Simféropol et Sébastopol: villes de Crimée concurrentes ou complémentaires?

Péninsule du sud de l'Ukraine bordée par la mer Noire, la Crimée compte presque 3 millions d'habitants. Simféropol et Sébastopol, les deux villes principales, semblent s'affirmer comme des concurrentes, malgré une histoire, une population, une importance et un statut différents. D'importance démographique similaire, elles se font ombrage sur bien des aspects. Simféropol, la capitale administrative officielle, n'offre aucun intérêt touristique ou culturel, alors que le riche passé historique et les belles plages de Sébastopol constituent un pôle d'attraction très fort.


La Crimée occupe une position géographique stratégique. En effet, ses côtes font face à tous les autres pays bordant la mer Noire. C'est aussi une région très renommée pour ses plages et son littoral, qui en font aujourd'hui une des régions les plus touristiques de l'ex-URSS.

Les aléas historiques de la Crimée

Stratégique autant que séduisante, la Crimée a toujours été une région fort convoitée. Les invasions tataro-mongoles dans la région la placèrent sous le contrôle des Tatars au XIIIe siècle. En 1475, elle se retrouve sous la domination de l'Empire ottoman, qui met en place le khanat tatar de Crimée (région autonome), avant d'être annexée par Catherine II en 1783. La Crimée est alors rattachée au territoire de la Russie, et des colons russes commencent à s'y installer, provoquant le départ de nombreux Tatars. Par le traité de Brest-Litovsk en 1918, elle passe dans le giron de l'Ukraine.

Un rattachement de courte durée car, dès 1921 elle devint République Autonome Socialiste Soviétique de Crimée au sein de l'URSS. Le pouvoir politique resta entre les mains des Tatars, même si ces derniers n'étaient plus majoritaires en nombre dans la région. Le régime stalinien s'employa à mener contre eux une terrible répression: les intellectuels tatars furent décimés par les grandes purges de Staline des années 1920-1930. En mai 1944, toute la population tatare fut déportée en Asie centrale et en Sibérie sur ordre de Beria et Staline qui les accusaient officiellement de collaboration collective. Principalement peuplée de Russes, la Crimée fut néanmoins offerte à l'Ukraine par Khrouchtchev en 1954.

En 1991, avec l'effondrement de l'URSS, le statut toujours incertain de cette presqu'île ne manqua évidemment pas de donner naissance à des conflits plus ou moins ouverts entre les Etats ukrainien et russe; entre les populations ukrainienne et russe, mais également avec les Tatars, ces derniers ayant pu retourner sur leur territoire à partir de la fin des années 1980.

Au début des années 1990, la Crimée faillit être rattachée à la Russie. Il faut rappeler qu'elle est peuplée à plus de 60 % par des Russes, plus précisément par des Ukrainiens d'origine russe (mais il est clair qu'en Crimée, tout le monde parle russe). Elle fut cependant reconnue comme République Autonome (République Autonome de Crimée/RAC) par la Constitution ukrainienne de 1996.

L'histoire de Sébastopol et de Simféropol, fondées en 1784 après l'annexion par Catherine II, est alors étroitement liée à celle de la Crimée.

Tous les chemins mènent à Simféropol

Simféropol est officiellement la capitale administrative de la Crimée, avec une population de 358 000 habitants, mais Sébastopol est -de peu- la capitale démographique de la région avec ses 375 000 habitants. Toutefois, cette dernière, ville balnéaire par excellence, qui double, voire triple sa population en période estivale, se vide peu à peu de ses habitants permanents qui migrent vers Simféropol. Comment expliquer un tel phénomène, alors que Sébastopol est réputée plus culturelle et plus vivante que sa concurrente ? Dans aucun guide touristique, Simféropol n'est mentionnée comme une ville à ne pas manquer. Même si la Crimée vit beaucoup du tourisme, sa capitale n'a pas d'Office du tourisme. Faut-il y voir un paradoxe ?

De fait, Simféropol est la capitale administrative de la République Autonome de Crimée. Ainsi, c'est là que se trouvent toutes les instances administratives et représentatives de la région: le parlement (ou Verkhovna Rada), le Conseil des ministres (Reskomnats) et le Medjlis central des Tatars, qui est leur organe propre de représentation. Le passé communiste y est encore très présent, dans les esprits et dans le décor. Les anciens bâtiments soviétiques ont été réinvestis; la Verkhovna Rada siège dans les anciens locaux du Parti Communiste et le Reskomnats se trouve place Lénine, dans ce qui était à l'époque la Maison des soviets. La statue de Lénine trône d'ailleurs toujours sur cette place centrale de la ville.

