Sommet de Riga : l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan remise aux calendes grecques

Le 1er décembre 2006, V. Iouchtchenko a été contraint de limoger son ministre des Affaires étrangères, Boris Tarassiouk, sous la pression de la coalition de partis d’opposition qui constitue le gouvernerment. L’un des successeurs envisagés n’est autre qu’Olexander Tchaly, ministre des Affaires étrangères de l’ère Koutchma. Favorable à un rapprochement avec l’UE, il est plus réservé sur la question de l’Otan. Cette valse des ministres des Affaires étrangères brouille encore un peu plus l’image de l’Ukraine auprès de l’Organisation atlantique et complique les pourparlers concernant une éventuelle adhésion de l’Ukraine.


Eglises à RigaLe sommet de Riga, à la fin du mois de novembre 2006, n’a pas été en mesure de décider d’un Plan d’Action pour l’Adhésion (MAP) pour l’Ukraine, en raison d’un manque de volonté politique majoritaire au parlement comme au gouvernement, et de la croissance du sentiment anti-Otan au sein de la population.

L’Otan a surtout déçu. Les démonstrations anti-Otan en Crimée en mai et en juin 2006, la raideur du pouvoir de Kiev, l’ampleur de la corruption parmi les dirigeants politiques et le retour du leader anti-Otan V.Ianoukovitch ont jeté une ombre sur les perspectives d’adhésion de l’Ukraine dans un proche avenir.

Cependant, l’Ouest va devoir mettre les choses au clair avec cet encombrant partenaire qu’est V.Ianoukovitch. Après sa première visite à Bruxelles, ce dernier a confirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait pas l’intention de conclure avec l’Otan un arrangement contre la Russie. Après cent jours à son poste, V.Ianoukovitch a affirmé que son gouvernement avait remplacé l’«euromantisme» par l’«euro-pragmatisme». 60% de la population demeurent encore opposés à l’idée que le pays rejoigne l’Alliance atlantique.

En déclarant qu’il souhaitait voir l’Ukraine devenir membre de l’Otan à l’issue de son mandat, le Président américain George W. Bush avait, quant à lui, laissé une marge étroite au rapprochement entre une organisation atlantique en pleine phase de transition et une Ukraine qui ne parvient pas à répondre aux exigences de la réforme. Mais l’annulation de la visite du Président américain en Ukraine, en juin 2006, a été perçue comme le désaveu de ce programme hâtif.

Pendant que les partenaires européens de l’Otan, l’Allemagne la France, la Grande-Bretagne et – loin d’être une coïncidence – la Turquie, se montraient sceptiques sur cette perspective rapprochée pour l’Ukraine de rejoindre l’Otan, le Département d’Etat dirigé par David Kramer, attaché principal du Secrétariat d’Etat pour les affaires européennes et eurasiatiques, déplorait les luttes pour le pouvoir à Kiev.

Par conséquent, aucun MAP pour l’Ukraine n’a pu voir le jour lors du sommet de Riga. Pour le pays, la perspective d’adhérer à l’Alliance ne sera pas discutée avant le sommet de 2007, ainsi que le laissait entendre le porte-parole du Département d’Etat Sean McCormack, le 3 août 2006. Les ambitieux programmes gouvernementaux de l’administration Iouchtchenko visant à accroître le soutien populaire aux projets d’intégrations européenne et euro-atlantique avaient surtout été conçus pour améliorer les résultats dans les sondages d’opinion.

Enjeux de la réforme du complexe militaro-industriel ukrainien

Par ailleurs, l’Ukraine occupe la sixième place sur la liste mondiale des marchands d’armes. 700 millions de dollars sont échangés chaque année sur le marché de l’industrie militaire. Une admission de l’Ukraine au sein de l’Otan demanderait un investissement intérieur et extérieur substantiel pour la transformation et la modernisation de ses installations du complexe militaro-industriel (CMI). En outre, le CMI ukrainien perdrait le marché russe.

