Fin d’un empire en Ouzbékistan

Endettée à hauteur de 500 millions de dollars, la société de droit suisse et à capitaux ouzbeks Zeromax GmbH s'est vue interdite de toute activité par le juge de la Cour économique de Tachkent, le 5 mai 2010.


Ses filiales assuraient pourtant les études et la réalisation de projets dans le secteur des hydrocarbures en Ouzbékistan, dont les réserves de pétrole sont estimées à 594 millions de barils, et celle de gaz à 1 580 milliards de mètres cubes. Ce pays possède 171 gisements de gaz et de pétrole et, en 2009, il a produit 85 millions de tonnes équivalents pétrole. Retour sur un procès sulfureux passé sous silence.

Une société florissante

Les biens propres et actifs de cette société, qui appartiendrait à des personnes intermédiaires proches de Goulnara Karimova, fille aînée du Président autoritaire qui dirige l'Ouzbékistan depuis 1989, ont été saisis, tout comme ses actions dans différentes entreprises ouzbèkes. Plusieurs responsables de Zeromax, dont son directeur exécutif Mirodil Djalilov et son directeur des relations internationales Goulom Imamnazarov, font l’objet de poursuites pénales pour détournement de fonds. Aucune information officielle à ce sujet n’a été divulguée à la presse. Selon des sources anonymes, les biens de Zeromax ont été rachetés par la société publique OuzbekNefteGaz (51 %) et la société russe LukOil (49 %).

Bien que le siège social de Zeromax ait été enregistré à Zug (Suisse) en 2001, cette société ne travaillait qu’en Ouzbékistan, où il lui a fallu moins de dix ans pour devenir co-fondateur d’une dizaine de sociétés mixtes, fait exceptionnel en Ouzbékistan où aucune autre société (étrangère ou ouzbèke) n’a pu obtenir de semblables résultats. Selon le site web de la société, son chiffre d’affaires s'élevait à environ 2,47 milliards d'euros au 1er janvier 2009.

Ses activités essentielles se sont concentrées dans le secteur des hydrocarbures: elle avait créé une dizaine d’entreprises de construction et d’extraction de gaz de gisements du plateau Oustiourt (nord-ouest du pays) et dans le sud, à Guissar, Chourtan et Moubarek. Elle avait investi pour un montant équivalent à 270 millions d'euros dans la modernisation d’infrastructures industrielles en Ouzbékistan. Selon la société publique OuzbekNefteGaz, qui assume les fonctions d’une sorte de ministère du Gaz et du pétrole en Ouzbékistan, les filiales de Zeromax assuraient environ 80 % des travaux de construction et de montage dans ce secteur. Elle était un des maîtres d’œuvre de la construction du tronçon ouzbek du gazoduc Turkménistan–Chine. Elle était par ailleurs propriétaire du réseau de stations service OuzGazOil, qui assurait 70 % de l’approvisionnement en essence dans le pays.

Un intermédiaire incontournable

Selon les détracteurs du régime, Zeromax était devenue l'intermédiaire obligatoire pour tous les contrats de livraison et d'exportation d’hydrocarbures, signés par OuzbekNefteGaz. Elle touchait des commissions à hauteur de 20 % du montant des contrats. Les contrats pour les travaux de prospection devaient également passer par Zeromax, qui achetait les licences pour les terrains riches en hydrocarbures afin de les revendre ensuite aux sociétés étrangères.

Ses activités s’étendaient aussi à d’autres secteurs de l’économie ouzbèke. Elle avait ainsi sa part d’actions dans la société mixte ouzbéko-britannique Amantaytaou-Goldfields, qui travaille dans l’extraction d’or. Zeromax possédait également plusieurs usines textiles et des usines de Coca-Cola en Ouzbékistan, où la célèbre société américaine s’était implantée au début des années 1990 grâce à Mansour Maksoudi, Américain d’origine ouzbéko-afghane et ex-mari de Goulnara Karimova. Après leur divorce, les usines de Coca-Cola ont été d’abord nationalisées, puis « rachetées », sans qu'il n'y ait eu de véritables appels d'offres par Zeromax.

