Indépendance énergétique tchèque et développement durable

Le secteur de l’énergie en République tchèque a connu des changements spectaculaires depuis 1989. Jusqu’à cette date, le régime communiste ne se souciait guère d’environnement ni de coût de l’énergie –les cheminées crachant la fumée des centrales thermiques produisant de l’énergie bon marché caractérisaient alors le paysage des régions périphériques riches en charbon. 


Aujourd’hui, la République tchèque est soumise aux normes environnementales européennes; l’épuisement et le renchérissement du charbon imposent une diversification des sources d’énergie et remettent en question le modèle communiste de consommation à outrance des matières premières. De plus, comme pour d’autres pays européens, l’autosuffisance en énergie devient une question stratégique. Plusieurs options s’ouvrent pour achever avec succès cette «mutation énergétique».

C’est dans ce contexte que l’Etat tchèque a fixé en 2004 dans sa Conception énergétique de l’Etat trois objectifs à atteindre avant 2030: l’indépendance, le développement durable et la sécurité. Ces trois cibles font actuellement l’objet d’une révision dans le but de proposer une vision prospective jusqu’en 2050.

Réduire la dépendance aux ressources énergétiques étrangères

Le gouvernement souhaite réduire la dépendance en gaz et en pétrole, en particulier vis-à-vis des «régions à risque», comprendre de la Russie. En effet, cette dernière est, avec la Norvège, le partenaire commercial principal du pays en matière énergétique. Or selon Ivan Benes, spécialiste de la sécurité énergétique, 10 à 30% de l’énergie consommée représente le minimum vital, le reste permettant le développement économique. De plus, la République tchèque fait partie des pays de l’Union européenne les moins dépendants aux importations énergétiques car elle produit environ 70% de l’énergie qu’elle consomme[1]. Si l’approvisionnement en ressources extérieures n’est donc pas vital à la République tchèque –contrairement à d’autres pays–, il constitue toutefois une question politique et un enjeu économique.

En effet, «la crise du gaz nous a rappelé qu’il est impératif de réduire notre dépendance face à l’étranger», a estimé en janvier 2009 le ministre de l’Ecologie, Martin Bursik, du Parti des Verts. Ivan Benes, de son côté, souligne que la République tchèque doit résoudre à l’avenir cette question énergétique dans le cadre de l’UE.

Dans cette quête de l’autosuffisance énergétique, la question des quotas d’extraction du charbon est aujourd’hui rouverte. Du point de vue économique, le charbon est une ressource intéressante: «Après les centrales hydrauliques et nucléaires, c’est la troisième source d’énergie la moins chère», souligne l’analyste Petr Bartek. Cependant, la Conception énergétique de l’Etat reconnaît que les ressources tchèques en charbon risquent d’être épuisées vers 2030. La suppression des limitations d’extraction n’offrirait donc pas une solution à long terme. Alors qu’il s’agit d’un domaine très sensible du point de vue social -toute fermeture de mine provoquant une hausse locale du chômage- le charbon devra donc être remplacé à l’avenir par d’autres ressources.

Parmi elles, on peut envisager l’énergie nucléaire qui pose une nouvelle fois la question de la dépendance à la Russie. En effet, le recours aux technologies nucléaires de cette dernière ainsi que l’importation de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires tchèques[2] sont incontournables. La République tchèque dispose d’importantes réserves mais couvre seulement la moitié de ses besoins, l’autre moitié étant importée de Russie. Etant donnée la hausse du cours de l’uranium sur le marché mondial et les projets de construction de nouveaux réacteurs dans la centrale nucléaire de Temelin[3], également dans le but d’augmenter l’autosuffisance en énergie, le gouvernement a décidé de poursuivre l’exploitation des mines d’uranium existantes. Il envisage même de rouvrir des mines aujourd’hui fermées. D’après les experts, la réouverture de l’ancienne mine à Straze pod Ralskem, en Bohême du Nord, permettrait de couvrir la consommation en uranium des deux centrales nucléaires existantes, ainsi que celle des nouveaux réacteurs en projet.

La réouverture d’anciennes mines pose cependant de nouveaux défis: à Straze pod Ralskem, l’uranium a été exploité sous le régime communiste à l’aide d’acide sulfurique, entraînant de graves dommages à l’environnement. L’autre objectif de la Conception énergétique de l’Etatinsiste ainsi justement sur la mise en place de méthodes plus respectueuses de l’environnement.

