Biélorussie : la dépendance énergétique ou comment ne pas en sortir

La Biélorussie était l’une des républiques les plus industrialisées de l’Union soviétique, «l’atelier d’assemblage», produisant notamment des produits de consommation finale pour tout le pays. Elle était donc particulièrement consommatrice d’énergie. 


En 1990, avec un ratio de consommations de ressources énergétiques primaires de 4,25 tonnes équivalent pétrole par habitant, cette République se situait au-dessus de la France ou du Royaume-Uni. Seulement 8,8% de son énergie venait de son territoire, dont 4,8% de l’extraction pétrolière (région de Gomel) et 3,8% de la tourbe. Le secteur industriel de la Biélorussie était alimenté par l’énergie nucléaire de quatre centrales situées tout autour de la république (à des distances variant entre 12 et 60 km de ses frontières): Ignalina en Lituanie, Smolensk en Russie, Tchernobyl et Rovno (Rivne) en Ukraine. Les projets de l’Académie des sciences pour développer un secteur nucléaire en Biélorussie, engagés au début des années 1980, furent abandonnés après la catastrophe de Tchernobyl de 1986.

Une dépendance énergétique maximale

L’indépendance de la Biélorussie, proclamée en 1991, a laissé entière la question de sa dépendance énergétique envers la Russie d’où elle importe donc la quasi-totalité de ses consommations de gaz naturel et de pétrole brut, et une partie de son électricité. La Biélorussie extrait annuellement 1,7 million de tonnes de pétrole dans le Bassin du Pripiat dont 1,4 million sont exportées sur le marché mondial. L’activité de ses deux raffineries géantes de Mozyr (sud-est du pays) et Novopolotsk (Navapolatsk) (usine Naftan, Nord-Est) lui permettant d’exporter ses produits pétroliers vers l’Europe et de constituer la première source de recettes budgétaires, consomme 22 millions de tonnes de pétrole brut exclusivement livré de Russie. Par ailleurs, en 2008, la Biélorussie a importé 21,06 milliards de m3 de gaz naturel et elle a consommé 36,8 milliards de kWh d’énergie électrique. L’importation d’électricité de Russie s’est élevée à 2,2 milliards de kWh.

Des projets d’approvisionnements alternatifs par des oléoducs et gazoducs sur l’axe mer Noire/mer Baltique, en alliance avec l’Ukraine et les pays baltes, qui avaient été avancés après les indépendances de 1991, ont été torpillés par Moscou et la politique pro-russe de la Biélorussie après 1994. Et si la politique conciliante envers Moscou du président biélorusse Alexandre Loukachenko a permis dans un premier temps de préserver une tarification avantageuse sur les livraisons d’énergies, la politique d’élévation des prix pratiquée depuis plusieurs années par Gazprom et le gouvernement russe aiguisent la dépendance énergétique de la Biélorussie à l’égard de son grand voisin oriental[1]. Cette politique met fin à l’alliance privilégiée entre Moscou et Minsk qui perdurait depuis 1991 sur fond de nostalgie de l’URSS et de romantisme sur la «fraternité des peuples slaves». Elle met surtout un terme au projet de construction d’une Union supranationale entre la Russie et la Biélorussie.

Le feuilleton Beltransgaz

Après 1991, Gazprom a très tôt voulu «faire payer» à Minsk sa dette énergétique ainsi que le maintien d’une tarification préférentielle par rapport aux autres pays de l’ex-URSS, par des prises de participation, à hauteur de 50%, dans les actifs de la compagnie d’Etat de gazoducs Beltransgaz. Minsk a longtemps maintenu le bras-de-fer avec le gazier russe. Après 1994, Alexandre Loukachenko a dû plusieurs fois déclarer céder des parts de Beltransgaz sous la menace d’une hausse des prix ou d’une coupure des livraisons (en février 2004, Gazprom est passé aux actes en interrompant ses fournitures, 48 heures durant) mais le président biélorusse a constamment contesté la valeur de l’entreprise estimée par la partie russe pour faire échouer la vente.

