Querelles de statues en Roumanie

“Les juifs nous demandent de démolir les statues du maréchal Antonescu . comme les talibans l’ont fait avec celles de Bouddha” [dictateur de la Roumanie de 1940 à 1944, Antonescu engagea son pays au coté de l’Allemagne nazie], dénonçait récemment Corneliu Vadim Tudor. “En faisant de telles promesses, le Premier ministre roumain montre bien qu’il est analphabète en matière politique et historique. La première statue qu’il va toucher sera aussi sa tombe”.


Corneliu Vadim Tudor, leader de l’extrême droite roumaine passé tout près de la victoire lors de la dernière présidentielle, ne s’en cache pas : il est un admirateur de la Roumanie fasciste des années 30 et tient à ce que l’on honore sa mémoire. Au risque de semer la discorde dans le pays.

Pour Adrian Nastase, la Roumanie doit en effet s’attaquer “ aux symboles rappelant le maréchal controversé ”(1). Question de crédibilité sur la scène internationale. Le Premier ministre roumain a ainsi promis en novembre 2001 à la communauté juive américaine, d’interdire “ tous les symboles liés aux criminels de guerre ”. La tâche risque d’être ardue si l’on en croit le témoignage du journaliste Mirel Bran, qui a dénombré huit nouvelles statues du maréchal récemment érigées dans plusieurs grandes villes. Des effigies qui s’ajoutent aux nombreux boulevards et rues “Antonescu” présents dans les agglomérations roumaines.

La guerre des symboles

Cette “querelle des statues” n’est que le dernier épisode d’une vaste guerre des symboles opposant le gouvernement roumain aux groupes de pression nationalistes. La polémique engendrée est cependant lourde d’enjeux pour l’avenir européen de la Roumanie. En octobre 1999, l’Institute for war and peace reporting se fondait déjà sur l’avortement du projet de monument magyaro-roumain à Arad pour souligner l’échec de la réconciliation des peuples de Transylvanie. Les ministres des Affaires étrangères roumain et hongrois avaient en effet décidé trois mois plus tôt de construire un parc de réconciliation historique, dans la ville d’Arad, vieille cité de l’Empire austro-hongrois devenue roumaine en 1919. Ce projet devait se structurer autour d’un “ monument commémorant l’exécution par les Autrichiens de treize généraux hongrois à Arad en 1849 ainsi que de statues de personnalités roumaines originaires de Transylvanie ”(2). L’idée n’était pas nouvelle, loin de là. La construction de ce monument avait déjà été à l’ordre du jour au début du siècle passé. Le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie en 1919 mit toutefois un terme à ce projet, les treize généraux étant tenus responsables par Bucarest du massacre de quarante mille Roumains lors de la révolution nationaliste de 1848.

Soixante-dix ans plus tard, dans l’Europe apaisée de l’après 1989, on pouvait espérer que les accusations des uns et des autres soient jaugées avec plus de sérénité. C’était sans compter les réactions acerbes de l’opposition nationaliste roumaine. Vadim Tudor, jamais avare de comparaisons de mauvais goût, déclara à qui voulait l’entendre que ce geste revenait à “ demander aux juifs d’ériger une statue d’Hitler au camp de concentration d’Auschwitz ”. Le gouvernement, assez partagé, fut contraint de reculer.

En cédant face aux ultra-nationalistes, il s’est tiré une balledans le pied. Ainsi, Vadim Tudor, passé maître dans l’instrumentalisation des symboles nationaux, construit son image de résistant, fidèle au peuple roumain.

Pour l’instant, de tels hommes trouvent aisément leur place sur la scène politique roumaine. Cette situation durera aussi longtemps que la Roumanie refusera son examen de conscience.

Par Elena PAVEL

 

1 Cf. l’article de Mirel Bran, “L’autre mémoire roumaine”, paru dans Le Monde du 7 mars 2002.
2 Cf. Le Rapport sur la crise des Balkans N° 86 du 2 octobre 1999, publié par l’Institute for war & peace reporting, article de Marian Chiriac, traduit par Cécile Fisler.