La Pologne et la politique orientale de l’Union européenne

La politique à l’égard des voisins de l’Est est un élément-clé de la diplomatie polonaise, qui s’emploie notamment à développer l’engagement de l’Union européenne dans cette région. Néanmoins, l’européanisation de la politique orientale de la Pologne implique que celle-ci soit profondément redéfinie.


Rencontre des présidents Lech Kaczyński et Viktor Iouchtchenko à Łańcut, PologneDepuis la fin du système bipolaire, les relations avec ses voisins postsoviétiques –en particulier l’Ukraine, le Bélarus et la Russie– constituent pour la Pologne l’un des piliers de sa diplomatie. Cette situation est due en partie à l’histoire. La Pologne et ses voisins de l’Est sont liés par leur passé commun, aussi lointain que parfois difficile.

L’Union européenne, multiplicateur de puissance

Aujourd’hui, la préoccupation première de la Pologne est la stabilité de la région, condition sine qua non pour sa propre sécurité. Toute crise politique, économique ou sociale dans l’un de ses voisins nuirait à la coopération bilatérale, risquerait de renforcer la pression migratoire, voire déstabiliserait d’autres pays de la région. La Pologne cherche à «élargir l’Occident»: elle ne veut plus en être la frontière, et estime que l’adoption de standards occidentaux (démocratie, État de droit, économie de marché) par ses voisins postsoviétiques, ainsi que leur adhésion à l’OTAN et à l’UE serviraient aussi bien les intérêts des pays en question que ceux de tout l’Occident. Finalement, il est probable que Varsovie souhaite affaiblir la position de la Russie dans l’espace postsoviétique ou au moins changer le rapport de forces dans la région, bien que peu d’hommes politiques polonais reconnaissent ouvertement ce fait.

L’appartenance à l’Union européenne joue un rôle-clé dans cette stratégie, car elle permet à la Pologne de renforcer sa position vis-à-vis des voisins orientaux et de contribuer à la définition de la politique européenne à leur égard. Le rapprochement entre la Pologne et la Russie, qu’on a pu observer en 2010, n’est pas dû essentiellement à la tragédie de Smolensk, où périrent le 10 avril le président polonais Lech Kaczyński ainsi que 95 autres passagers. Cette catastrophe contribua, pour une période au moins, à l’amélioration des relations russo-polonaises, mais la raison essentielle de cette évolution fut tout autre: la Russie a besoin de l’Europe, de ses investissements, de ses technologies et de l’accès à ses marchés. Par conséquent, elle se doit d’entretenir de bonnes relations avec l’UE. Ce qui suppose d’établir des relations normales avec la Pologne -malgré les crises survenues ces dernières années-, et de reconnaître ce pays comme un Etat pays européen, plus de cinq ans après son adhésion à l’UE.

Les faits marquants

La Pologne s’employait déjà à développer l’engagement de l’UE en Europe de l’Est avant son accession. Néanmoins, c’est en 2004 qu’elle remporta son premier succès majeur. En novembre, après le second tour frauduleux de l’élection présidentielle, commença en Ukraine la Révolution orange. Les pays de la «vieille Europe» furent d’abord peu enthousiastes à l’idée de s’engager dans la résolution de la crise, car le candidat déclaré vainqueur (Viktor Ianoukovitch) reçut le soutien de Moscou. La Pologne et la Lituanie, finalement, poussèrent l’Union à sortir de cette attitude passive. Les Présidents Aleksander Kwaśniewski et Valdas Adamkus, ainsi que le Haut Représentant pour la PESC Javier Solana, prirent part dans les négociations de la « table ronde » qui permirent de résoudre la crise d’une façon pacifique. En janvier 2005, le leader de la Révolution orange, Viktor Iouchtchenko, devint le président de l’Ukraine. Ces événements furent considérés comme un grand succès en Pologne: d’une part, parce que l’engagement de Varsovie contribua à la victoire du candidat démocratique et perçu comme pro-occidental; d’autre part, parce que la Pologne sut tirer efficacement profit des instruments de la PESC pour réaliser sa propre politique à l’Est.

La Révolution orange contribua de façon substantielle à la dégradation des relations entre la Pologne et la Russie. En 2005, les autorités russes interdirent –officiellement pour des raisons sanitaires – l’importation de la majorité des denrées alimentaires en provenance de Pologne, dont la viande. La Pologne rejeta les accusations russes concernant la qualité de ses produits et demanda le soutien de l’UE. Varsovie bloqua également l’adoption du mandat de négociation (c’est-à-dire la position officielle des pays membres) pour le nouvel accord de coopération et de partenariat UE – Russie en 2006. L’Union européenne soutint la Pologne, non sans hésitation, ce qui renforça la position de cette dernière face à la Russie. Après les élections parlementaires en 2007, le nouveau gouvernement polonais, dirigé par Donald Tusk, adopta néanmoins une attitude plus conciliante envers Moscou. En conséquence, la Fédération de Russie leva en grande partie l’embargo sur les importations en provenance de Pologne, tandis que cette dernière acceptait l’adoption du mandat pour le nouvel accord UE-Russie. Ce dernier, toutefois, n’a toujours pas été conclu à l’heure d’aujourd’hui.