En mars 2006, dix jours seulement après la reconduction d’A.Loukachenko pour son troisième mandat, Gazprom menaçait de porter les prix de livraison du gaz naturel de 46,68 à 200 dollars les 1.000 m3, le président biélorusse n’ayant pas cédé les parts de Beltransgaz, une nouvelle fois promises en décembre 2005. La banque néerlandaise ABN-Amro, choisie conjointement, ayant estimé les actifs de Beltransgaz à 5 milliards de dollars à l’été 2006, Minsk cédait finalement le 31 décembre 2006 devant Gazprom qui augmentait le prix de ses livraisons à 100 dollars les 1.000 m3 et se portait acquéreur de la moitié des parts de la compagnie Beltransgaz, par tranches annuelles de 12,5% des actions. En mai-juin 2007, conformément à l’accord bilatéral, Beltransgaz a été transformée en société à capital mixte biélorussiano-russe, Gazprom versant 625 millions de dollars pour acquérir la première tranche d’actions. L’accord de décembre 2006 maintenant un prix inférieur au prix européen s’est finalement révélé avantageux pour la Biélorussie. Pour cette année 2009, conformément à l’accord qui prévoit un prix à 80% du niveau européen, le prix a certes été de 210 dollars pour 1.000 m3 au premier trimestre mais celui-ci est redescendu respectivement à 158 et 115 dollars aux deuxième et troisième trimestres, compte tenu de la chute des cours mondiaux.<br<
Pour être moins dépendante des aléas de facturation de Gazprom et d’éventuelles coupures d’approvisionnement en cas de contentieux prolongé entre Moscou et Minsk -à l’image des relations entre Moscou et Kiev-, les autorités biélorusses ont entrepris d’étendre leurs capacités de stockage souterrain. En 2008, les réserves de gaz étaient de 450 millions de m3; il est prévu d’augmenter les capacités de réserve à 1 milliard de m3 en 2010 et jusqu’à 1,96 milliard d’ici 2020.

La crise du pétrole de 2007

La position de la Biélorussie peut paraître marginale en ce qui concerne le transit du gaz naturel russe vers l’Europe par rapport à l’Ukraine – leurs parts étant respectivement de 20 et 80%. Par ailleurs, depuis 2000, plus de la moitié du transit de gaz russe vers l’Europe à travers la Biélorussie passe désormais par le gazoduc Iamal-Europe sur des parcelles concédées à Gazprom dans les années 1990. Les droits de transit y sont moindres que par le réseau Beltransgaz. En revanche, sur le pétrole, la Biélorussie occupe une position plus centrale sur le continent, compte tenu du fait que, par l’oléoduc Droujba, transitent 50% du pétrole brut russe à destination de l’Europe. Officiellement, le volume annuel de transit du pétrole brut russe à travers la Biélorussie est de l’ordre de 78 millions de tonnes, dont 50 millions alimentant la Pologne et l’Allemagne.

En relevant, à partir du 1er janvier 2007, le prix de ses livraisons de gaz et de pétrole à la Biélorussie, Moscou a décidé d’en finir avec le financement tacite de l’économie biélorusse, dont celle-ci bénéficiait depuis l’indépendance. Il s’agissait aussi de mettre fin à la distorsion de concurrence dont bénéficiaient les deux raffineries biélorusses qui revendaient sur le marché européen des produits pétroliers moins chers que ceux raffinés en Russie. En rétorsion, la Biélorussie a cherché, en vain, à introduire une taxe sur le transit du pétrole russe (50% des flux d’exportations russes vers l’Europe). Refusant d’acquitter cette taxe, le monopole russe Transneft –gestionnaire de l’oléoduc Droujba, ferma du 8 au 10 janvier les robinets vers l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque. Minsk a finalement cédé et a signé, le 12 janvier, un protocole alignant progressivement les tarifs biélorusses sur ceux pratiqués en Russie en matière pétrolière. Le protocole oblige aussi le gouvernement biélorusse à faire une ristourne à Moscou de 70% à 85% sur ses recettes d’exportations de produits pétroliers. L’accord s’achevant fin 2009, une nouvelle crise n’est pas à exclure début 2010, au moment de la renégociation des conditions d’importation et de transit pour les années à venir, alors que la Russie pousse son avantage en construisant l’oléoduc BTS-2 de contournement de la Biélorussie qui reliera le terminal russe de Primorsk sur la Baltique, à partir d’Ounetcha (oblast de Briansk), près de la frontière ukrainienne. En revanche, la volonté des autorités de Minsk de développer les relations avec d’autres pays que la Russie dans le domaine des hydrocarbures (Azerbaïdjan, Iran, Venezuela) n’apporte guère de solution à la dépendance structurelle de la Biélorussie.