Une énergie propre, en accord avec les principes du développement durable

Pour préserver l’environnement, les Tchèques doivent tout d’abord réduire leur consommation d’énergie, à la fois dans l’industrie et chez les particuliers[4]. L’énergie et les transports font en effet partie des secteurs les plus pollueurs. D’après Martin Halama, spécialiste du développement durable, la République tchèque peut économiser trois quarts de l’énergie qu’elle consomme actuellement en adoptant un comportement plus responsable. «C’est comme ne pas trop manger: en comparaison avec les pays de l’UE, nous sommes des obèses», ajoute Ivan Benes. Les politiques se font l’écho de ces mises en garde: «Nous continuons à gaspiller d’énormes quantités d’énergie. Quand on arrive en hiver dans n’importe quelle administration, on transpire d’abord de chaleur et ensuite tout le monde se met à ouvrir les fenêtres. Economiser l’énergie représente pour nous une marge de manœuvre sur plusieurs années», souligne Karel Schwarzenberg, ancien ministre des Affaires étrangères et chef du nouveau parti politique TOP 09 qui se présentera aux élections de l’automne 2009. Pour lui, toute construction de nouvelles centrales électriques doit donc être précédée de mesures visant à rendre le pays moins «énergivore»[5].

Les sources d’énergie renouvelables offrent également une solution. Elles sont aujourd’hui au cœur de la politique du groupe CEZ, géant de la production et de la distribution de l’électricité, qui compte à l’avenir investir dans le développement de l’énergie éolienne et solaire. L’énergie éolienne s’est développée en République tchèque dans les années 1970, en réaction au choc pétrolier, mais sa part dans la production énergétique du pays n’atteint aujourd’hui que 0,4%, soit le tiers de la moyenne européenne. Contrairement à l’éolienne, l’énergie solaire en est à ses débuts, car la première centrale sur le sol tchèque ne date que de 1998. Malgré ce retard, la République tchèque connaît en ce moment un boom de la construction des centrales solaires. Leur développement est encouragé par l’Etat qui subventionne leur installation et garantit, comme EDF en France, le prix à l’achat de l’énergie solaire pour les vingt ans à venir, ce qui constitue une garantie de profit pour les investisseurs. Comme ailleurs, les sources d’énergie renouvelable ne peuvent cependant pas offrir une solution globale: du fait de leur coût élevé et de leur faible productivité, ces alternatives respectueuses de l’environnement sont considérées comme une source d’appoint.

L’investissement dans les nouvelles technologies, moins consommatrices en énergie, représente une autre possibilité. «Dans le cas contraire, nous continuerons d’être la chaîne d’assemblage de l’industrie allemande avant qu’elle ne déménage plus à l’Est. C’est une illusion de croire que l’on peut avoir une industrie de haute technologie sans y investir nous-mêmes», considère Karel Schwarzenberg. Il faut également encourager les foyers à choisir des biens de consommation plus écologiques: les produits électroménagers fabriqués aujourd’hui consomment environ 60% moins d’eau et d’énergie que ceux d’il y a dix ans. Dans le même esprit, le groupe CEZ entend promouvoir la voiture électrique. «C’est l’une des meilleures démarches pour la protection de l’environnement. Le véhicule n’émet pas de pollution directe et ne provoque pas de nuisances sonores. Pour notre société, cela pourrait aussi être une possibilité de gagner de nouveaux clients et de distribuer plus d’électricité», explique le directeur général du groupe, Martin Roman. La plupart des acteurs et des décideurs sont donc d’accord sur la nécessité de développer les nouvelles technologies. Ceci n’est pas le cas de l’énergie nucléaire dont l’avenir est étroitement lié à l’évolution politique du pays.

La sécurité au cœur du débat sur l’atome

Par impératif de sécurité, l’Etat vise essentiellement l’énergie nucléaire et la protection des citoyens contre les accidents et la prolifération des armes nucléaires. Les adversaires de l’atome en République tchèque affirment que l’énergie nucléaire est inutile et dangereuse: «Celui qui sait enrichir l’uranium saura aussi fabriquer une arme nucléaire. C’est un enjeu de sécurité à l’échelle mondiale», avertit Ivan Benes. Ces alertes vont cependant à l’encontre de la politique du groupe CEZ qui envisage dans les 15 ans à venir la construction de deux nouveaux réacteurs à Temelin. De même, le ministre de l’Industrie et du Commerce Vladimir Tosovsky considère que l’avenir sans le nucléaire n’est pas envisageable: «A long terme, nous devons impérativement développer tous les types d’énergie, y compris le nucléaire[6]».

