Apparu en 2016 sur la façade de l’appartement où il vécut à Saint-Pétersbourg, un immense portrait de Daniil Harms vient d’être recouvert à la va-vite de peinture grise, pour laisser place à la projection de photos, solution contre laquelle certains Pétersbourgeois s’étaient pourtant insurgés en lançant une pétition. L’un des deux auteurs du graffiti, Pacha Kas, qui avait réalisé ce portrait en toute illégalité mais avec l’accord des résidents, a fait savoir que la décision avait été imposée par Daniil Petrov, petit-fils d’un ami du grand poète et qui vit actuellement dans son appartement.
Sur l’angle de la maison située entre la rue Maïakovski et la ruelle Kovenski, le graffiti était depuis son origine l’objet de différends entre les autorités municipales, les résidents du bâtiment et les militants pétersbourgeois. Pour certains, comme des journalistes de Delovoï Peterbourg, l’œuvre était effrayante et ce n’est pas parce que D. Harms est désormais « à la mode » (sic) que cela autoriserait à faire n’importe quoi. Pour d’autres, comme l’artiste Vladimir Abikh, l’œuvre s’était intégrée avec succès à l’architecture de l’immeuble, devenant un point de repère local : sur sa page Facebook, il dénonce ce qui pour lui s’apparente surtout à une tentative de faire disparaître toute tentative d’indépendance des résidents. Et de se référer à la devise de Harms : « Ne mélangez pas la propreté avec le vide » ; alors que l’État cherche à s’approprier le monopole de la mémoire, l’art de rue vient remplir des vides, visuels et mémoriels.
Daniil Harms a vécu dans un appartement communautaire de cet immeuble de 1925 jusqu’à son arrestation en 1941, accusé d’avoir propagé des sentiments défaitistes dans le contexte de la guerre. Incarcéré dans la célèbre prison Kresty de la ville, il y est mort d’épuisement en 1942, durant le siège de Leningrad.
En 1960, son ami Vsevolod Petrov s’est installé dans son logement, désormais propriété du petit-fils. L’histoire est confuse alors que ce dernier, D. Petrov, affirme que Lev Goumiliov (le fils d’Anna Akhmatova) aurait accusé son aïeul d’avoir dénoncé son ami pour le faire arrêter. S’il ne nie pas que son grand-père a tout fait pour récupérer le logement, il reprend les accusations portées par le pouvoir contre Harms et tend à souligner qu’il ne fut pas un poète de premier ordre.
Réhabilité, D. Harms n’en reste pas moins un poète sulfureux en Russie. En 2022, une enseignante de Saint-Pétersbourg qui l’avait étudié avec ses élèves a dû démissionner après avoir été accusée de mettre à l’honneur un « ennemi du peuple ».
Sources : Meduza.io, Fontanka, Paperpaper.ru, Delovoï Peterbourg.