Clubs de foot : prix du succès

Comme les autres institutions sportives, les clubs de football du bloc socialiste ont été touchés économiquement par l'effondrement des régimes communistes, au début des années 90. Dix ans après, malgré quelques faillites, la plupart des grands clubs russes, ukrainiens ou tchèques sont toujours présents. Parfois au prix de pratiques financières douteuses.


Le Spartak Moscou et son concurrent traditionnel, le Lokomotiv Moscou, le Dynamo Kiev ou le Sparta Prague… L'automne dernier, tous ces clubs participaient à la Ligue des champions, la plus prestigieuse des coupes d'Europe, affrontant des clubs aussi importants que le Bayern Munich ou le Real Madrid. Un des signes de la relative bonne santé des clubs historiques de l'Europe de l'Est. Pourtant, le football actuel demande des moyens financiers énormes. En 1999, Manchester United était le club professionnel au plus gros budget, avec 880 millions de francs. L'argent est devenu une composante essentielle du football: sans un budget de plusieurs dizaines -voire centaines de millions de francs, il est presque impossible d'avoir des résultats sportifs sur la scène internationale. Comment alors les clubs russes, ukrainiens ou tchèques peuvent-ils suivre, eux qui ne disposent pas d'une économie nationale aussi solide ?

Selon Wladimir Andreff, professeur d'économie à Paris I, et spécialiste de l'économie du sport[1], beaucoup de clubs sont, au moins en partie, financés par la mafia. "Avant, dans le système soviétique, le sport était relativement riche et exclusivement financé par l'Etat et ses entreprises nationalisées. Les clubs du Dynamo de Kiev et du Spartak Moscou, par exemple, étaient des clubs d'entreprise qui étaient très riches. Evidemment, avec la transition, leur budget s'est effondré. Ils ont donc été soumis à la privatisation, la restructuration, ils ont accumulé des dettes, des déficits… Il leur fallait donc trouver de l'argent frais. Et la mafia est riche ! Quand on a un grand besoin de financement on est moins regardant sur la provenance de l'argent"[2].

Une gestion souvent opaque

Il est en effet difficile de connaître le budget et le mode de financement de ces clubs. Sur les sites Internet officiels, on s'étend plus sur les exploits passés -comme les coupes d'Europe remportées par le Dynamo de Kiev en 1975 et 1986, que sur la transition économique des années 1990.
Les propriétaires actuels de ces clubs sont eux aussi souvent mystérieux. Par exemple, depuis 1997, le Slavia Prague, le deuxième club tchèque appartient à un groupe anglais, Enic, qui possède aussi des clubs italien (Vicenza) et grec (AEK Athènes). On sait relativement peu de choses sur ce groupe, qui s'occupait auparavant de placements dans le tourisme aux Bahamas, et dont les motifs d'investissement dans le Slavia Prague semblent être principalement spéculatifs.

Au Dynamo Kiev, la gestion est plus personnelle. Le président du club, Hryori Surkis, est aussi son propriétaire. Au début des années 90, il a bâti un empire commercial, profitant de son ancienne position dans un conglomérat pétrolier. En 1993, alors que le Dynamo Kiev était proche de la faillite, il a sauvé le club en investissant plus de 400 millions de francs. Cela a permis au Dynamo Kiev de devenir sans doute le meilleur club des ex-pays socialistes, en atteignant notamment la demi-finale de la Ligue des Champions en 1999. Des rumeurs sur un possible rachat du club par Bill Gates, le fondateur de Microsoft, ont même circulé. Un succès qui n'empêche pas les doutes sur la manière dont a été acquise la fortune de Hryori Surkis et sur les pratiques du club. En 1995, le Dynamo Kiev a été suspendu de coupe d'Europe pour une tentative de corruption sur un arbitre auquel des dirigeants du club auraient tenté d'offrir un manteau de vison.

Le Spartak Moscou, lui aussi aux mains d'un homme tout puissant, Oleg Romantsev (qui est également entraîneur de l'équipe nationale russe), est soupçonné de liens avec la mafia. En 1997, Larisa Nechayeva, une des responsables du Spartak Moscou, qui s'occupait des finances du club, a été assassinée par des tueurs à gage dans sa maison de campagne.

Un assainissement est-il possible ?

Dix ans après, les clubs de football de l'Europe de l'Est qui ont survécu, n'ont pour la plupart pas acquis un schéma économique stable. Peut-on croire à un assainissement financier ou, ces clubs, pour rester compétitifs sur le plan sportif, sont-ils condamnés à l'opacité, voire aux relations avec la mafia et aux malversations ? Wladimir Andreff est pessimiste : il lui semble irréalisable de traduire en justice tous ceux qui ont transgressé les lois. Quant à la solution de la re-nationalisation, "sur le plan économique, ce serait un désastre, car il faudrait bien reprivatiser ces entreprises un jour, et cela veut dire 10 ou 15 ans d'instabilité institutionnelle…ce serait de la folie ! L'économie a horreur du vide institutionnel, l'économie du sport mafieux prouve bien cela". Aujourd'hui, il semble en tout cas difficile de dissocier l'économie du sport des anciens pays socialistes de l'intervention de la mafia.

