Union européenne : un autre point de vue

A l'heure où la Commission européenne s'engage à ouvrir des négociations d'adhésion avec un groupe élargi de pays candidats, il convient d'établir un bilan de leur avancement vers l'intégration. Celui-ci ne peut être compris par le seul examen de l'adoption de l'acquis communautaire. Il nécessite l'exploration d'un autre point de vue, celui des candidats et de la façon dont ils conçoivent leur rapport avec l'Union européenne (UE).


Champ entre les villes de Veliko Tarnovo et de Roussé. between Veliko Tarnovo and RousseRegroupés sous une appellation souvent décriée, les "PECO" (pays d'Europe centrale et orientale) ont entrepris depuis plusieurs années d'importantes réformes économiques, politiques et sociales. Ces réformes, indispensables à la réintégréation dans un système occidental où libre marché et démocratie vont de pair, ont été accélérées par la perspective d'accéder au rang de pays communautaire.

Des situations contrastées

Certains, mieux préparés que d'autres, comme les pays du Groupe de Visegrad, la Slovénie et l'Estonie, ont obtenu une place prioritaire dans la course à l'intégration en devenant officieusement des "pays de première vague", ayant un horizon d'accession probable en 2003-2005. La deuxième vague regroupe des pays aux retards économiques majeurs, à la démocratisation insuffisante, appartenant à des régions instables comme les Balkans ou à une certaine sphère d'influence russe. La Roumanie est, dans l'imaginaire collectif, emblématique du pays de seconde vague. Ses retards économiques, ses tristement célèbres orphelinats, son système délabré renvoient aux appréhensions que les PECO suscitent chez les Occidentaux. La Bulgarie, la Slovaquie, la Lettonie et la Lituanie font aussi partie de la deuxième vague. Ces pays n'ont encore entamé aucun processus de négociations avec l'UE et attendent un message clair de sa part lors du sommet d'Helsinki, en octobre.

Le terme fédérateur de "PECO" ne doit donc pas conduire à oublier contrastes et intérêts nationaux propres. Si tous les PECO sont plus ou moins engagés dans l'adoption de l'acquis communautaire, leur singularité se révèle devant certaines difficultés, notamment en matière de réformes. Ainsi, les problème des minorités rom en Roumanie diffèrent de ceux rencontrés en Hongrie ; la circonspection des pays occidentaux vis-à-vis du régime slovaque n'est pas transposable à la Pologne; les vicissitudes nucléaires de la Bulgarie n'ont rien en commun avec une Hongrie préoccupée de maintenir un droit de propriété de la terre réservé à des Hongrois. Les spécificités des candidats occuperont une place majeure lors des négociations d'accès à l'UE et après celles-ci. Leurs problèmes internes entreront inévitablement en interaction avec d'autres à l'échelle de l'UE. Ici réside l'un des enjeux des négociations actuelles et futures.

Celles-ci, si elles portent sur des points techniques, reposent aussi sur une perception subjective de l'autre qui induit un véritable rapport de forces entre la Commission européenne et les candidats. Cela n'empêche pas les réunions périodiques de coordination entre l'UE et les candidats, et un rapport d'avancement réalisé en collaboration avec les PECO est publié tous les ans par la Commission afin de faire le point sur la mise en oeuvre de l'acquis communautaire. Les élites politiques, par leurs choix de politique intérieure et leur "positionnement" au cours des négociations, détermineront des alignements d'intérêt qui influeront sur le fonctionnement d'une Europe de vingt-et-un ou de vingt-sept membres.

L'UE, un enjeu des débats de politique intérieure

Les contrastes entre PECO trouvent un écho dans la façon dont leurs sociétés et leurs classes politiques perçoivent et utilisent le thème de l'UE en politique intérieure. Les pays de première vague abordent en profondeur certains débats européens (Défense européenne, PAC, question des éventuelles dérogations accordées au moment de l'élargissement). En revanche, en Bulgarie ou en Roumanie, on s'intéresse surtout aux dossiers jugés défavorables aux intérêts nationaux (Schengen et les exigences additionnelles de l'UE, le statut de membre de deuxième catégorie) et dont les référents symboliques font douter de la volonté intégratrice de l'UE.

Il apparaît aussi que si les grands dossiers européens ont trouvé leur place dans la vie politique des pays de première vague, ces derniers ne sont pas à l'avant-garde de la préparation technique. Les partis ne sont pas tous bien préparés à aborder les questions européennes et la réappropriation des enjeux européens à des fins électorales n'est pas toujours aisée.

Dans les pays de deuxième vague, on vit "au quotidien" les questions européennes plus qu'on ne s'y intéresse en profondeur. Le poids des réformes à consentir, les retards dans l'application de l'acquis communautaire et l'absence de date d'adhésion font parfois le jeu des partis opposés à l'intégration.

Connaissant des avancements variés vers l'intégration européenne, les PECO en analysent et ressentent les enjeux selon des modalités tout aussi diverses. Des choix que cette situation inspirera, dépendent l'avenir des pays candidats et la configuration future de l'UE.

Par Alvaro Artigas PEREIRA
Vignette : Champ entre les villes de Veliko Tarnovo et de Roussé (© Mark Ahsmann, CC BY-SA 4.0)