L’avenir de l’énergie nucléaire se jouera après les élections législatives anticipées prévues initialement pour octobre 2009 mais repoussées, quelques semaines avant le scrutin, à une date ultérieure. La position des principaux partis politiques est cependant claire: pour ODS (Parti civique démocrate) et CSSD (Parti social-démocrate), le développement de l’énergie nucléaire est une priorité. Ainsi, la Conception énergétique de l’Etat fixe pour 2030 la part du nucléaire à 21% de la consommation énergétique totale contre 14% aujourd’hui. Même le Parti des Verts, traditionnellement opposé à l’atome, se montre aujourd’hui plus conciliant, tout en précisant que «la construction de nouvelles centrales thermiques ou nucléaires doit être la dernière solution, une fois qu’on aura épuisé le potentiel des économies d’énergie et des ressources renouvelables». Les débats concernant la nécessité de développer l’énergie nucléaire cristallisent donc plusieurs enjeux du secteur: la dépendance extérieure pour l’uranium, le développement durable pour ses vertus d’énergie propre et la question sécuritaire qui se pose à l’échelle mondiale.

Les mutations du secteur de l’énergie ont demandé une adaptation rapide de la politique énergétique tchèque qui est aujourd’hui engagée sur la voie de la rationalisation. Son défi consiste à légiférer dans ce domaine pour que sa conception énergétique ne soit pas soumise aux aléas politiques et pour qu’elle puisse répondre aux normes européennes, de plus en plus exigeantes. A l’avenir, la République tchèque devra également repenser la structure de son approvisionnement en énergie à l’échelle européenne, ce qui rentre dans une logique de réduction de sa dépendance à des partenaires commerciaux jugés peu fiables.

Notes :
[1] Seuls la Pologne, la Grande-Bretagne et le Danemark -unique exportateur net de l’UE- sont plus autosuffisants en énergie que la République tchèque. Certains petits Etats (Malte, Chypre, le Luxembourg) sont au contraire dépendants des importations à 100%. Il est plus pertinent de comparer les chiffres des importations tchèques avec ceux de ses voisins: la Slovaquie importe 64% de son énergie.
[2] L’exploitation de l’uranium date du XIXe siècle, les quantités extraites ont explosé après 1945 pour les besoins de l’énergie et de l’armement nucléaire soviétique. Sous le régime communiste, l’uranium des mines tchèques était en effet exporté vers l’Union soviétique; aujourd’hui, c’est l’inverse.
[3] Voir http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=918
[4] Sous le régime communiste, les citoyens se sont habitués à avoir de l’énergie bon marché, ce qui n’incitait pas à réduire la consommation. Aujourd’hui, une consommation élevée est également le résultat de la pression des entreprises. Le rôle du groupe CEZ (Entreprises énergétiques tchèques), «le géant de l’énergie», est souvent monté en épingle. Certains jugent ainsi que l’Etat est sous sa coupe, constatant qu’effectivement, les liens sont très étroits: l’Etat tchèque possède deux tiers du groupe, ce qui assure à ce dernier une situation de monopole. Pour permettre la concurrence sur le marché de l’énergie, le Parti des Verts demande donc la privatisation progressive du groupe. La question est difficile à trancher quand on sait que les dividendes du CEZ rapportent à l’Etat 2% de ses revenus…
[5] Le gouvernement a déjà mis en place des mesures visant à améliorer l’isolation des maisons ou la construction de bâtiments à basse consommation énergétique. En avril dernier a démarré le programme «Feu vert aux économies» qui insiste sur la réduction de la consommation et sur l’utilisation de sources d’énergie renouvelables pour chauffer les bâtiments.
[6] Cet engouement pour le nucléaire date des années 1970-1980. A l’époque, le gouvernement tchécoslovaque envisageait la construction de plusieurs centrales, dont la plupart n’ont jamais vu le jour.