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La déchéance de l'ancien club roi de RDA

De 1979 à 1988, le Dynamo Berlin avait remporté dix titres consécutifs de champion de RDA. Le club, fondé après la création de la RDA par la police politique, la Stasi, était incontestablement le meilleur club de football est-allemand. Erich Mielke, le patron de la Stasi, était aussi le président du Dynamo Berlin. Mais, le 1er novembre dernier, c'est dans l'indifférence générale que le Dynamo Berlin, désormais rétrogradé en quatrième division allemande, a déposé son bilan. Les protestations de quelques centaines de supporters (dont des groupes néo-nazis, ce qui ne contribue pas à redorer l'image du "club de la Stasi") ont été inutiles. Avec plus de 21 millions de francs de dettes, le Dynamo Berlin sera automatiquement rétrogradé en cinquième division la saison prochaine, ce qui interdira au club l'accès à toutes les compétition officielles en Allemagne.

Comment, en à peine dix ans, ce club de football a-t-il pu passer de la gloire à la déchéance ? Du passé, il ne reste même plus les trophées, qui ont été volés après la réunification. L'adaptation a été difficile pour tous les clubs est-allemands, qui ont du affronter à partir de 1992 les clubs de l'ancienne RFA. Le Dynamo Berlin a vu ses meilleurs joueurs le quitter pour les clubs, plus riches, de l'ex-RFA. A cela s'est ajouté la gestion très discutable du club. Le personnel était pléthorique, et des investissements très hasardeux ont été réalisés dans le domaine des micros onde et des scooters. Des opérations financières qui n'ont fait que creuser encore plus le déficit du club. La tentative d'association avec le Dynamo Moscou, ancien club-frère, a elle aussi échoué. Le club a continué à décliner, passant la saison dernière de la troisième à la quatrième division allemande.

Seuls deux clubs de l'ex-RDA évoluent encore aujourd'hui en première division allemande: Hansa Rostock et Energie Cottbus. Ce dernier club se serait maintenu en première division avec un mode de financement douteux. Energie Cottbus a été perquisitionné en octobre dernier. La justice allemande posséderait les indices d'une gestion criminelle. Pour les clubs de football est-allemands, la réunification semble avoir le plus souvent signifié disparition.

Russie : sport, violence, et mafia

Depuis 1991, plus de 1 500 personnes liées au monde du sport ont été assassinées en Russie. Un chiffre qui reflète l'ampleur de la violence dans le milieu sportif russe. En 1997 par exemple, Valentin Sych, le président de la Fédération russe de hockey est tué de plusieurs balles en pleine rue, peu de temps après avoir dénoncé la corruption dans son sport. Le hockey sur glace serait en effet l'un de sports où la mafia -et donc le racket sont les plus répandus. Un des joueurs russes les plus célèbres, Oleg Tverdovsky, a du payer une rançon de plus d'un million de francs pour que sa mère, qui avait été enlevée, soit libérée. Depuis, ce joueur de Phoenix a fait venir toute sa famille aux Etats-Unis. Ce cas n'est pas isolé, et c'est ce qui explique que certains hockeyeurs, comme Pavel Bure, s'affichent avec des parrains de la mafia russe.

Car le malaise touche l'Etat russe tout entier. L'exemple le plus significatif est celui du Fonds national du sport. Ce fonds avait été mis en place par Boris Eltsine. Il avait nommé à la tête de cette organisation son ancien professeur de tennis, Shamil Tarpishev, qui aurait détourné plus de six milliards de francs vers des comptes suisses appartenant à Boris Eltsine. Ce fonds recevait une partie des taxes sur l'alcool et le tabac, et disposait donc de moyens financiers énormes dont les sportifs ne semblent pas avoir bénéficié. Il a d'ailleurs été dissous par Vladimir Poutine lorsque ce dernier est arrivé au pouvoir. Ce fonds national aurait été un des principaux organes de blanchiment de l'argent sale de la mafia en Russie.

Car la mafia commence à s'exporter. C'est ce qu'explique Wladimir Andreff : "La mafia investit ses capitaux à l'étranger. Il y des estimations qui disent qu'il environ 50 milliards de dollars qui sortent par an de Russie de manière pas très normale. Ces 50 milliards, où vont-ils? En Italie, on a la certitude de l'implication de la mafia [russe] dans le sport. En cyclisme, on sait pertinemment que le financement de l'équipe Roslotto venait en grande partie de la mafia russe. D'ailleurs, la majeure partie des cyclistes de l'écurie italienne étaient d'origine russe. L'équipe a été soupçonnée d'être la passerelle de nombreux mouvements de fonds, elle a été dissoute depuis". La mafia semble donc utiliser doublement le sport: elle tire des ressources du racket des sportifs et elle blanchit son argent en utilisant les institutions officielles ou en investissant dans des équipes. Une emprise dont le sport aura sans doute du mal à se défaire.

Par Clémentine BLONDET

Vignette : Stade de football en Russie (photo libre de droit, attribution non requise)

[1] ANDREFF, Wladimir, NYS, Jean-François, Economie du sport, Paris, PUF (Que sais-je?), 2001, 124 p
[2] sur https://www.lapresse.ca/, article du 15 octobre 2001