Mardi 23 mars 1999, invoquant un "devoir moral", le Secrétaire Général de l'OTAN, Javier Solana, annonce le début des frappes occidentales en Yougoslavie. Sans remettre en cause le caractère dramatique de la situation au Kosovo, une analyse strictement juridique de l'intervention militaire alliée démontre son caractère illégal et potentiellement dangereux à long terme.
Une légitime défense collective ?
Le recours à la force armée est prohibé par le système juridique international. La coercition militaire est autorisée uniquement sur décision du Conseil de Sécurité ou en cas de légitime défense. La légitime défense, individuelle ou collective, est acceptée par la charte des Nations Unies dans la mesure où l'agression armée frappe un Etat souverain (comme le Koweït envahi par l'Irak en 1990). Or, la souveraineté de la Serbie sur la province du Kosovo a été réaffirmée à Rambouillet. Le conflit au Kosovo revêt donc un caractère interne et intervenir sur le territoire serbe revient à s'immiscer dans les affaires intérieures de cet Etat, procédé également contraire au droit international. L'OTAN est une organisation régionale qui doit juste assurer la légitime défense collective de ses membres. Au Kosovo, elle mène une action coercitive contre un Etat qui ne l'a pas agressée.
Autorisation du Conseil de Sécurité de l'ONU ?
S'il constate une menace contre la paix, le Conseil de Sécurité peut décider un recours à la force armée. Certes, la situation au Kosovo menaçait la paix dans les Balkans et le Conseil aurait pu y voir le droit d'agir. Mais de telles décisions doivent être prises avec l'accord des membres du Conseil, en particulier de ses cinq membres permanents (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Chine et Russie). Ces cinq membres disposent d'un droit de veto qui leur garantit le plein respect de leur volonté dans les résolutions du Conseil. Etant donnée la position russe (et également chinoise) sur une action armée en Serbie, le veto était quasi certain. L'OTAN l'a contourné en "omettant" de demander au Conseil de Sécurité l'autorisation de frapper.Le Secrétaire Général de l'ONU a bien tenté de légitimer a posteriori l'action de l'OTAN mais sa déclaration ne peut se substituer à une décision en bonne et due forme du Conseil de Sécurité. Certains gouvernements ont également déclaré que l'intervention de l'OTAN en République Fédérale de Yougoslavie (RFY) était autorisée par les résolutions antérieures du Conseil. A la lecture de ces résolutions[1], il est clair que le Conseil se réserve le monopole de décision et qu'aucune intervention armée n'était autorisée sans son accord préalable.
La Russie n'a pas apprécié d'être écartée d'une décision internationale majeure
En brandissant la menace de venir en aide militairement à la Serbie, même si chacun sait que la Russie est paralysée par sa situation économique, Moscou n'a fait qu'utiliser son droit d'assister un Etat victime d'une agression armée, en vertu du principe de légitime défense collective. Immédiatement, Moscou aurait eu le droit de riposter proportionnellement à l'agression. En clair, la Russie aurait eu le droit de bombarder les pays engagés dans l'action de l'OTAN. Même la levée de l'embargo sur la vente d'armes à la Serbie serait licite car assimilée à une contre-mesure face à des actes internationaux illégaux.
Un jeu risqué
C'est là que réside tout le problème de cette intervention. Les frappes de l'OTAN vont créer un précédent très gênant pour la communauté internationale, dans la mesure où le principe de non-ingérence ainsi que le système des Nations Unies ne sont plus respectés. Il faut admettre que le Droit international ne permet pas aujourd'hui de résoudre tous les conflits internes. Contrairement à une idée répandue, un droit d'ingérence humanitaire n'existe pas en droit international, surtout pas en utilisant la force armée et sans le consentement de l'Etat. Des pratiques comme celle de l'OTAN vont contribuer à ralentir l'avènement d'un ordre juridique international satisfaisant. Une intervention alliée non autorisée au Monténégro, en cas de coup d'Etat militaire, violerait une fois de plus la souveraineté de la Yougoslavie. Les Etats se prévalent du Droit international quand il sert leurs intérêts : les Etats-Unis n'ont-ils pas appelé au respect du Droit international, en l'occurrence la Convention de Genève, pour leurs trois soldats détenus en Serbie ?
Photo : © François GREMY
* auteure de l'article : Carole CHARLOTIN
[1] Résolutions 1160, 1199 et 1203 (sur le Kosovo) - Conseil de Sécurité - 1998.