loi de réforme. Par ce qu’elle a de positif en elle, la loi plagie des mesures prises en 1996-2000 auxquelles elle ajoute une vision dépassée et une volonté de politisation anachronique »[2].

Quelles sont les principales mesures de cette nouvelle loi sur l’Éducation nationale et quels effets vise-t-elle à entraîner dans le système éducatif roumain, dans l’enseignement pré-universitaire et dans l’enseignement supérieur ?

Vers une bonne gouvernance dans l'éducation

La loi vise foncièrement à améliorer la qualité et les performances du système éducatif roumain, en le rapprochant des systèmes éducatifs des pays d’Europe de l’Ouest. Cela passe notamment par un meilleur fonctionnement managérial des institutions d’enseignement. Pour ce faire, la nouvelle loi sur l’Éducation nationale instaure la création de conseils d’administration (CA) mixtes dans les écoles (avec des représentants de la mairie, du conseil local et des parents d’élèves) et les universités (avec un représentant élu des étudiants et des personnalités scientifiques et académiques externes, donc potentiellement indépendantes).

La loi vise en outre à éviter la politisation des fonctions de direction dans les institutions d’enseignement et les conflits d’intérêts. En effet, elle interdit aux directeurs et directeurs-adjoints des établissements scolaires ainsi qu’aux recteurs des universités d’être simultanément président ou vice-président d’un parti politique; les recteurs ne peuvent par ailleurs pas occuper d’autres fonctions de direction ou de dignité publique durant leur mandat. Toutefois, dans un entretien accordé en janvier 2011 à l’hebdomadaire Observatorul cultural, Michael Shafir, professeur de Sciences politiques à l’université Babeş-Bolyai, contestait le fait que la loi favorise l’autonomie et une dépolitisation dans le management éducatif[3]. En effet, selon lui, les institutions d’enseignement ne seront pas gérées de façon plus indépendante et en dehors de toute pression politique du fait du poids des représentants de l’État dans les CA des universités et de celui des représentants des autorités politiques locales dans les CA des écoles. Il arguait en outre que la loi tendrait moins à la dépolitisation de la fonction de recteur qu’à la mise à l’écart de certaines personnalités politiques, comme Ecaterina Andronescu (PSD), à la fois sénateur et recteur de l’Université Polytechnique de Bucarest, ainsi que président du Conseil national des Recteurs.

Vers un enseignement pré-universitaire rénové

Les mesures les plus significatives de la nouvelle loi sur l’Éducation nationale dans l’enseignement pré-universitaire visent à une meilleure allocation des ressources financières, à la promotion de l’équité dans l’accès à l’éducation, et à la mise en place d’un enseignement de qualité, orienté vers l’acquisition de compétences.

La loi prévoit que la part du budget de l’État allouée à l’éducation représente 6 % du PIB de la Roumanie à partir de 2012. En effet, si ce niveau a été atteint en 2008, suite à une hausse des investissements dans l’éducation entamée en 2006, les dépenses publiques en la matière ont baissé, pour revenir à 4,2 % du PIB en 2009, dans un contexte marqué par une chute de la croissance économique et la rigueur budgétaire. Quant au financement de base des unités scolaires assuré par le budget de l’État, la loi établit que l’argent doit suivre l’élève : est ainsi instauré un mode de financement où la somme attribuée à chaque école, collège ou lycée se réfère au coût standard d’un élève et varie selon le nombre d’élèves inscrits (avec un coefficient spécifique pour les écoles isolées et l’enseignement pour les minorités) ; l’État va de plus subventionner l’enseignement privé. La loi tient compte aussi des inégalités résidentielles et/ou sociales d’accès à l’éducation: allocation de bourses sociales et accès gratuit aux foyers et cantines pour les élèves scolarisés dans une localité autre que celle de leur domicile, prise en charge par l’État du coût des études secondaires supérieures ou professionnelles pour les élèves issus du milieu rural ou de groupes sociaux défavorisés. Notons enfin que la loi prévoit qu’à partir de 2013, la somme de 500 euros soit versée à chaque nouveau né sur un compte dédié à l’éducation et qu’elle introduit également le principe de bourses d’études privées, ainsi que la possibilité pour les étudiants de souscrire à un prêt garanti par l’État pour financer leurs études.

Plus fondamentalement, la nouvelle loi sur l’Éducation nationale change l’organisation et les contenus dans l’enseignement pré-universitaire, afin de promouvoir l’acquisition de compétences par les élèves et d’améliorer leurs performances scolaires. Le socle d’études obligatoires est renforcé : le cycle des études primaires débute un an plus tôt et celui des études secondaires inférieures est prolongé d’une année, chacun de ces cycles passant ainsi d’une durée de quatre à cinq ans. Les programmes scolaires et les modes d’évaluation évoluent: plutôt que la mémorisation d’informations, il s’agit à présent de permettre la formation de compétences, tandis que la progression des élèves sera évaluée à plusieurs étapes de leur cursus obligatoire. Il faut comprendre ces différentes mesures par rapport aux résultats plutôt faibles obtenus par les élèves roumains aux tests internationaux de type PISA et aux critiques d’experts, tels ceux de la Société Académique de Roumanie, remettant en cause les programmes surchargés et un mode d’apprentissage mécanique.