De même que toutes les routes de l'empire romain convergeaient vers Rome, aujourd'hui en Crimée tous les chemins mènent à Simféropol. Pour se rendre d'une ville à une autre, la capitale administrative est incontournable. Il est ainsi d'autant plus regrettable de ne pas y trouver d'Office du tourisme.

Pendant la saison estivale, la gare ferroviaire et la gare routière, situées au même endroit, s'emplissent de familles, de jeunes, de couples venus de Moscou, de Kiev ou d'ailleurs qui, souriants, croulent sous le poids des valises, des sacs de plage, des parasols, des sceaux et des pelles…Les lunettes de soleil et la casquette, le short et les sandales sont bien sûr de première nécessité. La queue aux guichets est d'une longueur inimaginable, les compagnies privées de taxis et de marchroutka (taxis-bus) se multiplient. L'été, la gare respire les vacances et la crème solaire, mais rares sont ceux qui viennent y séjourner. Pour les vacanciers, Simféropol n'est qu'une ville de transit. La vérité éclate d'ailleurs sur les cartes postales de Simféropol : de la capitale régionale on ne montre que la gare…

Le rythme de vie de la région est radicalement différent en période touristique et en basse saison. De fait, Sébastopol vit surtout l'été. C'est pourquoi les habitants de la région préfèrent de plus en plus s'installer à Simféropol. Les démarches administratives se font plus vite, les universités y sont plus grandes et plus nombreuses. Les Tatars de Crimée se tournent plus volontiers vers Simféropol: ils y trouvent depuis 1994 une université tatare et peuvent avoir accès au Medjlis central. En outre, ils préfèrent éviter Sébastopol, principalement peuplée de Russes qui y sont plus nombreux que dans les autres régions de la péninsule, et avec lesquels les tensions sont encore très fortes.

Sébastopol, ville historique et culturelle

Le nom de Simféropol résonne étrangement à nos oreilles, tandis que celui de Sébastopol nous est familier. Ne serait-ce que parce qu'il rappelle le boulevard qui traverse la rive droite de Paris du Nord au Sud! La ville a un important passé historique et un emplacement stratégique non moins négligeable. Et elle a plus d'une fois fait parler d'elle.

Lors de la guerre de Crimée de 1854 qui opposa la Russie d'une part, à la Turquie, la France, la Grande-Bretagne et le Piémont d'autre part, Sébastopol fut assiégée pendant une année par les armées franco-britanniques. La prise de la ville est le principal épisode de la guerre. Au cours de la révolution bolchevique et de la guerre civile qui s'ensuivit, elle devint le quartier général de l'armée de la Russie blanche, jusqu'en 1920. Enfin, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, alors que les Allemands occupaient la Crimée de 1941 à 1944, elle réussit à résister à 250 jours de siège. Par la suite, elle est redevenue l'une des principales bases navales soviétiques sur la mer Noire. C'est là que stationnait l'intégralité de la Flotte de la mer Noire. Sébastopol se caractérisait par un arsenal et un port maritime de très grande ampleur. Même si aujourd'hui ce fameux arsenal paraît bien rouillé, la Flotte de la mer Noire fut néanmoins l'objet de tensions entre l'Ukraine et la Russie. Elle fut partagée en 1995 à la suite d'un accord signé en 1992, mais le sujet resta brûlant jusqu'en 1999, lorsque l'Ukraine accepta de louer le port à la Russie pour 20 ans contre des arrangements concernant la dette pétrolière.

Un favoritisme institutionnalisé pour Sébastopol

Il va de soi que ce favoritisme n'est pas intentionnellement dirigé contre Simféropol. Cependant, il fait de Sébastopol une ville particulière pour toute l'Ukraine. Jusqu'en 1996, son statut de base militaire russe en faisait une ville fermée. Les étrangers, comme les habitants de Crimée et d'Ukraine, devaient se prémunir d'un visa spécial pour s'y rendre. Un poste frontière militaire marquait l'entrée de la zone sur l'autoroute qui relie Yalta à Simféropol. Aujourd'hui encore, dans son article 133, la Constitution ukrainienne de 1996 accorde à Sébastopol un statut spécial, précisé par des lois ultérieures. C'est, avec Kiev, la seule ville ukrainienne à bénéficier de ce traitement de faveur.

Simféropol n'a, pour sa part, aucune place dans la Constitution ukrainienne. Elle est reconnue capitale de la Crimée dans la Constitution de 1998 de la République Autonome de Crimée (RAC).

Par Lise FENDER
Vignette : Sébastopol (photo libre de droits, pas d'attribution requise)