Sa filiale NeftGazMontage, spécialisée dans la construction de gazoducs, remportait systématiquement les plus gros appels d’offres dans le génie civil. Elle a ainsi construit la nouvelle grande mosquée de Tachkent, Khast-Imam, dans la partie ancienne de la ville, en face d’une médersa et de mausolées du XVIème siècle. Construction qui a nécessité la destruction d'une partie du vieux quartier Zarkaïnar. En 2009, NeftGazMontage a également érigé le gigantesque Palais des Forums dans le centre-ville de la capitale. Ce bâtiment, qui a coûté 650 millions de dollars aux contribuables ouzbeks, n’est utilisé qu’en de rares occasions, telles les fêtes de l’Indépendance ou de la Constitution, ou des sommets internationaux. Ces travaux ont, là encore, entraîné la disparition d'un square planté de vieux platanes et d'une église orthodoxe du début du XXème siècle.

Le monde du football, lui aussi, pâtit de la cessation des activités de Zeromax, puisque ses filiales étaient les sponsors officiels du club de football Bunyodkor, qui avait pu se permettre d’embaucher Felippe Scolari et Rivaldo, et inviter pour les masters-classes d’une journée des stars comme Samuel E’to. Scolari a quitté l’Ouzbékistan. Désormais, certains des chantiers de Zeromax à Tachkent, comme celui du stade de Bunyodkor (alias Académie de football), ont été gelés.

Qui a intérêt à voir disparaître Zeromax ? 

Zeromax GmbH s’est toujours positionnée comme une société privée étrangère cumulant des succès faramineux en Ouzbékistan et ayant facilement accès aux morceaux de choix de l’économie ouzbèke, grâce à un management de qualité et non pas à ses liens avec la famille présidentielle. Malgré les démentis de la direction de Zeromax, ses relations avec Goulnara Karimova, qui s'en défend également, étaient évidentes pour tous ceux qui connaissaient les réalités de la politique économique ouzbèke et le sort de nombreux investisseurs étrangers, moins chanceux que Zeromax. C’est en ce sens que ce procès soulève deux questions majeures: quelle banque ou institution financière était le créancier de Zeromax ? Qui a osé intenter un procès contre ce groupe qui dictait les règles du jeu en Ouzbékistan ?

Selon les experts indépendants, il ne s’agit pas d’une faillite mais d’une banqueroute préméditée. « La patronne de la société [Goulnara Karimova] n’a probablement pas livré des produits pétroliers à ses co-contractants et fait sortir son argent vers des banques étrangères, en profitant de certains vides juridiques. Compte tenu des relations de cette dame avec des personnes bien placées, cela n’avait rien de difficile », suppose un expert financier ouzbek qui préfère garder l'anonymat. Ce dernier de préciser que cette banqueroute a été mise en scène à cause de la fin de la période de franchises fiscales accordées aux sociétés étrangères investissant en Ouzbékistan dans les exportations d'hydrocarbures.

Si certains experts voient dans cette histoire la preuve du renforcement politique de l'honni Premier ministre actuel, Chavkat Mirziyoyev, d'autres estiment que la fermeture de Zeromax vient blanchir l’image de Goulnara Karimova, connue en Ouzbékistan pour ses insatiables appétits financiers et pour les moyens douteux mis en œuvre pour les satisfaire. Quoi qu’il en soit, aucune information officielle n’est accessible sur ce sujet très sensible. L'affaire risque donc de rester longtemps mystérieuse. G. Karimova, actuellement ambassadrice d’Ouzbékistan à Madrid, a été classée parmi les pires rejetons de dictateurs par le magazine en ligne Foreign Policy en 2009.

* Claude SCHIFF est analyste free lance

photographie : Ferghana.ru

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