République tchèque: faut-il interdire le Parti communiste?

Le Parti communiste de Bohême et de Moravie est resté un acteur actif de la vie politique de la République tchèque. Échappant à une véritable réforme, il a conservé dans son nom l'adjectif qualificatif 'communiste'.

Parti communiste de Bohême et de MoravieSoutenu aujourd’hui essentiellement par les électeurs âgés, il rappelle le passé communiste du pays et les difficultés à tirer un trait sur celui-ci.

L’existence du Parti communiste de Bohême et de Moravie (Komunistická strana Čech a Moravy) suscite des questions quant à la place d’une telle formation dans un régime démocratique. Et les réponses divergent.

Le gouvernement de droite veut favoriser les opposants au régime communiste

Lors des récents débats qui se sont déroulés au Parlement à propos d'une loi portant sur la Troisième Résistance[1], Miroslav Grebenicek[2], l’ancien leaderdu Parti communiste tchèque a lancé que ces discussions révélaient une « adoration des actes terroristes du passé » et que les représentants de cette Troisième Résistance n'étaient ni plus ni moins que des « aventuriers ayant à peine atteint l’âge de raison ».

La majorité des députés n’est pas restée jusqu’au bout de son discours d’une heure et a quitté la salle en signe de protestation. « C’était un mélange de démagogie et de manipulation », s’est insurgé le député de TOP 09, parti politique de droite créé en 2009. Ce dernier s’est par la suite emparé du sujet et envisage maintenant de faire voter, avant la fin de l’année, une loi interdisant purement et simplement le Parti communiste.

Conformément à cette proposition de loi, les anti-communistes se verraient attribuer le statut de vétérans, même sans avoir jamais pris les armes. Grâce à ce statut, ils bénéficieraient d’avantages, par exemple dans le domaine de la santé. Pour couvrir ces dépenses, certains représentants de l’État comptent rogner sur les pensions des anciens fonctionnaires du Parti. « On souhaite payer notre dette envers les combattants pour la liberté », précise le député du Parti démocratique civique Jan Vidim.

Un parti communiste qui n’a jamais été réformé

Il est assez difficile de considérer que le Parti communiste de Bohême et de Moravie se soit jamais transformé en un parti démocratique de gauche. Il a gardé le même nom qu’avant 1989, considérant qu’il s’agissait d’une « valeur sûre ». Ce Parti est ainsi aujourd’hui l’un des rares dans les pays post-communistes à ne pas remettre en cause et même à réhabiliter l’idéologie du régime totalitaire. Ainsi, les médias diffusent tous les ans les images de quelques retraités qui viennent chanter l’Internationale, l’hymne des travailleurs, et se recueillir le 25 février devant la tombe de Klement Gottwald, premier Président communiste après le coup d’État de 1948[3]. Le 25 février 2011, Marta Semelova, députée du Parti communiste, a rappelé que le « Février Victorieux » a inauguré une période de progrès économique et social sans précédent. Les historiens affirment au contraire que le régime communiste a entravé le développement économique d’un pays qui faisait partie des dix plus grands exportateurs mondiaux durant l’entre-deux-guerres.

Depuis 1991, le Parti communiste a toujours fini troisième lors des élections législatives, sauf en 2010 lorsque le nouveau parti de droite TOP 09 l’a relégué à la quatrième place. On peut expliquer cette évolution par le vieillissement de l’électorat du Parti communiste : la moyenne d’âge des membres du Parti a désormais atteint 70 ans. De plus, des sondages réalisés en février 2011 ont montré que plus de la moitié des Tchèques souhaite une interdiction du PC. Mais un tel acte a-t-il encore un sens aujourd’hui ?

Interdire le Parti communiste, une solution efficace ?

Il est incontestable qu’interdire le Parti communiste de Bohême et de Moravie permettrait de rendre hommage à ceux qui ont été persécutés par le régime communiste tchécoslovaque. Toutefois, selon le ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, il est déjà trop tard. Une telle mesure aurait dû être appliquée dès les années 1990 mais, à l’époque, le ministère de l’Intérieur a approuvé le programme ainsi que le nom du Parti. Aujourd’hui, il s’agit d’un parti politique bien établi et perçu comme inoffensif.

Des doutes persistent également quant à l’efficacité d’une telle mesure, sans compter que la Constitution tchèque ne permet pas de dissoudre un parti mais uniquement de suspendre son activité. Le ministère de l’Intérieur a ainsi mis en place une équipe qui doit étudier la constitutionnalité du parti, mais il est certain qu’une interdiction ou une suspension du Parti communiste sera difficile. Il y a certes eu un précédent : l’interdiction, en février 2010, du Parti des ouvriers, connu pour ses positions nationalistes et xénophobes. Mais, d’après Karel Backovsky, du ministère de l’Intérieur, il s’agissait d’un « parti obscur dont les liens avec des groupes criminels avaient été prouvés ».

De nombreux analystes, et parmi eux la journaliste Petruska Sustrova, préviennent par ailleurs qu’il s’agit d’une solution peu efficace : « Dans la vie politique, l’interdiction du Parti communiste donnerait naissance à un parti porteur de la même idéologie mais doté d'un nom différent. » Elle craint également que le Parti social-démocrate, qui a reçu 22 % des suffrages lors des élections législatives de 2010 ne gagne les électeurs du Parti communiste, c’est-à-dire 11 % des voix. Pour limiter l’influence du Parti communiste, la solution la plus simple consisterait donc à lui donner moins de pouvoir par le biais des urnes.

 

Par Zuzana LOUBET DEL BAYLE

 

Notes :
[1] Cette expression désigne l'action des opposants au régime communiste après le coup d’Etat de 1948. Il faut rappeler que la Première Résistance correspond à l'action des Tchèques et des Slovaques qui se sont battus pour la création d’un Etat indépendant pendant la Première Guerre mondiale. La Deuxième Résistance désigne celle des Tchèques qui se sont opposés au régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. La société tchèque est cependant divisée quant à l’héroïsme de certains membres de la Troisième Résistance : c’est le cas des frères Masin, qui ont tué six personnes lors de leur fuite à Berlin-Ouest, en 1953.
[2] Récemment, M. Grebenicek a reconnu que, dans les années 1950, son père faisait partie de la police politique et qu’il obtenait des aveux des prisonniers par la torture. Son père n'a été traduit en justice qu'en 1997 et il est décédé avant que le verdict ne soir rendu.
[3] Pendant ce coup d’État, les ministres démocrates du gouvernement tchécoslovaque ont présenté leur démission pour faire pression sur les communistes. Toutefois, en raison d’une mauvaise organisation des partis démocratiques, les communistes l’ont emporté. Klement Gottwald est mort en 1953, peu après le décès de Staline. Son corps a été embaumé et exposé dans un mausolée jusqu’en 1962, date à laquelle il a été enterré dans un cimetière praguois.

244x78