Zone de passage entre l’Europe et l’Asie, les régions pontiques sont à la croisée des routes commerciales continentales. Géographiquement, le delta du Danube, la mer d’Azov et la présence de fleuves comme le Dniestr, le Dniepr et le Don sont autant d’atouts pour le développement du commerce. Encore fallait-il que les Byzantins laissent les étrangers accéder librement à la mer. Les Italiens en obtiennent l’autorisation dans la seconde moitié du XIIIème siècle, avec la conquête définitive des régions pontiques par les Mongols. Et, contre un tribut, ils installent leurs négoces : soie et épices par les routes mongoles, fourrures, cuir, cire, blé, poisson, sel, caviar et alun en provenance de Crimée. En échange, l’Occident y exporte des toiles (de Champagne et de Lombardie) et des draps (de Lombardie et de Flandre).
Pour un meilleur contrôle, les marchands génois ouvrent de nombreux comptoirs sur les bords de la mer Noire. Ces comptoirs sont tantôt de simples quartiers dans une ville, tantôt de véritables colonies.
La colonisation médiévale se traduit par l’installation d’un « groupe dominant au sein d’une population indigène dominée ». Les Italiens ont ainsi pris le contrôle de la mer Noire. Politiquement, la métropole, Gênes par exemple, « s’efforce d’instaurer un gouvernement qui favorise ses intérêts en soumettant les populations locales à des règles d’administration dictées de l’extérieur ». Economiquement, « les ressources des colonies sont orientées pour subvenir aux besoins de la métropole ». Culturellement, enfin, « les élites locales sont incitées à adopter les modes de vie, la religion des maîtres »[1].
Caffa, « fille de Gênes »
Avec l’accord de l’empereur byzantin Michel VIII Paléologue, les Génois s’installent durablement dans la baie de Théodosia après 1281. Caffa, petite bourgade peuplée de Grecs, d’Arméniens et de Turco-tatares devient alors l’une des principales villes de la mer Noire, et la capitale des comptoirs génois. Après 1312, date du retour des Génois dans la région (ils avaient fuit les raids tatars), la ville est reconstruite à l’image de la métropole. Les bourgs alentours sont lotis à des Grecs, des Arméniens et des Russes.
La chrétienté marque aussi son territoire : à Caffa, on dénombre déjà, au moins, vingt églises latines, dix grecques et trois arméniennes. Quant au port, le transit dans la région est tel, qu’il peut contenir jusqu’à 200 vaisseaux. Caffa est une cité génoise aux extrémités de l’Europe, forte d’environ 70 000 habitants à la fin du XVème siècle. Au XIIIème siècle, les Génois, très présents dans la région, représentent environ 79 % de la population de Caffa. Parmi les Orientaux, la plupart sont Grecs. Viennent ensuite les Arméniens, quelques Turco-tatares, des Syriens, des Juifs, des Géorgiens, des Russes, des Abkhazes, des Coumans, etc. Le pourcentage d’Occidentaux diminue par la suite, pour atteindre son minimum au XVème siècle : les Turcs menacent la région après la prise de Constantinople de 1453.
Contrôler la mer Noire
Les marchands, dispersés sur les côtes, diversifient leurs activités. L’Orient byzantin perdant peu à peu son rôle d’étape sur la route de la soie et des épices, les Génois reprennent les routes d’Alexandrie, de Damas et de Beyrouth. Afin d’assurer le ravitaillement, les Génois surveillent la production des denrées agricoles sur les marchés locaux des bords de la mer Noire, pour les transiter vers un emporium génois où des navires viendront les chercher. L’emprise des Génois est telle que quiconque veut commercer dans cette zone doit s’acquitter d’une taxe : le commerchium.
Les colonies nourrissent les petits comptoirs et inversement. Pour exemple : en 1381, le consul de Caffa nourrit la garnison génoise, envoyant à Simisso du vin et des grains que paie le trésorier du comptoir. Six ans plus tard, au contraire, Simisso fournit à Caffa des garnisons de grain, d’orge, de millet, de fèves et de pois chiches, achetées par le consul de Simisso à la demande de son collègue de Caffa.
Mais les Génois gardent aussi le contrôle des routes terrestres: en temps de guerre, elles sont une alternative aux détroits, fermés par les Turcs.
Durant le XIVème siècle, les Génois montent une chaîne de comptoirs jusqu’à Tana, située au fond de la mer d’Azov, et point d’aboutissement de la route mongole de la soie et des épices. Toute la côte de Crimée est alors génoise.
Le comptoir de Caffa, à l’instar de nombreux autres comptoirs pontiques, doit sa fermeture aux invasions ottomanes. Le 6 juin 1475, les Grecs et les Arméniens ouvrent les portes de la ville à ces nouveaux conquérants. La mer Noire change alors de maîtres.
Vignette : Comptoirs génois en Méditerranée et en Mer Noire entre 1099 et 1797 (Par ManuRoquette — Travail personnel, CC BY-SA 4.0)
Notes :
[1] Balard M., La Mer Noire et la Romanie génoise (XIIIème-XVème siècles), Variorum reprints, Collected studies series, 294, London, 1989.
Par Elena PAVEL