D #17 : Edito – Push and Pull

Le dossier de ce numéro est consacré aux migrations vers la France des hommes et des femmes d'Europe centrale et orientale.

Appréhender cet espace au travers de ceux qui en émigrent est un exercice délicat. Il serait trop commode d'affirmer sur le ton du proverbe : "dis-moi qui part de ton pays et je te dirai quel est ce pays". Certes, l'émigration permet souvent de mieux cerner la réalité du pays ou de la région qu'elle touche, en en trahissant les difficultés politiques, sociales et économiques. Le principe "push and pull", cher à la géographie américaine, rappelle que les mouvements migratoires procèdent autant du rejet du pays d'origine que de l'attirance pour la destination recherchée. Ainsi, l'importance des flux migratoires en provenance de Hongrie, de Roumanie et d'ex-Yougoslavie correspond assez bien au degré de rejet dont ces Etats font l'objet chez leurs habitants. Elle nous éclaire par là même sur l'état actuel de leurs sociétés. La Hongrie, qui connaît une faible émigration, fait partie du groupe de tête des pays susceptibles d'adhérer à l'Union européenne. La Roumanie, que ses citoyens quittent en plus grand nombre, n'a pas su affronter avec la même réussite les défis du post-communisme. Quant à l'ex-Yougoslavie, les guerres qui l'ont déchirée ont poussé quantité d'hommes hors de ses frontières et conduit une multitude d'autres à migrer au sein même du territoire qu'elle couvrait avant d'éclater.

Ces trois cas ne sauraient pour autant faire figure de modèle. Que dire en effet de la relative modestie de l'immigration en provenance de Russie, pays dont la situation économique n'est pourtant guère plus enviable que celle de la Roumanie ? Sans doute faut-il ici prendre en compte l'ancienneté et l'intensité des liens culturels franco-roumains, c'est à dire se pencher sur le second volet constitutif du processus migratoire: le pouvoir attractif du pays d'accueil.

L'un des travers de la démarche abordant une réalité nationale par l'intermédiaire de l'émigration qu'elle crée consiste donc, en se focalisant sur le pays d'émigration, à surévaluer l'effet de rejet sur celui d'attirance. L'analyse poursuivie s'en trouve faussée. Ce type d'approche comporte un autre vice, celui de considérer comme représentatif le flux migratoire étudié. Or, sauf cas extrêmes, comme celui des Albanais du Kosovo, où il semble toutefois plus juste de parler de déportation (son échec voyant aujourd'hui le rêve mono-ethnique des dirigeants serbes se retourner contre "leur" propre peuple), l'émigration reste un phénomène minoritaire, marginal, qui n'implique qu'une fraction de la société.

Pour toutes ces raisons, notre dossier, qui évoque essentiellement les cas de l'ex-Yougoslavie, de la Pologne et de la Russie, ne prétend éclairer qu'une facette du passé et du présent de l'Europe centrale et orientale.

 

Vignette : nous sommes tous des immigrés (photo libre de droits - attribution non requise).