D #22 : Edito

Accaparée dès le début des conflits en ex-Yougoslavie par des acteurs de premier plan -dirigeants politiques, militaires-, la scène médiatique nous a longtemps donné l'image d'une Serbie unanimement nationaliste et va-t'en guerre.

Ce n'est qu'avec la montée en puissance de l'opposition et l'apparition d'organisations étudiantes contestataires que cette perception d'ensemble s'est trouvée modifiée: la population que l'on croyait totalement soumise ou complice se montrait soudain capable d'un sursaut de révolte. Mais le mouvement de protestation s'est essoufflé et les regards de l'Occident se sont détournés de cette société "rentrée dans l'ordre" dont l'ambition politique semblait s'être brusquement effacée.

Lors de la guerre du Kosovo, les médias ont réinvesti les rues des villes et des villages de Serbie: les caméras se sont de nouveau attardées sur des visages anonymes. Mais les slogans des manifestants n'avaient plus pour cible le pouvoir en place: ils criaient leur douleur de voir leur pays bombardé, le Kosovo leur être "arraché". Une douleur, qui face aux images des souffrances des populations albanaises, est apparue cruellement disproportionnée. Beaucoup d'entre nous ont conservé à l'esprit cette vision choquante.

Et pourtant, nous ne sommes pas dupes, nous connaissons les conditions d'isolement politique et de pénurie économique dans lesquelles vit la population de Serbie. Nous savons que, dans ce régime autoritaire, "information" rime fort souvent avec "propagande" et "mobilisation nationaliste". Mais s'en tenir à ces propos équivaudrait à figer la population serbe dans un rôle de victime, à nier toute responsabilité à des hommes qui ont placé au pouvoir Slobodan Milosevic et qui pour nombre d'entre eux n'hésitent pas encore aujourd'hui à élever Karadzic ou Arkan au rang de héros nationaux. Doit-on pour autant se contenter de se détourner, écœurés ? Ou d'entonner, en toute bonne conscience, un refrain dans le registre de la culpabilisation ?

Ensemble, des personnes de sensibilités différentes, parfois opposées, ont souhaité mener ce dossier, débattre et construire en commun un début de réflexion pour apporter des éléments concrets permettant ainsi de toucher de près une réalité vécue au quotidien par la population de Serbie. Avec comme principale condition, garante d'un débat constructif : franchir ce premier obstacle que sont devenus nos automatismes -pour certains, une forme d'indignation générale, pour d'autres, la défense acharnée d'un peuple en réaction à cette culpabilisation.