Financement ajusté et contribution potentielle du secteur privé, équité dans l’accès à l’éducation et logique d’obtention de compétences, un aspect de la loi paraît cristalliser ces différentes tendances : la réouverture des écoles professionnelles et la mise en place d’une forme d’apprentissage, via la possibilité d’établir des contrats de scolarisation entre entreprises, élèves et écoles ; dans ce cas, outre le fait que les entreprises pourront bénéficier de facilités fiscales, celles-ci établiront conjointement avec les écoles la durée et le contenu du programme professionnel.

Vers un enseignement supérieur européanisé

La nouvelle loi sur l’Éducation nationale cherche aussi à modifier les pratiques dans l’enseignement supérieur, en vue de rapprocher les universités roumaines de leurs homologues d’Europe de l’Ouest et afin qu’émergent des "pôles universitaires d’excellence". En effet, dans un rapport intitulé "Baromètre de la qualité 2009", l’Agence Roumaine de Certification de la Qualité dans l’Enseignement Supérieur (ARACIS) indiquait que «si nous n’introduisons pas des corrections importantes et rapides dans le système et dans les universités, nous risquons d’avoir toujours aussi peu d’universités performantes, toujours autant de diplômes, toujours aussi peu de compétences professionnelles et, au final, un manque chronique de compétitivité européenne » ; de plus, elle notifiait que « conformément à certaines estimations […] un peu moins de 20 % des universités, estimation généreuse, et seulement 5 %, estimation plus exigeante, réussissent à avoir des résultats remarquables en recherche et à produire des diplômes compétitifs aux niveaux national et surtout européen »[4].

Ainsi, la loi prévoit que chaque université ait un code éthique et de déontologie professionnelle. Pour éviter le népotisme, elle fixe qu’aucun universitaire ne pourra désormais occuper des fonctions le mettant en position de direction, de contrôle, d’autorité ou d’évaluation à l’égard d’un parent, ni être nommé dans une commission de doctorat, d’évaluation ou de concours dont les décisions affectent un parent. À l’avenir, il devrait donc être difficile pour l’épouse et la fille d’un professeur universitaire de devenir ses doctorantes, puis d’enseigner à ses côtés, comme dans le cas de ce professeur de la chaire d’Études britanniques et américaines de la faculté des Lettres et des Arts de l’université Lucian Blaga de Sibiu, dont l’épouse et la fille sont respectivement maître de conférences et assistante à la même chaire[5].

Plus globalement, la loi tend à stimuler les compétences et l’excellence dans l’enseignement supérieur. La thèse d’habilitation est introduite et son obtention devient nécessaire pour accéder au statut de professeur universitaire, occuper une fonction de direction ou coordonner des thèses de doctorat. Les universités seront évaluées pour en établir un classement selon leurs performances scientifiques et les hiérarchiser d’après leurs programmes d’études. Seront ainsi distinguées les universités seulement tournées vers l’enseignement, celles s’occupant à part égale d’enseignement et de recherche, et enfin celles faisant principalement de la recherche et secondairement de la formation; les universités jugées performantes pourront se voir attribuer par l’État des financements supplémentaires.

La nouvelle loi sur l’Éducation nationale vise donc non seulement à éliminer certaines pratiques endémiques, peu compatibles avec une réelle intégration des universités roumaines dans l’espace scientifique et académique européen, mais aussi à aligner leurs performances sur les standards internationaux en matière de recherche et de formation des étudiants. C’est pour cela que l’association Ad-Astra a soutenu la réforme et salué la promulgation de la loi.

Avec la nouvelle loi sur l’Éducation nationale, les jalons d’une réforme du système éducatif roumain sont posés. L’objectif affiché est de le régénérer, mais il s’agit en fait de l’inscrire, plus encore qu’auparavant, dans la dynamique mondiale de convergence des systèmes éducatifs et surtout d’adaptation aux réalités économiques. Mais qu’en sera-t-il vraiment ? Dans quelle mesure et comment les différents acteurs de l’éducation contribueront-ils à la mise en œuvre de cette réforme ? Quelles en seront les conséquences ? Bien des questions se posent encore quant à la capacité de cette loi à être un réel vecteur de changement dans l’éducation.

Notes :
[1] Il s’agit d'une « modalité indirecte d’adoption d’une loi, c’est-à-dire non pas par la discussion de celle-ci dans le cadre de la procédure législative ordinaire, mais par la discussion d’une problématique politique par excellence, liée au maintien ou à la chute du Gouvernement » (Safta Marieta, «Angajarea răspunderii Guvernului asupra unui proiect de lege. Jurisprudenţa Curţii Constituţionale în materie», Buletinul Curţii Constituţionale, n°2, 2010, p. 17).
[2] Déclaration reproduite dans l’article : Neacşu Dragoş, "Învăţământul intră într-o nouă era", Şcoala românească, n°63, janvier 2011, p. 2.
[3] http://www.observatorcultural.ro/Michael-SHAFIR-La-65-de-ani-profesori-foarte-buni-sint-trecuti-pe-linie-moarta*articleID_24842-articles_details.html
[4] Dalais Mirela, "ARACIS recunoaşte slaba calitate a învăţământului superior", Şcoala românească, n°52, février 2010, p. 14-15.
[5] Pour d’autres exemples éloquents, voir : Lista clanurilor din universităţile româneşti.

* Dany BOURDET est sociologue, professeur contractuel en Sciences de l’éducation à l’université Charles-de-Gaulle – Lille 3.

Photographie : Académie Roumaine à Iaşi, © Philippe Som (août 2010).