En effet, après la Révolution orange en Ukraine, la Russie a commencé à construire un cercle fermé de production d’armes sur son propre territoire, devenant ainsi indépendante de son voisin du sud. L’une des premières actions en ce sens se manifeste par le transfert de la production des moteurs d’hélicoptère.

Bien que les hélicoptères russes récemment vendus au Venezuela soient encore équipés avec des moteurs ukrainiens, la situation changera dans un avenir proche. Qui plus est, l’arrêt de la production conjointe des avions de type An-70 a été annoncé.

Manifestations anti-Otan en Crimée, soutenues par la Russie

Le déclin des relations politiques russo-ukrainiennes peut également être observé en Crimée. La position géographique de la péninsule sur la mer Noire, la présence de la Flotte russe dans ces eaux, la question non résolue de la démarcation territoriale entre la Russie et l’Ukraine dans le golfe de Kerch sur la mer d’Azov, qui pour la première fois a atteint un point critique pendant la crise de Touzla en 2003, et enfin, les manœuvres de «Sea-Breeze», un programme d’exercices en mer conjointement mené par l’Otan et par l’Ukraine en tant qu’Etat membre du Partenariat pour la Paix (PpP), devenues coutumières ces dernières années, tout ceci a fait le lit d’un conflit potentiel qui n’a pas éclaté par hasard au printemps 2006.

En mai 2006, des manifestants ont bloqué le déchargement d’un navire de transport américain battant pavillon atlantique et construit un camp en signe de protestation contre la présence de l’Otan sur le territoire ukrainien. Environ 2.500 personnes ont pris part à une «marche victorieuse» à Féodossia.

Lorsque le Parlement de Crimée, le 5 juin 2006, a déclaré la Crimée «zone libre de l’Otan», finalement rejointe par les villes de Mykolaiev et de Kharkiv, le fossé idéologique avec le leadership orange s’est révélé au grand jour. Côté ukrainien, ces revendications étaient relayées par le parti des Régions, les socialistes progressistes de Natalia Vitrenko et les communistes.

Les protagonistes officiels qui, entre temps, étaient arrivés au pouvoir, avaient directement ou indirectement soutenu en juin 2006 des para-ONG, associations violentes «non-gouvernementale» mais soutenues par certains élus, telles que «Proryv» et les activistes eurasiens. De Russie, les ralentisseurs de la démocratisation obtinrent le soutien des communistes de Guennady Ziouganov, des Nationaux-Libéraux de Jirinovski et du logisticien de la CEI Gleb Pavlovski, en étroites relations avec le Kremlin. Des activistes de l’eurasianisme ukraino-russo-moldave, des groupes nationaux patriotiques de Transnistrie et des associations plaidant la réunification de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie se trouvaient parmi les meneurs de la manifestation de mai 2006 à Féodossia.

La Crimée est un microcosme où se croisent les lignes de conflit régionales et trans-régionales. Les actions coordonnées des groupes nationaux-bolchevistes, qui font preuve de leur détermination croissante à utiliser la violence et qui s’élèvent contre la «politique du blocus» en Transnistrie comme contre une intégration plus avancée de l’Ukraine à l’Ouest, se greffent sur la situation actuelle.

Un nouvel agenda

L’Otan continuera et intensifiera sa coopération avec l’Ukraine dans le cadre de la Charte Ukraine-Otan, la Commission Ukraine-Otan, le Groupe de travail conjoint sur la réforme de la défense, le Partenariat pour la Paix et les projets du Fonds de confiance. Des efforts devraient être faits, destinés à harmoniser le système et les équipements militaires, et à soutenir dans le même temps le gouvernement ukrainien dans l’application de ses programmes nationaux à visée atlantique. La future coopération requiert un nouvel agenda, apte à générer un MAP pour 2006 ou 2007 et à formuler des attentes concrètes.

 

* Rainer LINDNER est directeur de recherches associé à l’Institut allemand pour les questions internationales et de sécurité, Berlin.

 

Traduit de l’anglais par Marie-Anne Sorba, membre de la rédaction de Regard sur l’Est