Un référendum sous influence : le vote pour une nouvelle Constitution vu des enclaves serbes au Kosovo

Les 28 et 29 octobre 2006, les Serbes étaient appelés à se prononcer sur une nouvelle Constitution dont le préambule affirme la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo.


Mais l’avis des 2.000.000 de Kosovars albanais qui peuplent à 90% cette province administrée par les Nations unies n’a pas été sollicité par Belgrade. Serbes et Kosovars albanais ont déjà compris qu’ils ne font plus partie du même pays.

Des Serbes isolés

Au Kosovo, on ne votait donc que dans les enclaves serbes et notamment dans la ville d’Orahovac. Celle-ci compte 25.000 Kosovars albanais pour 500 Serbes. Ils étaient 3.000 en 1999 avant les bombardements de l’OTAN; le Kosovo n’a jamais été aussi mono-ethnique qu’aujourd’hui.

L’enclave serbe d’Orahovac, gardée par les troupes de l’OTAN, est perdue sur les hauteurs de la ville, loin de l’animation des zones albanaises. Le scrutin est venu briser pour un temps la torpeur locale, mais même si les Serbes du Kosovo sont directement concernés, ici, pas d’enthousiasme. Certaines familles continuent de distiller la “raki” dans la cour de leur maison, d’autres sont parties en bus à Brezovica, pour aller faire des courses sous bonne escorte: leur liberté de mouvement n’est toujours pas garantie. Devant les journalistes qui viennent régulièrement prendre la mesure de cet isolement, les Serbes se présentent en victimes: emprisonnés dans leur ghetto, entourés d’Albanais hostiles, ils survivent grâce à Belgrade. Pourtant la réalité est plus complexe.


Orahovac, 28 octobre 2006 : Serbes votant pour le référendum sur la Constitution. © Christophe Quirion 

Certains Serbes, quand ils le doivent, se risquent à descendre discrètement dans la ville albanaise. Ils n’y sont pas encore bien accueillis, au mieux tolérés…aussi ceux qui le peuvent préfèrent éviter les regards désapprobateurs et les éventuelles insultes. Les Serbes se savent vulnérables, et ne veulent pas “provoquer” les Kosovars albanais. Certains d’entre eux viendraient même à craindre les réactions albanaises dans le cas improbable où les négociations sur le statut du Kosovo entre Belgrade et Pristina sous l’égide des Nations unies tournent en faveur des Serbes.

Toutefois, des liens existent: quelques amitiés survivent, même si elles ne s’affichent pas; une poignée de jeunes Albanais, garçons et filles, viennent profiter de l’ambiance du bar de la zone serbe; ceux qui ont quitté la ville pour la Serbie viennent à l’occasion visiter les tombes de leurs parents, leurs maisons brûlées, vendues ou occupées. Leurs anciens voisins albanais viennent alors les saluer, les encouragent à revenir; ils n’étaient pas si mal, disent-ils, avant la guerre.


Un Serbe derrière le drapeau national, Velika Hoca/Orahovac le 28 octobre 2006.© Christophe Quirion 

D’ailleurs, tout le monde sait que ceux qui avaient du sang sur les mains sont partis depuis longtemps. Ne restent que les plus vieux ou ceux que personne n’attend en Serbie. Quand arrivera l’indépendance probable du Kosovo, ils promettent de partir tous, mais pour aller où? La Serbie n’est plus accueillante; elle a déjà plus de réfugiés qu’elle ne peut gérer, et les Kosovars serbes leur sont politiquement plus utiles au Kosovo. Belgrade a depuis longtemps instrumentalisé ces enclaves et forcé leurs populations sous perfusion à choisir entre l’intégration à la vie quotidienne de la province ou la préservation de leur lien avec la Serbie (pension, retraite…).

Un vote qui ne règle rien

Les Serbes du Kosovo restent pourtant fidèles à Belgrade et à sa politique. A Orahovac, le dépouillement s’est fait une première fois samedi soir, à la lumière des bougies: les coupures d’électricité frappent encore quotidiennement le Kosovo, sept ans après la guerre. Sur les 361 inscrits on compte 325 oui, trois non et deux bulletins nuls. Mais ce taux de participation à 91% ne suffit pas: le reste de la Serbie ne s’est pas mobilisée aussi “spontanément”, 17% seulement de participation au niveau national le 28 octobre. Alors il faut refermer l’urne, rouvrir le bureau le second jour du scrutin et aller trouver les derniers inscrits. A force de multiplier ce genre d’irrégularités, le taux de participation de 50% nécessaire pour valider le oui majoritaire a été atteint et la Constitution a donc été approuvée. Les fraudes n’ont echappé à personne, mais qui s’en préoccupe? La communauté internationale a déjà suffisamment de contentieux à régler avec la Serbie pour en rajouter un autre, et l’opinion publique serbe sait bien que ce vote n’était pas un exercice démocratique mais une opération politique visant à prouver la supposée volonté de la classe politique de régler le dossier kosovar à sa façon. Or sur ce Kosovo que la nouvelle Constitution déclare à jamais serbe, la majorité des Serbes ne se fait plus d’illusion: ils ont déjà compris ce que leurs dirigeants n’osent pas encore leur dire…


Le décompte des bulletins à la lumière des bougies suite à une coupure d’électricité, le 28 octobre 2006 au soir.© Christophe Quirion 

Par Christophe QUIRION