En mai 2008, la Pologne, en coopération avec la Suède, présenta le projet du Partenariat oriental. Cette initiative avait pour but de renforcer les liens entre l’UE et six pays de l’espace postsoviétique: Ukraine, Bélarus, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Le Partenariat oriental devait, en quelque sorte, compléter l’Union pour la Méditerranée, projet français s’adressant essentiellement aux voisins méridionaux de l’Europe et adopté par l’Union durant l’été 2008. Le Partenariat oriental fut officiellement lancé pendant le Sommet de Prague en 2009. En Pologne, cette initiative est perçue aujourd’hui comme un succès majeur de la diplomatie nationale. Tout d’abord, elle a permis de différencier les voisins orientaux et méridionaux de l’UE, couverts jusqu’alors par la même Politique européenne de voisinage. Le Partenariat propose par ailleurs des développements concrets de coopérations entre les six pays et l’UE, tels que la création de zones de libre échange dites «approfondies» (abolition des barrières douanières, adoption sectorielle de l’acquis communautaire), la libéralisation du régime des visas ou le renforcement de la coopération énergétique. Le Partenariat ne préjuge pas de l’avenir des relations entre l’Union et ses voisins orientaux mais n’exclut pas, en particulier, la possibilité d’un élargissement de la Communauté, ce que souhaite la Pologne. Il est encore trop tôt, néanmoins, pour apprécier pleinement l’initiative polono-suédoise, celle-ci n’étant pas encore entièrement mise en œuvre. Les moyens financiers à sa disposition demeurent limités, même si cette situation pourrait changer.

Les limites de la politique polonaise

Il n’empêche que la politique orientale de la Pologne, en particulier dans sa dimension européenne, n’est pas unanimement perçue comme un succès par les experts polonais et européens. L’exemple le plus parlant, probablement, concerne l’élargissement de l’UE. Comme déjà souligné, la Pologne espère qu’un jour ses voisins orientaux rejoindront la Communauté. Cet espoir fut particulièrement fort après la Révolution orange en Ukraine, qui semblait une victoire des valeurs européennes sur l’héritage postsoviétique. Six ans après l’élection de Viktor Iouchtchenko, cependant, la Pologne doit admettre qu’elle s’est trompée. Le leader de la Révolution orange a été remplacé au poste de Président par son adversaire d’autrefois, Viktor Ianoukovitch, et l’intégration de l’Ukraine à l’UE semble aussi lointaine qu’elle l’était en 2004. Certes, la Pologne n’a pas su promouvoir efficacement son voisin ukrainien mais, après la révolution, celui-ci n’a pas non plus engagé les réformes nécessaires à un rapprochement avec l’Union. L’UE, quant à elle, n’a pas répondu d’une façon adéquate aux changements politiques ukrainiens. Si elle avait reconnu la possibilité d’une adhésion de l’Ukraine (dans un avenir plus ou moins lointain), le camp réformateur de ce pays se serait sans doute senti encouragé. Au final, la Russie a pu s’employer à déstabiliser l’Ukraine de Iouchtchenko, contribuant ainsi à sa défaite.

L’appartenance à l’Union impose à la Pologne certaines contraintes, d’ordre aussi bien juridique que politique, qui limitent sa marge de manœuvre à l’Est. Ainsi, il existait, dans les années 1990, un régime sans visa entre la Pologne et l’Ukraine. Cette situation a changé suite à l’adhésion de la Pologne à l’UE puis à l’espace Schengen fin 2007. En 2003, la Pologne a introduit des visas pour les Ukrainiens ; en 2007, elle s’est conformée aux normes de « l’acquis Schengen ». Le visa, jusqu’alors gratuit, est devenu payant (d’un montant de 35 euros), sauf pour certaines catégories de ressortissants ukrainiens. Pour ces derniers, il est devenu beaucoup plus difficile d’entrer en Pologne. Après l’adhésion à l’espace Schengen, en 2008, le nombre de visas émis en Ukraine à destination de la Pologne a chuté de 58 %. Dans ces conditions, l’image de la Pologne chez son voisin s’est fortement dégradée.

Il s’avère que l’adhésion à l’UE modifie les fondements même de la politique étrangère de Varsovie. Les dirigeants polonais actuels semblent estimer que, pour être un acteur européen de premier plan, il est nécessaire de respecter les règles au sein de l’UE, de se joindre au courant dominant sous peine d’être isolé. C’est notamment la raison pour laquelle la Pologne souhaitait ardemment améliorer ses relations avec la Russie. L’image du « guerrier de la guerre froide »[1] ne semblait plus à la mode.

L’Union européenne est sans nul doute un multiplicateur de puissance pour la diplomatie polonaise. Néanmoins, celle-ci a également considérablement changé sous l’influence de l’UE. Elle est devenue beaucoup plus européenne, aux dépens, parfois, des intérêts nationaux.

Note :
[1] Voir le rapport du Conseil européen des relations étrangères de 2007 : http://ecfr.eu/page/-/documents/ECFR-EU-Russia-power-audit.pdf

Photo vignette : Rencontre des présidents Lech Kaczyński et Viktor Iouchtchenko à Łańcut, Pologne (Anna Szeptycka, mai 2006).

* Andrzej SZEPTYCKI est docteur ès sciences humaines, mention « Science politique », maître de conférences à l’Université de Varsovie.

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