Portraits de roumains sur le marché de travail européen

Deux millions et demi de Roumains vivent et travaillent en dehors des frontières nationales. L’Europe reste leur destination favorite avec l’Italie, L’Espagne et l’Allemagne en tête de la liste des pays d’accueil. Qui sont ces Roumains qui sont déjà sur le marché du travail européen? Quels sont leurs espoirs dans l’adhésion en 2007? Seront-ils suivis par un grand nombre d’émigrants à partir de 2007?


Au-delà des statistiques 

Le marché de travail européen est un marasme. Avec une croissance d’à peine 1.7% en 2005, un chômage de 7.9% dont le record de 8.8% est atteint en France, l’objectif de Lisbonne de «l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » reste un desiderata lointain.

Après le grand « big bang » de l’élargissement en 2004, ce sera au tour en janvier 2007 de la Roumanie et de la Bulgarie de trouver leur place sur le marché européen. En matière de main d’œuvre, la Roumanie semble plutôt bien lotie avec des étudiants, cadres ou simples travailleurs qui sont 200.000 en Italie, 200.000 en Allemagne, 100.000 en Espagne, 60.000 en France, 15.000 en Grande Bretagne et 7.000 en Irlande.

Même si la croissance de l’économie roumaine et le faible taux du chômage, au-dessous de la moyenne européenne, sont des signes plutôt encourageants, les différences de revenus et de système de protection sociale inquiètent les gouvernements des anciens EU 15 à cause de potentiels flux de main d’œuvre sur leur territoire. Qui sont ces Roumains qui hantent l’Europe, qui font la peur des statistiques gouvernementales ?

Florin – figure emblématique de la recherche française 

Pour Florin, l’histoire de son émigration est simple : « Si je suis arrivé où je suis c’est grâce à l’enseignement roumain ». A 18 ans, il fait partie du groupe olympique de la Roumanie en mathématiques et décide ensuite de devenir aviateur. Elève éminent de la Faculté d’Aéronautique de Bucarest, il fait partie des trois meilleurs de la promotion qui bénéficient d’une bourse d’études en France à l’Ecole Polytechnique de Paris et effectue ensuite son doctorat à l’ENSICA, à Toulouse. A partir de ce moment là, tout s’enchaîne et sa carrière prend de plus en plus d’ampleur.

Docteur ingénieur et Directeur adjoint de développement dans le secteur aéronautique en France, Monsieur Florin Calin Paun, puisque c’est comme cela qu’on l’appelle dans le monde de la recherche, a mis au point un système de mousses métalliques à sphères creuses anti-acoustiques pour réduire le bruit des avions. Depuis un an, Florin est directeur adjoint chargé du transfert technologique envers les PME de l’industrie aéronautique française afin de les aider à avoir accès à l’innovation et donc de mieux faire face à la concurrence mondiale.

Avec sa femme Ingrid Vaileanu, il consacre son temps libre à conseiller des grands groupes et à rassembler la communauté des cadres roumains francophones [1]. Il est à l'initiative du premier Think tank pour la Roumanie à Paris – Club de Bucarest - et du Congrès des cadres roumains en France, le plus grand rassemblement des cadres roumains à l’étranger.

«C’est plutôt la France qui m’a choisi, je n’ai pas choisi la France», estime-t-il. Mais Florin admire la culture française et croit « dans ce que la France a donné à l’humanité et dans les principes universels issus de la Révolution française ».

Oana – une étudiante qui prépare son avenir

Oana, étudiante en 5ème année à Sciences Po, se promène sur le boulevard Saint-Germain et n’arrive pas encore à croire qu’elle a réussi à y entrer. « Je me sens comme dans un film », affirme-t-elle. « Je suis venue il y a un an et un mois en France. Je voulais faire un master de Sciences politiques et j’ai été acceptée en maîtrise à l’Université de Versailles (…) J’admire l’enseignement français probablement parce que j’ai été favorisée. J’ai fait une bonne thèse l’année dernière et il y a un professeur qui m’a recommandée pour un DEA à Sciences Po».

A la fin de ses études de Droit à l’Université de Iasi en Roumanie, Oana ne pensait pas avoir trouvé sa voie, « je ne faisais pas ce que je voulais et donc je voulais changer ». De plus, pour Oana, le fait d’avoir fait une partie de ses études en France constituera un avantage compétitif à son retour en Roumanie où elle est déterminée à entrer dans le monde de la politique et à travailler pour un parti politique roumain.

L’expérience en France est pour Oana une mine d’or en matière «de connaissances, de culture, d’ouverture d’esprit». De plus, elle est convaincue que la Roumanie et le marché de travail roumain ont besoin «de gens familiarisés avec les réalités européennes».