Vers une diversification énergétique?

Minsk cherche depuis 2007 à diversifier son bouquet énergétique. En mars 2007, Alexandre Loukachenko a édicté les objectifs: diminution de 30% en cinq ans de la consommation d’énergie dans le PIB afin d’atteindre une réduction de 50% d’ici 2015 et de 60% à horizon 2020 en comparaison avec le niveau de consommation d’énergie de 2005; Directive n°3 du Président «Economies d’énergie – principal facteur de la sécurité économique du pays» (14 juin 2007), décret du Conseil des ministres (30 août 2007) de mise en œuvre de la Directive, Conception de la sécurité énergétique actée par oukase présidentiel du 17 septembre 2007, et Programme d’Etat de modernisation du système énergétique de Biélorussie d’ici 2011 acté par un autre oukase présidentiel, du 15 novembre 2007… Toute la pyramide bureaucratique vit sous les consignes de sobriété énergétique. Les administrations des six régions et de la ville-capitale Minsk, de même que celles de niveau inférieur, sont tenues d’élaborer leurs propres programmes d’économie d’énergie dans le cadre de cette Directive.

En 2008, les programmes d’efficacité énergétique conduits dans certaines branches auraient permis de réduire la consommation de 1,6 million de tonnes équivalent pétrole. La part de consommation d’énergies dans le PIB aurait diminué de 8,4%. Selon les mêmes statistiques, au cours des onze dernières années, avec un PIB multiplié par 2,2, la consommation de ressources énergétiques n’aurait augmenté que de 6,5%, soit une baisse de 52,3% de la part de consommation d’énergie dans le PIB. Les autorités entendent également appuyer le développement de la consommation de charbon (dans les centrales thermiques et les industries de ciment) et demandent, d’ici 2020, une hausse jusqu’à 25% de la part des énergies alternatives domestiques dans le bouquet énergétique (sciure de bois et tourbe). La tourbe fait d’ailleurs l’objet d’une attention particulière. Ainsi, le programme d’Etat «Tourbe», adopté par décret du Conseil des ministres du 23 janvier 2008, prévoit jusqu’en 2020 l’augmentation des volumes extraits et exploités du combustible à base de tourbe dans la balance énergétique de pays, en mobilisant les ministères de l’Energie et de la Production agricole.

Toutefois, c’est la relance du programme de construction d’une centrale nucléaire qui apparaît comme la priorité de la politique énergétique depuis 2007: ce programme consiste en la construction initiale de deux blocs de 1.000 MW chacun, puis éventuellement d’un troisième. Un premier site avait été identifié dans la région de Moguilev en 2008 mais finalement, début 2009, le choix s’est porté sur Ostrovets, près de la frontière avec la Lituanie. Les travaux sont censés commencer en 2010 pour une entrée en fonction entre 2016 et 2018 mais l’aggravation de la crise économique depuis 2008 complique la recherche de financements. Après avoir tenté de nouer des contacts avec des partenaires occidentaux (notamment la France), Minsk se tourne finalement comme à son habitude vers la Russie pour la construction de la centrale… ainsi que pour les futures importations d’uranium! Autant dire que la sortie de la dépendance énergétique n’est donc pas encore d’actualité.

Notes :
[1] Voir Céline Bayou, «Biélorussie 2006: un pays sous pression», Le Courrier des pays de l’Est, n°1059, La Documentation française, janvier-février 2007, p.50-66; Jean-Charles Lallemand, «Minsk: les liaisons dangereuses», Politique internationale, n°117, automne 2007, p.95-112; Jean-Charles Lallemand, «Biélorussie 2007: guerre et paix commerciales avec la Russie», Le Courrier des pays de l'Est, n°1065, La Documentation française, janvier-février 2008, p.47-61; Jean-Charles Lallemand, «Biélorussie: une politique étrangère tiraillée entre des intérêts contradictoires», Grande Europe, n°6, La Documentation française, mars 2009, 9 p., http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues/grande-europe/focus/06/bielorussie.-politique-etrangere-tiraillee-entre-interets-contradictoires.shtml

* Jean-Charles LALLEMAND est docteur en Science politique, spécialiste de la Russie et la Biélorussie. Co-auteur, avec Virginie Symaniec de Biélorussie. Mécanique d’une dictature, Editions «Les Petits Matins», Paris, 2007, 264 p.