Vadim Tudor, héritier spirituel de la Garde de fer ?

Lorsqu’il fonde son parti, La Grande Roumanie, en mai 1991, Vadim Tudor se réclame à la fois de la politique nationale-communiste de Nicolae Ceausescu et d’une rhétorique bien plus ancienne héritée de l’entre-deux-guerres : la roumanité.


Au sortir de la Première guerre mondiale, la Roumanie, assise à la table des vainqueurs, s’est retrouvée dans une situation inédite. Les annexions territoriales sanctionnées par le traité de Versailles - Transylvanie héritée du dépeçage de l’Empire austro-hongrois, Bucovine et Bessarabie retirées à la Russie - lui permettent de doubler sa superficie, mais font apparaître un problème de minorités. Au sein de la grande Roumanie, les allogènes – Hongrois, Ukrainiens, Allemands et Juifs pour la plupart - constituent en effet plus de 30% de la population.

Face à cette augmentation subite du nombre d’étrangers en Roumanie, certains intellectuels cherchent à théoriser la “roumanisation” de ces nouveaux territoires. Si Mircea Eliade ou Emil Cioran se tournent vers l’extrême-droite, d’autres, à l’image d’Eugène Ionesco, condamnent le développement de ce nationalisme prosélyte. Les orientations de cette mouvance extrémiste - qui se structurera bientôt au sein de la Garde de fer - laissent peu de place au respect des différences. Les nationalistes se fixent comme mission de marquer leur attachement à la terre en posant le paysan roumain comme héros national, de prouver la pureté de ses racines roumaines, et enfin, de condamner tout ce qui n’est pas purement roumain.

La manipulation, un art ancien

Dans l’imaginaire politique de l’extrême-droite roumaine, la nation roumaine est en effet exposée à la menace perpétuelle de voisins impérialistes et colonisateurs. Déjà dans les années trente, Mircea Eliade (à l’époque partisan de la Garde de fer) souligne l’absurdité de l’histoire du peuple roumain. Malgré tout ce que le peuple roumain “était prêt à accomplir, malgré tous les sacrifices et toute espèce d’héroïsme, il est condamné par l’histoire puisqu’il se trouve au carrefour des invasions ou dans le voisinage de puissances militaires dynamisées par des fanatismes impérialistes”. Souvent vaincue, la nation roumaine est tout excusé par ses penseurs de l’entre-deux-guerres. Le paysan est érigé en héros de la nation roumaine : lui seul a toujours su résister aux invasions, fort de ses traditions et de son héritage culturel.

La pensée d’Eliade s’intègre cependant dans un mouvement intellectuel et politique aux idées bien plus extrémistes. La Garde de fer a été fondée en 1931 par l’avocat Corneliu Codreanu. Conscient de l’impact des symboles, ce dernier, pour appuyer des propos particulièrement «antisémites, anticapitalistes, xénophobes, populistes et antidémocrates», n’hésite pas à se lancer dans des mises en scènes rocambolesques. Habillé en paysan roumain, il visite les villageois et se pose en nouveau héros de la Roumanie-martyre. Habile dans sa manipulation des symboles, Codreanu a montré qu’il suffisait de frapper les esprits – que ce soit par les actes ou par les mots – pour se faire entendre. En utilisant des thèmes profondément ancrés dans l’imaginaire collectif tels que “la mise en avant d’un âge d’or, la victimisation du peuple, la trahison des élites cosmopolites, le mythe de la conspiration”(1), Vadim Tudor assure la reprise du flambeau.

Par Elena PAVEL

 

1 Pour une analyse plus poussée de la scène politique roumaine, consulter un article de Sorina Soare, publié par les Cahiers du Centre de la Vie Politique, Vol. 2000, n°2 : http://www.ulb.ac.be/soco/cevipol/cahiers/cahiers00-2.pdf