Ovidiu – chef d’atelier passionné par la culture

Ovidiu, électricien, se sent également attiré par la culture française. Même s’il est chef d’un atelier de sérigraphie, il déclare: « Ce que j’ai aimé ici et que j’ai visité dès le début ont été les musées, les églises, les monastères, toutes ces choses chargées d’histoire ». L’histoire de son émigration, il la résume en quelques phrases: «Je suis arrivé en car il y a 6 ans et je suis resté. Je me suis décidé un jour à partir de Roumanie parce que je voulais me déraciner, changer. Je voulais travailler légalement et comme il y avait un employeur franco-roumain qui avait besoin de quelqu’un sur Paris, j’ai accepté de venir».

L’émigration d’Ovidiu n’a pas été un conte de fée, il a travaillé dur mais cela ne l’a pas dérangé. « J’avais des objectifs, je voulais rester légalement et emmener ma famille ». Aujourd’hui, en tant que chef d’atelier et responsable d’une équipe de travailleurs, il est content de ce qu’il a réalisé. De plus, après trois ans d’attente et de formalités, il a réussi à faire venir sa femme et sa fille.

«La niaque : avantage compétitif des Roumains» 

Histoires diverses, parcours enrichissants, expériences différentes, voilà le portrait de ces Roumains qui ont déjà conquis le marché européen. Et l’adhésion de la Roumanie, va-t-elle changer la donne?

Florin Calin Paun se déclare optimiste par rapport à cette adhésion: «D’un côté, les Roumains vont apporter des choses sur le marché du travail européen. Tout d’abord, une chose qui commençait à manquer ici : la niaque. Et ils vont apporter la responsabilité aussi. C’est une notion qui fait défaut en France et au plus haut niveau aussi: la responsabilité du travail bien accompli et jusqu’au bout.»

«D’autre part, je suis optimiste pour la Roumanie parce que le pays va recevoir une énorme quantité d’argent que pour le moment on ne peut absorber mais qui devra l’être un jour ou l’autre. Il y aura de toute façon une pression qui va faire que le travail va devoir être accompli bien et vite. Autrement on va se faire taper sur les doigts par la Commission Européenne, à juste tire et tant mieux. Il y a quelque part une gouvernance mixte qui se met en place entre le gouvernement roumain et les commissaires européens qui auront leur mot à dire. A partir de là, si le mécanisme s’embraye bien, ça peut très bien marcher.»

Mais cet argent ne sera pas un don et les Roumains le savent très bien. Ils n’attendent plus de cadeaux : « Au début ce sera pire avec l’intégration parce que rien ne sera offert », s’accorde à dire Ovidiu. Oana aussi, de son côté sait « qu’il faudra se faire une place en Europe ».

Les Roumains de Roumanie sont du même avis. Paul Ivan, licencié en histoire et à la recherche de son premier emploi à Bucarest, atteste : «Je pense que chez nous, le 1er janvier les gens vont célébrer plus le Nouvel An que l’entrée de la Roumanie dans l’Union Européenne. La-bàs, il est à la mode de dire combien la vie sera difficile dans les années à venir. Donc, je pense que nous aussi serons, dans 2 ou 3 ans, un pays d’eurosceptiques». Cela sera difficile, mais pas impossible, tant que les Roumains continueront à faire parler d’eux comme des gens «sérieux et responsables» au travail. La clé du succès n’est plus un secret pour Ovidiu : «Si tu ne déranges pas les autres et si tu es honnête avec toi-même, tu peux réussir».

« J’aimerais de tout mon cœur pouvoir émigrer en Roumanie»

«Bientôt on va tous être Européens», s’exclame Ovidiu. Et cela est pour les Roumains un vrai plaisir, puisque entre leur pays d’accueil et le pays d’origine, les frontières feront désormais partie du passé. Citoyen européen ou citoyen du monde, comme se sent Florin, ils sont tentés de rentrer au pays, et d’y investir…mais pas tout de suite : «Je suis tenté de renter en Roumanie, mais comme je suis dans la recherche, j’attends que la recherche marche bien». Même réflexe chez le travailleur : «J’aimerais de tout mon cœur pouvoir émigrer en Roumanie, j’aimerais que les choses aillent tellement bien là bas que j’aie envie d’y retourner». Mais cela ne demeure qu’un rêve pour le moment.

En définitive, la solution est dans les mains du gouvernement de Bucarest. «Il faut transformer la Roumanie en une Irlande high-tech», considère Florin, et ainsi, la croissance et la richesse ne seront plus un rêve. De plus, cela pourra stopper le fléau du «brain drain», principale risque de l’intégration de la Roumanie dans l’UE. Une étude de la Commission estime le nombre de personnes avec des plans sérieux de migration après 2007 à seulement 2%, tandis que : «l’immigration va concerner plutôt des personnes hautement qualifiées». Des incertitudes, des espoirs, des risques, tous ces éléments sont intimement liés à l’intégration de la Roumanie dans l’UE et aux transformations du futur marché de travail européen élargi. Oana conclut, pensive: «Vivra-t-on pour voir toutes ces attentes accomplies? Vivra-t-on pour voir une Roumanie européenne? ».

 

* Mirabela LUPAESCU est étudiante à l'IEP de Paris

[1] pour plus d’informations voir le blog « Interview Francophones » à l’adresse web www.romanidineuropa.ro/